08/01/2024

Les conséquences lourdes du manque de suivi

Les demandeurs d’asile abandonnés d’un centre social francilien

Par Elisa Verbeke

Depuis l’arrivée d’un nouveau chef de service, personne ne s’occupe des demandeurs d’asile d’Ozoir-la-Ferrière, en Seine-et-Marne. Près de la moitié d’entre eux dénonce le bafouement de leurs droits et revendique une prise en charge adaptée.

Sur son lit une place, dans sa petite chambre de 9m2 sobrement meublée mais bien nettoyée, Hawa (1) fond en larmes. « Si je signe le papier, je vais devoir partir d’ici et je n’ai nulle part où aller », redoute la trentenaire en oromo, la langue de son pays, l’Ethiopie. Enceinte de huit mois, elle vit ici depuis un an, avec 60 voisins, dans l’Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda) d’Ozoir-la-Ferrière (77), géré par l’association Coallia. Hawa vient d’être déboutée du droit d’asile. Elle juge le nouveau chef de service des lieux qui ne lui aurait pas communiqué à temps les informations, en partie responsable : elle ne peut plus faire recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour espérer avoir des papiers. La future maman qui ne sait ni lire, ni écrire, et ne parle ni le français, ni l’arabe, se sent bloquée. « Il m’a demandé de signer un papier, on m’a avertie que ça serait sûrement pour quitter les lieux. Mais je ne comprenais pas ce qu’il était écrit. Alors je n’ai rien signé et je reste là, je ne sais pas où aller. »

Les cas comme celui d’Hawa se multiplient à l’Huda. StreetPress a rencontré une vingtaine de résidents et de résidentes, environ un tiers, qui tiennent tous le même discours : depuis l’arrivée d’un nouveau chef de service, Paul B., en septembre, ils se sentent laissés à l’abandon. Le bureau de ce dernier, qui donne sur l’entrée, serait souvent vide parfois pendant deux semaines d’affilée comme en novembre dernier. Cela a pour conséquence de compliquer leurs démarches administratives – comme pour Hawa par exemple –, la distribution du courrier, les prises de rendez-vous avec les médecins, la distribution de tickets alimentaires ou de transports. De nombreuses choses du quotidien que des demandeurs d’asile en situation d’ultra-précarité, non francophones et bien souvent illettrés ne peuvent pas gérer seuls. Par ailleurs, tous les travailleurs sociaux de l’Huda ont quitté le lieu depuis l’arrivée de Paul B., des départs parfois directement liés avec ce dernier.

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Pas de distribution de courriers importants

Dans la chambre de Nour (1), les cafards pullulent et grimpent sur les murs. Sur son téléphone, la trentenaire enceinte de huit mois fait défiler les vidéos de punaises de lit sur son matelas. Elle raconte avoir quitté son pays à pied, pour fuir un harceleur qui – deux ans plus tard – est toujours à sa recherche. Malgré trois plaintes contre lui, il continue de placarder sur les murs de la grande ville du pays des affiches avec son visage : « Nour la voleuse, récompense si vous la retrouvez ». En face d’elle, sur une petite table en bois est posée une pochette verte. La future maman l’ouvre et montre les courriers de l’Assurance-maladie ou de la Caf, datés de début septembre ou octobre qui viennent seulement de lui être remis, début décembre. « J’ai été à l’Assurance-maladie à Melun pour qu’on me dise que j’avais déjà reçu le courrier », explique celle dont le ventre l’empêche de marcher correctement. L’accouchement est pour bientôt. Quand elle parle de son futur bébé, un grand sourire se dessine sur ses lèvres.

Pour Maryline Berthaux, de l’hôpital Bichat, « les résidentes se plaignent surtout de l’arrivée de ce nouveau chef qui a tout changé ». Celle-ci coordonne des permanences hebdomadaires pour les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles dans leur parcours d’exil. Elle reçoit dans ce cadre plusieurs résidentes de l’Huda et leur offre un accompagnement psychologique et gynécologique en les mettant en lien avec les médecins et spécialistes dédiés. Face à la situation de l’Huda, Maryline Berthaux détaille : « En quelques mois la situation s’est énormément dégradée. Elles ont des difficultés d’accès aux tickets d’alimentation, aux transports et à leurs droits. » La médiatrice ajoute :

« Les femmes que je rencontre sont très angoissées et préoccupées par cette situation. On les sent en danger. »

Sur la porte de l'entrée de l'Huda, des affichages informent les habitants en français des changements de draps. / Crédits : Elisa Verbeke


Dans la chambre de Nour, les cafards pullulent et grimpent sur les murs. Quand elle déplace son frigo, des dizaines d'insectes qui avaient trouvé refuge sous le meuble se dispersent dans la pièce. / Crédits : Elisa Verbeke

Plainte à Coallia

Le 5 décembre 2023, 27 résidents – près de la moitié des gens de l’Huda – ont adressé une lettre à la directrice de Coallia, qui gère le centre et dont dépend Paul B. Ils dénoncent le bafouement de leurs droits et revendiquent une prise en charge et des conditions de vie conformes à la charte qu’ils ont signée à leur arrivée sur les lieux.

Après réception, l’asso a organisé une réunion avec les résidents le 8 décembre. Selon le compte-rendu de Coallia, seulement sept se seraient présentés et personne parmi eux n’aurait entendu parler de la lettre. Questionnés sur leur absence à la réunion, une partie des résidents signataires de la lettre expliquent avoir eu peur « d’avoir des problèmes ». D’autres déclarent qu’ils étaient en formation ou en rendez-vous extérieurs. Deux semaines plus tard, le 20 décembre, après avoir été contactés par StreetPress, Coallia – qui n’a pas souhaité nous répondre – leur a envoyé une lettre en français.

L’association affirme que le personnel s’est mobilisé « à hauteur des attendus […] dans le respect du cahier des charges de l’OFII », tout en admettant que les bureaux n’ont pas été ouverts pendant 15 jours en novembre et en déplorant « que le fonctionnement du dispositif […] ne se fasse pas dans les conditions les meilleures permises par le financement de l’État ». Selon le document, « la direction de l’Huda a mobilisé tous les moyens possibles pour recruter au plus vite. » Mais reconnaît que par leur faute, une résidente – Hawa – n’a pas pu formuler son recours à la CNDA dans les temps, et d’ajouter qu’une note à ce sujet a été envoyée à la cour. Pour l’association, il s’agit du « seul cas problématique de leur fait. »

Problèmes de santé

En dehors de l’accompagnement à l’hôpital Bichat, une personne tierce doit prendre les rendez-vous pour les résidents. Là encore, l’absence de suivi deviendrait préjudiciable pour ces derniers. C’est le cas de Naqibullah (1), un jeune afghan arrivé au centre il y a un an. « J’ai des problèmes psychiatriques, je n’ai pas vu de psychiatre depuis trois mois », explique-t-il à l’interprète. Dans sa réponse aux résidents, Coallia reconnaît le manque d’effectifs des travailleurs sociaux à Ozoir-la-Ferrière et tient pour responsable « le contexte national de difficultés de recrutement » dans « l’ensemble du secteur médico-social ».

Pendant ce temps, certains résidents affirment aussi ne pas être en capacité de se nourrir, sans que la direction ne le sache. « La dernière fois, je n’ai pas pu acheter à manger pendant deux semaines. Mon ventre gargouillait et j’ai fini par tomber dans les pommes », raconte Mari (1). La trentenaire ne touche plus les 200 euros de l’Office français de l’immigration (2) et de l’intégration alloués dans le cadre de sa demande d’asile. Depuis qu’elle a été reconnue réfugiée, elle attend de toucher le RSA. Mais les démarches sont parfois longues. « J’ai demandé des tickets resto à Paul, avant on nous les donnait gratuitement pour nous dépanner. Là, il voulait me les vendre mais je ne pouvais pas les acheter. » Assise à côté de Mari sur le petit lit, Aya (1), 26 ans, hoche la tête. Elle connaît la même histoire. Les deux femmes viennent d’être reconnues réfugiées :

« On a fait de si longues routes, on a quitté nos pays pour ça. »

De son côté, Coallia assure que les tickets sont distribués aux personnes dans le besoin qui ne bénéficient pas encore de l’aide aux demandeurs d’asile.

Les coupons d'une valeur de six euros sont livrés par carnet de sept d'une valeur de 42 euros. / Crédits : Elisa Verbeke

Mamans solos

Fanta (1) étale de la crème sur le ventre d’Ibrahim. Le poupon a une semaine, des petits yeux bruns à peine ouverts et la peau encore violacée. La Guinéenne est sortie de l’hôpital il y a quatre jours. Le ventre encore rond, l’air fatigué, elle témoigne : « Quand j’ai accouché, il n’y avait personne pour m’aider. » Sur le lit, un berceau et au sol un landau. C’est l’hôpital Bichat qui lui a donné grâce au dispositif de Maryline Berthaux. « On m’a appelée en me disant que cette femme avait accouché et qu’elle n’avait aucune affaire prête, je me suis débrouillée pour lui trouver deux trois affaires en urgence », explique la médiatrice. Fanta reprend :

« On m’avait promis que j’aurais une chambre double [dans l’Huda] pour mon fils. Mais je suis toujours dans celle-ci… »

Face à cette nouvelle situation, Coallia assure cette fois que « l’Huda a été pensé uniquement pour les hommes » et que « le public n’a commencé à se féminiser qu’à partir de 2021 ». Bien que cela fasse plus de deux ans, leurs chambres ne seraient toujours pas adaptées aux bébés.

Coallia assure que « l’Huda a été pensé uniquement pour les hommes » et que « le public n’a commencé à se féminiser qu'à partir de 2021 ». Bien que cela fasse plus de deux ans, leurs chambres ne seraient toujours pas adaptées aux bébés. / Crédits : Elisa Verbeke

Après que StreetPress ait rencontré les résidents et interrogé l’association, certains habitants assurent que le nouveau chef de service a cherché à connaître les personnes qui nous avaient rencontrés. D’autres se sont sentis intimidés par son attitude. Paul B. n’a pas donné suite à nos questions, et espère que StreetPress a « obtenu le plus d’avis possible afin que cette enquête soit exhaustive. »

(1) Les prénoms des résidentes et des résidents ont été changés.

(2) Édit le 08/01/2024 : 200 euros et non 400 euros comme écrit précédemment.