17/05/2011

Et si l'affaire DSK sonnait le glas de la presse à papa ?

Jean Quatremer sur l'affaire DSK: « Les médias classiques pratiquent une auto-censure hors du temps »

Par Jacques Torrance

Auteur d'un article en 2007 sur le comportement de DSK avec les femmes, Jean Quatremer n'avait pas été publié dans l'édition papier de Libération. Heureusement qu'il y a toujours internet « pour retrouver une forme de journalisme agressif. »

Pourquoi votre article n’est pas sorti dans l’édition papier de Libération 2007 ?

D’abord je ne suis pas un journaliste politique mais un journaliste européen. J’ai suivi Dominique Strauss-Kahn quand il était ministre des Finances entre 1997 et 1999. C’est là que j’ai pu constater qu’il avait souvent des comportements inappropriés avec les femmes. J’ai eu de nombreux témoignages de consœurs qui me racontaient des histoires à vous faire dresser les cheveux sur la tête sur les méthodes de drague extrêmement brutales qu’utilisait l’ancien ministre. Je n’avais pas l’occasion d’utiliser ces informations puisqu’en France on considère ça comme normal. Comme l’a dit hier soir Jack Lang sur France 2 à propos de la tentative de viol « après tout y’a pas mort d’homme. » Ça en dit long sur le mépris d’un certain personnel politique à l’égard des femmes. Donc utiliser ça en France, ça n’avait quasiment aucune chance de passer.

Et même à Libération ?

Ce qui est bien avec Libération, c’est que même si mon article est paru sur mon blog, le journal ne m’a absolument pas demandé de le retirer

Encore heureux ….

Oui ! On est d’accord ! Parce que là je ne vous dis pas ! Mais le service web l’a mis en une du site. Ça montre surtout la double culture qui règne dans les médias français: d’un coté les médias classiques qui sont d’une prudence extrême, qui pratiquent une auto-censure hors du temps, et les médias internet qui retrouvent la hargne et une forme de journalisme agressif.

J’ai eu de nombreux témoignages de consœurs qui me racontaient des histoires à vous faire dresser les cheveux sur la tête

En puis ce ne sont pas les mêmes rédacteurs en chef …

Je me doutais que vous me poseriez cette question…joker.

A partir de quand un journaliste doit-il enquêter sur la vie privée d’un homme politique ?

Quand la vie privée interfère avec la vie publique et quand le comportement dans la vie privée peut relever d’une incrimination pénale. Par exemple si un candidat à la présidentielle utilise sa famille pour se faire élire en affirmant être un père de famille exemplaire et défend les vertus du mariage, vous enquêtez pour savoir si c’est un bon père de famille et s’il est fidèle à madame (…) On a accusé les Britanniques d’aller fouiller dans les chambres à coucher. C’était à quel moment ? Quand les conservateurs ont lancé leur mouvement Back to basics), en disant qu’il fallait revenir aux valeurs fondamentales. Bah les gars on fait leur boulot de journaliste. Ils ont découvert qu’un certain nombre de conservateurs qui prenaient la pause avec madame avait en fait une vie sexuelle débridée dans les bas-fond de Londres. Et ils ont eu raison, ils ont fait explosé le parti conservateur sur des affaires de cul !

En France malgré des témoignages accablants sur DSK personne n’a mené d’enquête…

Oui ! Le témoignage de Tristane Banon est fascinant, accablant ! Hier j’ai entendu Laurent Joffrin dire qu’il avait envoyé des journalistes du Nouvel Obs pour rencontrer la jeune femme et que les journalistes n’ont pas été convaincus par son témoignage … Je suis tombé de ma chaise ! Banon vous entendez son témoignage à la TV, vous êtes convaincus dans la seconde ! A partir du moment où quelqu’un accuse un homme politique d’une tentative de viol, on publie son témoignage ! On va voir DSK ! On met ça sur la place publique ! Mais tout le monde est gêné … Au moment de l’affaire Nagy on n’aurait pu se dire que les médias allaient se réveiller. Mais qu’est ce qui s’est passé ? La chape de plomb est retombée ! Les conseillers de DSK ont réussi à étouffer l’affaire ! Dans les portraits hagiographiques que j’ai pu lire depuis plusieurs mois on rappelait à peine cette affaire. C’était un petit incident. Hors c’est très grave. La lettre de Piroska Nagy accusait DSK de harcèlement et disait que DSK ne pouvait pas diriger une organisation composée de femmes ! C’est dire ! On aurait dit titrer là-dessus !

Les Britanniques ont fait explosé le parti conservateur sur des affaires de cul !

Il y a des pressions ?

Ce n’est pas des pressions ! Le mot pression est trop fort ! C’est le coup de fil amical, le « c’est pas si grave » … Cet espèce de grand mélange des genres entre hommes politiques et journalistes.

Mais dans votre papier de ce matin, vous citez Khiroun qui vous demande « qu’est-ce qu’on peut faire ? ». On se dit what the fuck … Et ça doit ouvrir plein de portes !

Bien sur que ça ouvre plein de portes ! Mais si vous répondez va-te-faire voir ça s’arrête là …

Vous connaissez d’autres des politiques qui avaient ce comportement avec les femmes ?

Honnêtement je n’ai pas de précédents. Ça fait 25 ans que je suis journaliste, j’ai suivi de nombreux ministres, très charmeurs, mais ça ne dépassait pas les limites de la bienséance. Il n’y a rien qui circule de cette nature là sur d’autres hommes politiques. On prête beaucoup de relations extra-conjugales mais rien sur le harcèlement, les lourdeurs, les consœurs qui se plaignent d’avoir fait l’objet de sollicitations sexuelles. DSK, ce qui était dingue c’était la répétition. Il faut bien distinguer ce qui relève de la drague et ce qui relève de comportements inappropriés. Tout à l’heure je disais à la radio que DSK passait son temps à envoyer des SMS à des femmes qu’il sollicitait. Réaction d’un lecteur qui m’envoie un mail: « Si on en peut plus envoyer de SMS on ne peut plus draguer ». Si une femme vous dit: « arrêtez de m’envoyer 3 SMS par jours sinon je porte plainte », si vous ne comprenez pas que vous êtes dans le harcèlement, vous êtes un crétin !

bqhidden. Si une femme vous dit: « arrêtez de m’envoyer 3 SMS par jours sinon je porte plainte », si vous ne comprenez pas que vous êtes dans le harcèlement, vous êtes un crétin !