25/10/2016

Dans la cabane, c’est prix libre le midi et gratos le soir

Le Khyber Darbar, dernier restaurant de la jungle

Par Tomas Statius ,
Par Pierre Gautheron

Depuis le mois d'avril, Sohail tient son resto au cœur de la jungle. Une vraie PME informelle où serveurs et cuistots sont rémunérés et qui sert chaque midi une soixantaine de couverts.

Calais (62) – Il est 13h30 et c’est le coup de feu au Khyber Darbar Restaurant, l’une des gargotes les plus populaires de la jungle. Poulet tandoori, dal, légumes au curry… En salle, une cinquantaine de clients se régalent des petits plats concoctés par Sohail, le patron, et sa team de réfugiés afghans et pakistanais.

Le Khyber Darbar, la bonne adresse des bénévoles de la jungle / Crédits : Pierre Gautheron

Bien enfoncé dans un canapé en cuir installé à l’entrée du resto’, le maître des lieux zieute son équipe en mâchonnant son stylo. A l’affût du moindre détail, il reprend ses serveurs quand il juge que le service n’est pas à la hauteur. « J’emploie 7 personnes ici, ils viennent tous de la jungle de Calais. Et je les paie », annonce fièrement l’homme à la tête d’ours mal léché, quand on engage la conversation.

Toutes les tables sont prises / Crédits : Pierre Gautheron

Last shop standing

A une semaine du démantèlement, l’entrée de la jungle a des allures de ville fantôme. Jadis, les vendeurs de naan et les épiciers peuplaient la rue principale du bidonville. Aujourd’hui les échoppes sont vides.

Le Khyber Darbar est l’un des derniers restaurants à rester ouvert malgré l’imminence de l’intervention de la police. Devant l’entrée de cette grande cabane recouverte d’une bâche verte, une dizaine de réfugiés bullent après s’en être mis plein la panse. Sohail l’a promis à ses clients : il essaiera de rester ouvert le plus tard possible. Parole tenue, ce mardi 25 octobre, le resto est le dernier de la jungle à ne pas avoir tiré le rideau de fer :

« Quand il faudra fermer, je veux donner mon matériel de cuisine à des ONGs. »

OKLM sur l'une des banquettes installées dans le resto / Crédits : Pierre Gautheron

Sohail, c'est tous les jours qu'il se décarcasse / Crédits : Pierre Gautheron

Prix libre le midi, gratos le soir

« J’ai commencé à construire le Khyber Darbar le jour de mon arrivée à la jungle. C’était le 8 avril 2016 », rembobine Sohail, l’air bougon sous son bonnet en polaire. Les poutres recouvertes de papiers cadeaux dorés, les peintures qui ornent les murs en bois, les tables, les chaises et les batteries de casseroles… C’est lui qui a tout trouvé :

« J’ai payé une partie du matos de ma poche. »

Depuis son ouverture, le resto a la cote. Chaque midi, il accueille une soixantaine de clients, réfugiés ou bénévoles, à des prix défiant toute concurrence. Lors de son passage StreetPress a payé 2 euros pour deux thés et deux naans tout chauds. « Je viens ici tous les jours » s’enthousiasme Enrika, une jeune lituanienne qui bosse pour une ONG britannique :

« Beaucoup de bénévoles organisent des réunions dans ce restaurant. »

Au mur un drapeau du Soudan et une tapisserie chelou / Crédits : Pierre Gautheron

Le soir, la clientèle change du tout au tout explique Sohail. Après la tombée de la nuit, le resto’ se remplit d’habitants de la jungle auxquels le patron offre à manger. C’est la redistribution des richesses à la mode jungle. Après le repas, la salle reste ouverte jusque tard dans la nuit. « On organise des fêtes, des projections de films de Bollywood ou des comédies romantiques » explique le maître des lieux :

« On veut donner de la joie aux gens. Je ne crois ni aux nationalités, ni aux religions. Moi je crois à l’humain. Je veux créer du lien. »

Le patron ne sait pas ce qu’il va faire

Quand on propose à Sohail de poser pour la traditionnelle photo du patron derrière son comptoir, il décline. Gentiment mais fermement :

« C’est mieux que les gens de ma famille ne sachent pas vraiment ce que je fais ici »

I'm sending an SMS to the world / Crédits : Pierre Gautheron

Sohail reste évasif sur les raisons qui l’ont poussé à fuir son pays, le Pakistan. « C’est trop long et compliqué » invoque-t-il quand on l’interroge sur le sujet. Il concède tout juste que là d’où il vient la situation est chaotique :

« Au Pakistan, il n’y a pas d’Etat. Ce sont les militaires qui font la loi. »

Sohail a déposé une demande d’asile à son arrivée en France. Coincé à la jungle faute de mieux, il attend toujours une réponse de l’Ofpra. Quand on l’interroge sur la suite de son parcours, il fronce les sourcils :

« Je ne me pose pas vraiment la question de savoir ce que je ferais après. Je prends les choses l’une après l’autre. J’ai toujours fonctionné comme ça. »