31/03/2017

Notre squat va être expulsé, et les mineurs sans pap’ qu’on héberge avec

Par Alexandre Gain ,
Par Alice Maruani

Fin de la trêve hivernale : le squat L’Amour va être expulsé. Sauf qu’avec les artistes vivent vingt mineurs étrangers, qui vont se retrouver à la rue.

C’est la fin de L’Amour. Depuis le 14 février, notre squat ouvert il y a deux ans et demi à Bagnolet est officiellement expulsable. Et avec la fin de la trève hivernale ce samedi 1er avril, la dernière barrière juridique vient de tomber. Bref, on risque de se faire déloger d’un jour à l’autre.

Sauf qu’avec nous, c’est une vingtaine de mineurs qui vont être mis dehors. Oui, des mineurs sont à la rue, et sans aucune protection de l’Etat. C’est scandaleux, et évidemment illégal. Depuis trois mois, on accueille à L’Amour les jeunes migrants isolés qui n’ont pas d’autre solution d’hébergement.

On a voulu arrêter les expos pour faire un truc utile

A la base ici, c’est un squat d’artistes, un truc de bobos. Mais en voyant le nombre de réfugiés, notamment mineurs, augmenter, et le mercure du thermomètre baisser, on s’est dit qu’il fallait arrêter les conneries.

A -5°C dehors, quand on a de l’espace, c’est bien mignon l’art contemporain mais mieux vaut faire quelque chose d’utile. On a arrêté les expos et on a monté un dortoir et organiser l’espace pour les accueillir.

Le dortoir de L'Amour pouvait accueillir une vingtaine de jeunes / Crédits : Céline Fantino

Les jeunes nous sont envoyés par la Timmy — la team mineur du collectif d’aide aux migrants le CPSE. Ce sont des jeunes isolés. Des enfants de 15 ou 16 ans qui ont fui la guerre ou des situations compliquées et se retrouvent seuls à Paris. Les vingt jeunes accueillis, s’ils n’étaient pas chez nous, seraient à la rue.


« Les pouvoirs publics ont considéré qu’ils étaient majeurs, même avec des papiers d’identité et leur gueule de poupons. »

Alex, squatteur.

Ils n’ont pas d’autres solutions. Soit ils sont en attente d’évaluation de leur minorité, soit l’Etat à refusé de reconnaître qu’ils ont moins de 18 ans, après un seul entretien.

Les pouvoirs publics ont considéré qu’ils étaient majeurs, même avec des papiers d’identité et leur gueule de poupons. En attendant leur recours pour être reconnus mineurs étrangers isolés, ils n’ont le droit à aucune protection, rien.

Pour autant, et ça montre tout le paradoxe, on a dû cacher au grand public ce qu’on faisait ici : on n’a pas le droit d’héberger des mineurs chez soi comme ça. L’infraction relève du pénal.

Dès qu’un jeune passait devant le juge et obtenait une protection de l’Etat, il s’en allait. Même si la plupart repassaient régulièrement nous faire coucou. C’est devenu un repère pour eux qui n’en ont aucun, leur lieu de vie.

L’Amour est leur seule maison

Cette expérience a été très positive. On n’a eu aucun problème, aucune bagarre, rien. Ils se répartissaient les tâches ménagères. Pourtant ce sont des ados qui vivent en communauté.

Ici, ils étaient chez eux. Ils avaient un endroit où laisser leurs affaires, ils jouaient aux cartes, participaient à des ateliers, des cours ou des activités sportives qu’on organisait. Bref, ils passaient du bon temps, et ils en avaient tous bien besoin.

Devant le foot. / Crédits : Céline Fantino

Cette solution permettait aussi aux associations de savoir où ils sont et de passer les voir, donc de suivre leurs dossiers plus efficacement.

Les jeunes ne peuvent pas être confrontés à la police

Mais on arrive au bout de l’aventure. On savait que ça arriverait. On avait les moyens de les aider, on a pris le temps de le faire et on a dépensé de l’argent aussi. Mais là, on arrive au bout de nos moyens, au bout de nos forces, au bout de nos comptes en banque. Et au bout du bâtiment aussi, dont on va se faire jeter.

Il a fallu s'organiser pour faire la cuisine aux nouveaux arrivants. Ici, deux Italiens sont venus préparer du veau. / Crédits : Céline Fantino

On pourrait ouvrir un autre squat et les emmener avec nous mais c’est beaucoup trop dangereux pour eux. Au début et tant que le squat n’est pas sécurisé juridiquement, on peut se faire expulser d’un jour à l’autre. Nous, on est des petits blancs en France, il ne peut rien nous arriver de grave. Mais pour eux, gamins sans papiers, pris en flagrant délit d’occupation illégale, le risque serait énorme.


« Même si l’hébergement privé est pour nous un devoir citoyen, ce n’est pas une solution durable ni souhaitable. »

Alex, squatteur.

C’est aussi pour ça qu’on ne veut pas attendre d’être réellement expulsés pour les héberger ailleurs. Il faut à tout prix leur éviter la confrontation avec la police.

Il y a des centaines de mineurs à la rue à Paris

On profite de notre expulsion pour montrer ce que l’Etat fait semblant de ne pas voir : il y a des mineurs qui sont seuls et à la rue. Ils sont des centaines à Paris dans cette situation. On ne les voit pas parce que les associations les hébergent. Ils sont chez des gens où à l’hôtel, trimbalés d’une chambre à une autre. Même si l’hébergement privé est pour nous un devoir citoyen, ce n’est pas une solution durable ni souhaitable.

Des cours de français étaient organisés pour les jeunes / Crédits : Céline Fantino

Il faut que la région et la ville de Paris les prennent véritablement en charge. Ce qui veut dire bien plus que des papiers et un toit. Ils ont besoin d’être accompagnés, scolarisés et suivis psychologiquement car beaucoup ont vécu des choses horribles. Horribles.

Mais même s’ils n’étaient que dix jeunes dans cette situation, cela nécessiterait une action politique. Tous les jours, des élus prennent la parole à la télé pour défendre des personnalités dont tout le monde se fout. Quand est-ce que l’un d’eux l’ouvrira pour défendre ces jeunes ?

« Mais il y a un vide juridique pour les jeunes qui attendent leur jugement après avoir été rejeté à l’entretien d’évaluation de leur minorité, explique Espérance, membre du CPSE à Streetvox. Ils ne sont alors protégés ni comme mineurs ni comme majeurs. Par exemple, le centre pour migrants Hidalgo est réservé aux majeurs, tout comme le 115.

Les associations essayent tant bien que mal de les aider et de leur trouver un hébergement de fortune. Mais ça n’est pas une solution. La France doit mettre en œuvre la présomption de minorité, recommandée par le Défenseur des droits : n’importe quel jeune qui se dit mineur doit être traité comme tel en cas de doute, jusqu’à ce que sa majorité soit prouvée. Bref, il faut appliquer le droit. »