30/06/2023

« Les haters homophobes ne vont pas m’empêcher de dormir »

Géronimo, candidat de télé-réalité bi et fier

Par Lina Rhrissi

À 22 ans, le mannequin et étudiant en com’ est le premier homme ouvertement bisexuel à participer à « La Villa » sur TFX. Son but ? Casser les stéréotypes de genre dans la télé-réalité.

« La tension est un petit peu trop hot pour moi. Je suis timide de ouf… » Géronimo est en mode séduction. La soirée bat son plein. Il a jeté son dévolu sur son ex, Pharell. Quelques secondes plus tard, les deux hommes s’embrassent devant la caméra. Cette séquence de La Villa, une télé-réalité de dating diffusée en mai dernier sur TFX, a fait un million de vues sur Twitter. « Du black love GAY sur une chaîne nationale ? Alors là, go regarder en replay tout de suite », commente une twittos.

Géronimo, 22 ans, mannequin et étudiant en communication, devient le premier candidat masculin ouvertement bisexuel de La Villa – anciennement « La Villa des cœurs brisés ». « Je suis quelqu’un qui aime beaucoup les femmes, j’aime aussi beaucoup les hommes », dit-il dans le générique de cette saison huit. Quand la prod’ contacte le jeune homme en novembre 2022, il hésite et appelle sa mère pour lui demander conseil. « Est-ce que je devrais dire que je suis bisexuel ? » Elle lui répond :

« Fonce, tu n’as rien à cacher. »

La Villa des queers brisés

Le concept de la Villa ? Quatorze personnes inconnues passent un mois dans une luxueuse propriété au Mexique dans le but de rencontrer l’amour et de régler leur « problématique », aidées par une love coach. « Le casteur était agréablement surpris quand je l’ai rappelé pour lui dire que j’étais bi », raconte Géronimo, qui est devenu l’une des coqueluches de l’émission : il est le bon pote, à la fois dragueur et blagueur.

« Je ne suis pas sûre que j’aurais validé le profil de Géronimo il y a dix ans – par rapport aux commentaires désagréables des téléspectateurs, voire plus. Aujourd’hui, c’est possible parce qu’il a les épaules et qu’il y a une communauté LGBTQI+ derrière lui pour le soutenir », détaille Lucie Mariotti, la fameuse « coach love » et vedette de l’émission. Elle se décrit elle-même comme « fluide » et aurait poussé pour plus de candidats LGBTQI+ au casting.

Ces dernières années, l’image de la télé-réalité française a été entachée par les scandales de violences sexuelles et les arnaques des « influvoleurs ». Les scénarios hétéronormés et répétitifs de candidats qui se ressemblent tous ont également lassé les téléspectateurs, qui se tournent vers les programmes plus progressistes des plate-formes anglo-saxonnes. Résultat : les audiences des programmes télés sont en chute libre, comme l’explique cet article de Libération.

C’est pour essayer de contrer cette tendance que La Villa a fait le pari d’une émission plus inclusive et composée d’anonymes. Aux côtés de Gero, Jade, 25 ans, est la première personnalité transgenre du programme. « J’ai accepté de participer parce que je me suis dit que j’allais passer un message fort », explique la grande brune bavarde qui a grandi à Auxerre :

« C’était très compliqué pour moi en province. Les gens ne sont pas informés. Tout le monde ne sait pas ce qu’est une personne transgenre, mais tout le monde regarde la télé ! »

Pour Constance Vilanova, journaliste spécialiste de la télé-réalité, ces nouvelles représentations sont « hyper importantes et symboliques ». « Si tu remontes au Loft, il y avait le candidat gay Stevy avec sa peluche. C’est devenu un stéréotype qui a motivé les casteurs dans la télé-réalité », décrypte la journaliste :

« À l’époque, c’était positif car on était au début des années 2000. Le problème, c’est que ce stéréotype est resté le seul pendant très longtemps. »

Le 21 juin 2023, la diffusion de La Villa n’est pas encore terminée que Geronimo tourne déjà une vidéo virale avec le studio de la marque de cosmétiques LGBT friendly Merci Handy, dans le 10e arrondissement de Paris. / Crédits : Lina Rhrissi

Un candidat cosmopolite

Geronimo est né à Trinité-et-Tobago, dans les Caraïbes, et parle couramment anglais. Après le tournage au Mexique, il a enchaîné sur un deuxième programme, cette fois anglophone : « Made in Chelsea », diffusé sur la chaîne britannique E4. Le show suit des vingtenaires pendant un an dans leur vraie vie en Grande-Bretagne. « La télé anglaise, ça n’a rien à voir ! », tranche le Français qui a participé à leurs vacances en Corse. « Dans leur télé-réalité, il y a un couple gay, des bi… Surtout, on peut parler beaucoup plus librement de sexualité. » Sur le tournage de La Villa, pendant son coaching avec Lucie Mariotti, Geronimo se souvient avoir révélé qu’il était dans une relation libre. « Mais ils l’ont coupé au montage ! »

Constance Vilanova n’est pas étonnée : « Les Anglo-saxons sont plus trashs mais aussi plus ouverts. Ils n’ont pas attendu 2023 pour avoir des candidats racisés avec des identités de genre multiples ». Et de citer « The Ultimatum : Queer Love », une émission de dating américaine avec uniquement des candidats LGBTQI+, qui cartonne en ce moment sur Netflix. « Les boîtes de prod’ françaises lissent leur image sur les identités de genre et la sexualité, mais pas sur les clashs et le harcèlement », note la chroniqueuse Constance Vilanova.

Influenceur LGBTQI+

Ton signe astro ? « Bélier. » Ta musique du moment ? « Amapiano. » Ton idole ? « Beyoncé ! » Le 21 juin 2023, la diffusion de La Villa n’est pas encore terminée que Geronimo tourne déjà une vidéo virale avec le studio de la marque de cosmétiques LGBT friendly Merci Handy, dans le 10e arrondissement de Paris. Comme tous les candidats, le grand brun a vu son nombre de followers exploser sur Ies réseaux sociaux. 38.000 sur Instagram, 75.000 sur TikTok. En un rien de temps, il est devenu influenceur. Mais les placements de produits arriveront plus tard dans son développement de carrière. « Je veux faire attention à quel produit », assure-t-il. Pour l’instant, il veut être un rôle model sur TikTok :

« Je veux dire aux jeunes qui n’ont pas encore fait leur coming out : c’est OK si aujourd’hui tu ne t’assumes pas. Le plus important est d’aller vers la lumière et d’essayer d’être une meilleure version de toi-même. »

C’est ce qu’il aurait voulu entendre. Son adolescence à Marseille (13) a été difficile. Ses cheveux bouclés le complexent, mais pas autant que sa sexualité : « Je n’avais pas mué, je lissais mes cheveux longs. Les autres voyaient ma différence et se moquaient, genre : “On dirait une fille”. » Il y a aussi ce traumatisme, qu’il raconte dans le deuxième épisode de La Villa. En primaire, son meilleur ami lui explique qu’ils ne peuvent plus traîner ensemble. « Mon grand frère a dit que tu étais un pédé ». À 14 ans, les brimades poussent le métis à couper ses cheveux et à rentrer dans le rang. « J’ai commencé à encore plus refouler ma sexualité et qui j’étais réellement. Ça a marché, je n’avais plus toutes ces moqueries. » C’est à 17 ans qu’il vit sa première histoire avec un garçon et décide d’arrêter de « faire semblant ».

« Je veux dire aux jeunes qui n’ont pas encore fait leur coming out : c’est OK si aujourd’hui tu ne t’assumes pas. Le plus important est d’aller vers la lumière et d’essayer d’être une meilleure version de toi-même. » / Crédits : Lina Rhrissi

Haters homophobes

Ses débuts à la télé auraient pu faire remonter tous ces mauvais souvenirs. Sans surprise, son baiser avec Pharell a créé autant de réactions positives que négatives. « Une honte si cela passe à la télé ! » ; « Montrer ça en prime time sur une chaîne gratuite c’est juste abusé ! Ça devrait être pour un public averti » ; « Je regardais la Villa des cœurs brisés avec ma petite fille, vient la scène des deux homosexuels Géronimo et l’autre où ils s’embrassent, l’enfant a crié : “Ich deux garçons”, j’ai dû lui dire que c’est le diable, c’est satan »… Le candidat réagit, sûr de lui :

« Des cons qui me descendent parce que j’ai embrassé un mec ne vont pas m’empêcher de dormir. »

Géro a eu le sentiment que les insultes venaient en particulier d’utilisateurs afro-descendants ou venus du continent africain, ce qui l’attriste. « Au lieu de se soutenir entre racisés, on se fait la guerre. » À l’inverse, c’est en Afrique francophone qu’il se sent le plus utile. « Je reçois énormément de messages de personnes LGBTQI+ qui habitent au Gabon, au Mali… Ce sont mes followers les plus fidèles ! » Et d’ajouter :

« Je sais dans quoi je me suis embarqué en me médiatisant. S’il faut que je sois la personne qu’on insulte sur les réseaux sociaux, je serais cette personne. »