20/03/2024

« Au parloir, des femmes m'ont reconnu »

« Mon mari est en prison » : les femmes de détenus se serrent les coudes sur TikTok

Par Elisa Verbeke

Les maris de Maeva, de Kelly et d’Hafida sont en prison. Subitement confrontées au milieu carcéral et à la solitude, ces jeunes femmes ont trouvé du soutien, des conseils et de nouvelles amitiés sur TikTok.

« Le plus dur, c’est l’après-parloir, quand les gardiens viennent le chercher », confie Sophie (1). 18 ans que son fiancé est enfermé pour homicide. Autant d’années à l’attendre, lui, les parloirs et les permissions exceptionnelles. Il en a encore pour six années. « Alors quand je reviens de la prison, je fais un post sur TikTok, pour prévenir mes copines que ce n’est pas la forme. Comme ça, elles m’envoient un message », avoue la femme de 45 ans, qui vit à 900 km de la prison de son fiancé. Ses « copines », c’est sur la plateforme qu’elle les a rencontrées. Avant les réseaux, où elle est suivie par 2.500 personnes, Sophie n’avait qu’une amie femme de détenu, rencontrée dans la décennie 2010 pendant une visite au parloir. À son divorce, plus de nouvelles. « Elle ne veut plus être confrontée au milieu carcéral », analyse Sophie. Sa voix s’abaisse d’un coup : « Je la comprends, mais elle me manque ».

« Je ne pensais pas qu’il y avait autant de femmes de détenus », raconte Maeva, 22 ans – en France, au 1er janvier 2024, près de 76.000 détenus sont incarcérés, un record. Un matin de septembre 2023, sans qu’elle ne s’y attende, la police interpelle son mari à leur domicile dans l’Indre (36). Garde à vue, mandat de dépôt et direction la prison. Du jour au lendemain, la jeune se retrouve toute seule avec ses enfants de trois et quatre ans. Elle se met à parler de son nouveau quotidien sur TikTok, grâce au hashtag #FemmeDeDetenu, qui regroupe presque 2.000 vidéos et ses créatrices de contenus stars. Entre autres, Clara, 275.000 abonnés, Eden et ses 32.000 abonnés ou Lina et ses 34.000 abonnés. Sur leurs feeds, des légendes d’amoureuses agrémentées d’émojis cœur ou des doubles chaînes, symbole 2.0 de la prison.

Maëva se met à parler de son nouveau quotidien sur TikTok, grâce au hashtag #FemmeDeDetenu, qui regroupe presque 2.000 vidéos. / Crédits : Capture d'écran TikTok

Maeva organise aussi des lives. Un jour, elle y rencontre Kelly, 21 ans, qui habite à 500 km. « Kelly m’a posé des questions sur la prison et son premier parloir. » « Qu’est-ce qu’on a le droit ou non de ramener ? » « la prison m’a refusé mon sac parce qu’il avait un tout petit trou ! » autant de questions auxquelles répond la créatrice de contenu improvisé. Souvent très jeunes, – à l’instar de l’âge moyen des détenus : en 2022 près de la moitié d’entre eux ont moins de 30 ans. en France – ces femmes sont confrontées à l’univers carcéral parfois jargonneux. UVF, Cap, Spip,… une flopée d’acronymes et de sigles à décoder. « Nous sommes beaucoup à être dans le flou », observe la jeune Maeva. Si quelques groupes Facebook existent pour échanger et trouver des conseils et des solutions, aucune association nationale ou organisation n’existent pour accompagner les proches de détenus.

« Kelly est devenue une amie proche », raconte Maëva. Ce jour-là, la copine est descendue d’Alsace pour passer la semaine chez elle. Maeva allume le haut-parleur pour qu’elle prenne la parole : « Mon futur mari n’est pas Français, et il est en prison ». Sa famille n’a pas accepté son choix de nourrir cette relation difficile. Alors avec Maëva, elles s’appellent « tous les jours » pour se donner des nouvelles et se raconter leurs journées. Une troisième femme est même venue compléter ce trio d’inséparables :

« Toute seule, c’était compliqué. »

Mieux vaut en rire qu’en pleurer

« Je me suis dit qu’il valait mieux en rire qu’en pleurer. » Hafida Paris, une des épouses de détenus les plus suivies du réseau – déjà apparue dans une vidéo de StreetPress sur les femmes de détenus – fait des vlogs de ses colis de Noël pour son mari, donne des conseils ou se confie en live. TikTok fait partie de sa vie depuis longtemps : avant la détention, son mari et elle se mettaient volontiers en scène pour des challenges. Son beau Karl, qu’elle compare fièrement avec Chris Brown – sourire en coin éclatant, apprêté avec soin – a été incarcéré pour deux ans, seulement trois mois après leur mariage. Fini les vidéos romantiques. Désormais, Hafida explique le fonctionnement du parloir : « Comment j’ai été au courant ? Je les ai appelés. Ce ne sont pas eux qui m’ont appelée », indique-t-elle dans une autre vidéo. La vingtenaire souriante et grande amie de Marwa Loud affirme :

« Mes vidéos peuvent aussi remonter le moral de femmes dans la même situation que moi. »

« Quand j’allais au parloir, des femmes me reconnaissaient, c’était très positif. On discutait beaucoup de leurs histoires », embraye Naïma (1), 8.000 abonnés. Son copain est sorti depuis peu, mais pendant ses deux ans d’incarcération, Naïma qui n’avait pas encore 20 ans, crée du contenu. Certaines vidéos comptabilisent aujourd’hui des centaines de milliers de vues. Ce qui marche le mieux ? Le vlog de son après-midi à Action, pour préparer le colis de grignotages de son amoureux ; les vidéos à texte sur ce que ça fait d’être une femme de détenu : « Je raconte mon histoire pour partager ce que je vis et faire de la visibilité. »

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« On s’attend pas à partir en dépression »

« Bien évidemment, quand on est exposées, les haters sont toujours là », concède Hafida. Maeva a carrément mis en pause ses lives :

« J’ai pris une vague de haine. J’en ai pleuré. »

La jeune maman ne s’attendait pas à « partir en dépression à cause des gens malveillants ». Elle est la cible de commentaires racistes. Son mari est insulté parce qu’il est Maghrébin et incarcéré. On lui pose des questions intrusives : « Ça me fait peur, parce qu’il y a tellement de personnes sur les réseaux, impossible de savoir jusqu’où ils peuvent aller. »

« C’est bien fait pour toi et pour lui », « c’est ce que vous méritez », reprend Hafida, qui cite les commentaires qu’elle a déjà lu, très exposée du haut de ses dizaines de milliers d’abonnées. Sur la plupart de ses vidéos, même sur celles où elle n’aborde pas le milieu carcéral, les commentaires malveillants pullulent. « On me dit que c’est un déchet de la société, que je gâche ma vie à l’attendre », raconte Sophie. « Des fois, pour un post, j’ai 70 messages bloqués… Au début, je prenais la peine de répondre, mais ça ne sert à rien. » « Pour les gens, si ton mari est en prison, c’est forcément qu’il a fait quelque chose de très grave », analyse la jeune Naïma qui finit par trancher :

« Il y a des haters, mais ça m’a surtout apporté des rencontres avec les autres femmes et du positif. »

(1) Les prénoms ont été changés.