Malgré les critiques, le groupe Casino a maintenu son partenariat d’arrondi en caisse pour financer Espérance banlieues. Un réseau d’écoles privées hors contrat pourtant accusé d’humiliations et de violences.
C’est un geste du quotidien devenu banal : à chaque passage en caisse, un message s’affiche et propose d’arrondir la note au demi-euro supérieur pour soutenir différentes causes. Fin août et tout au long du mois de septembre, dans les magasins du groupe Casino comme Monoprix, Franprix et Naturalia, cette opération visait à lutter « contre le décrochage scolaire » au profit d’une association d’écoles privées hors contrat bien particulière, Espérance banlieues.
Fondé en 2012 par Éric Mestrallet, proche du catholique d’extrême droite vendéen Philippe de Villiers, le réseau Espérance banlieues se présente comme étant un « acteur complémentaire de l’Éducation nationale » œuvrant pour « l’équité scolaire et culturelle ». Derrière cette façade consensuelle se dissimule un projet éducatif plus idéologique faisant réagir certaines associations.
Sur Instagram, le collectif Le Mouvement dénonce le financement par Casino d’un « réseau accusé de racisme, d’humiliations et de violences contre des enfants ». Il appelle à « rompre immédiatement ce partenariat » pour soutenir « des causes réellement inclusives ». Latifa Oulkhouir, directrice de la plateforme, qualifie ce soutien d’« incompréhensible » :
Arrondir en caisse, « pas un geste neutre »
Malgré les critiques, le groupe dirigé par le milliardaire Daniel Kretinsky — avec l’aide du Français, Marc Ladreit de Lacharrière, et du fonds d’investissement Attestor — n’a apporté aucune réponse publique et a laissé la campagne se poursuivre à son terme.
Casino se dit loin des « polémiques politiques »
Contacté par StreetPress, le groupe Casino ânonne son message déjà visible sur les lecteurs de carte bleue : il veut « soutenir des initiatives concrètes contre le décrochage scolaire ». Le réseau Espérance banlieues est d’ailleurs référencé depuis 2020 par « L’Arrondi », une solution de micro-dons en caisse développée par microDON, une filiale de La Banque Postale (1). Lancé en 2009, ce dispositif permet aux enseignes de choisir librement les causes soutenues et la durée des collectes, l’intégralité des dons étant reversée aux associations sélectionnées. Dans ce cadre, Casino précise qu’Espérance banlieues bénéficie de l’opération « au même titre que d’autres associations œuvrant pour l’éducation et l’insertion ». La structure, qui compte aujourd’hui 17 écoles en France, affirme vouloir « sauver les quartiers » en combinant l’« éducation » et un « attachement à la culture française ».
Au téléphone, une communicante déroule ses éléments de langage : Casino ne souhaite « pas s’engager dans des polémiques politiques » et refuse « d’être instrumentalisé », malgré son choix. L’entreprise revendique une « stricte neutralité » et assure qu’une « vérification approfondie » est systématiquement menée dès qu’une controverse surgit. Selon Casino, ces « revues » n’ont à ce jour « pas conduit à remettre en cause l’éligibilité de l’association » lors de la campagne en septembre.
L’entreprise affirme que toutes les actions financées sont « suivies et encadrées de manière transparente ». Une transparence qui, en pratique, ne va pas jusqu’à informer les clients sur la nature exacte d’Espérance banlieues et sur les polémiques ou enquêtes judiciaires la concernant.
Écoles traditionalistes proches de la droite conservatrice
En 2022, le média OFF Investigation dénonce des établissements « qui rêvent de franciser les petits musulmans ». Ce réseau d’écoles privées hors contrat se présente comme une alternative au système scolaire public et revendique une éducation dite traditionaliste : uniformes, hymne national, montée du drapeau, classes limitées à 15 élèves et coût modeste pour les familles. En 2023, quatre d’entre elles ont déposé plainte contre la direction pour « violences volontaires sur mineurs », « harcèlement moral » et « dénonciation calomnieuse », révèle Médiapart. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Pontoise dans la foulée. Contacté, le parquet indique qu‘« aucune suite n’a été donnée à cette procédure qui est toujours en cours » (2). De son côté, Espérances banlieues n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
En 2025, StreetPress a rappelé que le réseau s’appuie sur un financement conséquent de mécènes privés comme Gérard Mulliez, Bouygues Telecom, Axa, Vinci, Fondation Bettencourt Schueller, tout en bénéficiant de fonds publics. Depuis 2017, la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée jusqu’en 2024 par Laurent Wauquiez, a versé au moins 870.000 euros à deux écoles locales frôlant l’illégalité des subventions accordées aux écoles privées hors contrat.
(1) Contacté, le dispositif n’a pas donné suite aux sollicitations de StreetPress.
(2) Ajout le 4 novembre 2025 à 13h58.
Illustration de Une de Timothée Moreau.
Nommément mis en cause à travers un article publié le 4 novembre 2025, l’association Espérance banlieues entend apporter les précisions suivantes au titre du droit de réponse…
1. Contrairement à ce qu’affirme le titre de l’article, les écoles Espérance banlieues ne sont pas « proches de la droite conservatrice ». Elles sont totalement apolitiques.
2. Contrairement à ce que laisse supposer l’image d’illustration et l’URL de l’article, les écoles Espérance banlieues ne sont pas « catholiques ». Elles sont totalement aconfessionnelles.
3. Espérance banlieues ne poursuit aucun autre projet que celui consistant à lutter contre le décrochage scolaire et à permettre aux enfants de territoires défavorisés de grandir dans un cadre qui valorise leurs talents et transmet les valeurs de la République.
4. Le fondateur du réseau n’est particulièrement proche d’aucune personnalité politique nationale mais rencontre toutes celles que le projet Espérance banlieues intéresse.
5. La pédagogie en usage dans les écoles du réseau n’est pas particulièrement « conservatrice ». Les approches pédagogiques de nos écoles sont issues de méthodes qui ont fait leur preuve à l’étranger et sont promues par l’éducation nationale.
6. Le réseau Espérance banlieues n’est pas « accusé d’humiliations ou de violences ». Une famille, en rupture avec le projet pédagogique, a déposé il y a trois une plainte infondée contre une école du réseau. A ce jour cette plainte n’a donné lieu à aucune mise en cause. La gravité de telles accusations aurait nécessairement entraîné une instruction rapide si des éléments sérieux avaient été retenus.
7. L’opération d’ « arrondi en caisse » mise en place au profit de notre réseau est totalement transparente. Le dispositif est exactement le même que pour toutes les autres associations : le nom de l’association est explicitement mentionné dans la proposition faite au client et sur tous les supports de publicités présents dans les lieux de vente.
8. Le financement de notre réseau et des écoles Espérance banlieues ne « frôle » nullement « l’illégalité » : il est au contraire parfaitement régulier et transparent, en témoigne notre rapport d’activité et notre rapport financier annuel, disponibles sur notre site. Le réseau est d’ailleurs souvent l’objet d’inspections et de contrôles comme toutes écoles en général auxquels il se prête volontiers.
9. Les subventions évoquées dans l’article sont attribuées sur des projets précis de soutien à la citoyenneté et la parentalité, axes d’action nationaux auxquels notre réseau contribue. Le montant des subventions indiqué est inexact : au total, 570 000 € ont été attribués depuis 2016 à deux établissements, ce qui représente en moyenne 28 500 € par an pour chacun.