Bienvenue au Chinese Business Club, un cercle d’affaires très exclusif mais pas excluant. Au cours des déjeuners mensuels huppés où des entrepreneurs peaufinent leur réseau, bon nombre de figures du RN et du milieu identitaire y ont leurs habitudes.
« Allô ? Bonjour, Harold Parisot au téléphone. J’ai entendu dire que vous cherchiez des informations sur le Chinese Business Club. Je me suis dit que j’étais sans doute le mieux placé pour y répondre ! » Aucun doute, le réseau de ce club d’affaires très couru, initialement dédié au business entre entrepreneurs chinois et français, fonctionne bien. Il a suffi de contacter trois ou quatre membres pour que son fondateur en personne décroche son portable et vienne cerner de plus près ce que StreetPress lui veut.
C’est qu’au sein de ce cercle où s’entrecroisent entrepreneurs de la tech, du marketing, du luxe, du conseil, on trouve aussi régulièrement des figures de la droitosphère, et pas seulement celles du type « pages saumon du “Figaro“ ». Au premier plan, il y a l’invité d’honneur de décembre 2024, Jordan Bardella, alors en pleine tournée des cercles patronaux pour les assurer de la crédibilité du programme économique du RN. Harold Parisot détaille :
« À ma grande surprise, j’ai croulé sous les demandes ! »
Aimable, volubile, le créateur du Chinese Business Club a le contact facile de ceux qui en ont fait une carrière. Chaque mois, il accueille 200 à 300 convives pour un cocktail debout suivi d’un déjeuner — souvent, sous le dôme scintillant de la salle de bal de l’Intercontinental Opéra, hôtel 5 étoiles dans le 9e arrondissement de Paris. Créé en 2012, le « Chinese » est une affaire d’habitués ; près de 140 entreprises s’acquittent d’une cotisation annuelle, qui débute à 9.500 euros. On y trouve des grands hôtels comme le Meurice et le Peninsula, ou encore Air France, Clarins, Accor Arena, l’Essec. Champagne et huîtres à volonté pour commencer, menu raffiné à table, et pour finir un macaron Pierre Hermé ou un millefeuille. De l’avis général, on est bien reçu. Des cartes de visite s’échangent, et dans la foulée, des ajouts sur LinkedIn prolongent la rencontre.
Les invités mondains et les entrepreneurs du Chinese peuvent côtoyer des personnalités d'extrême droite comme la présentatrice de CNews Christine Kelly ou le député RN Alexandre Loubet et Jordan Bardella. / Crédits : DR
Rassemblement national et radicaux
Un poil embarrassé par nos questions, le fondateur de l’autoproclamé « premier réseau d’affaires du pays » — qu’il définit comme « totalement apolitique et 100 % business » —, réfute tout penchant favorable à l’extrême droite. Pourtant, sur les listes d’invités imprimées sur un élégant papier plié en quatre, des noms sont récurrents. Plusieurs participants confirment leur présence régulière, comme le député RN Julien Odoul ; le fondateur de la branche jeunesse du parti d’Éric Zemmour, Stanislas Rigault ; l’avocat pénaliste très droitier, Thibault de Montbrial ; l’eurodéputé RN, Matthieu Valet, aperçu à un déjeuner en train de discuter avec la commissaire et syndicaliste policière, Linda Kebbab.
Le fondateur du Chinese Business Club Harold Parisot (tout à gauche), tient à inviter des personnalités prestigieuses, entre monde des affaires et buzz. Côté paillettes, Tony Parker, Anne Roumanoff ou Sylvie Tellier s'y sont pointés. / Crédits : Instagram du Chinese Business Club
S’ajoutent toute la palette, ou presque, des médias réactionnaires : le groupe Bolloré y est souvent représenté, mais aussi l’hebdomadaire « Valeurs Actuelles » ou encore le média « Frontières ». Plusieurs d’entre eux ont tiré le portrait du fondateur, soulignant que ses invitations incluent « des députés français ou européens de tous bords politiques du centre et de la droite allant sans problème jusqu’au Rassemblement national ». Plus ponctuellement, étaient aussi de la fête Alexandre Pesey, fondateur de l’Institut de formation politique, pépinière de droite ultra-conservatrice et proche du milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin ou un profil encore plus clivant et moins orienté business, avec Thaïs d’Escufon, ancienne figure de Génération identitaire, devenue une influenceuse « tradwife » qualifiant le féminisme de « cancer ». Certains participants ont bien constaté une inclinaison du cercle vers la droite de la droite. Une participante déclare :
« On est en territoire conservateur, c’est très clair, il n’y a pas de cordon sanitaire. »
Avant d’ajouter qu’il s’agit d’un « mélange étrange : des entrepreneurs, des gens qui bossent dur, et puis une “arrière-garde” venue de la télé ». « J’ai fait la remarque à mon voisin : c’était une véritable convention trumpiste ! », témoigne Lise-Marie Ranner-Luxin, fondatrice de Rapporteuses, un site de chroniques culturelles, qui fréquente le club depuis trois ans. Elle a noté la bonne place accordée à ces figures à l’immense table centrale de banquet, réservée aux entreprises qui s’acquittent du forfait « bronze » (25 k l’année, comme on dit dans le jargon LinkedIn), « argent » (50 k) ou « or » (75 k). Un effet, pour elle, du « vu à la télé », cette loupe valorisante des médias qui mettent en avant, à travers la vaste boucle de l’empire Bolloré, les mêmes têtes :
« Plus vous êtes à la télé, plus on vous donne de l’importance. C’est la tendance actuelle, très à droite. Ces invités, on ne les voyait pas sur les plateaux il y a cinq ans. »
Des invités du tout-Paris
« Anecdotique », selon Harold Parisot, qui évoque Ségolène Royal et Arnaud Montebourg également aperçus au club. « Là, on reçoit Mélenchon au mois d’avril 2026 ! On aime ou on n’aime pas, l’idée, c’est d’ouvrir le débat. C’est important qu’il y en ait pour tous les goûts. Le but, c’est de sortir du lot, avoir un positionnement premium. » C’est avec cet art de trouver « le » nom qui attire qu’il a fait décoller son réseau, qui n’a aujourd’hui plus grand chose à voir avec la Chine. En 2015, au culot, il appelle le secrétariat pas très coopératif du ministère de l’Économie et décroche comme invité d’honneur celui qui le dirige alors : Emmanuel Macron.
À LIRE AUSSI (en 2023) : Le virage « tradwife » de Thaïs d’Escufon
Ceux qui suivent se trouvent sur cette même ligne de crête entre monde des affaires et buzz : des capitaines d’industrie de type Louis Gallois ou Pierre Gattaz, des gros poissons de la French tech comme le fondateur de Meetic, Marc Simoncini ou la créatrice de la marque de soins capillaires Les Secrets de Loly, Kelly Massol. Côté paillettes, Tony Parker, Teddy Riner et pour les « éditions spéciales femmes », autour du 8 mars, Monica Bellucci et Virginie Ledoyen.
Plusieurs participants confirment leur présence régulière, comme le député RN Julien Odoul. / Crédits : X-Twitter
En attendant, parmi les invités d’honneur, énumérés sur le site du Chinese Business Club, certains noms « trop clivant » n'apparaissent pas. Comme Alice Cordier et Mathilda du collectif fémonationaliste Némésis. / Crédits : Instagram
Et puis, à l’occasion, des profils plus politiques, comme Nicolas Sarkozy, ou sulfureux, comme Didier Raoult et l’ex-prince de l’empire Bolloré, Cyril Hanouna face au gratin de CNews. Suivi du « fils de », Yannick Bolloré, tête d’affiche de la session de septembre. Candide, Harold Parisot commente : « J’aurais préféré avoir le père en invité d’honneur, on m’a renvoyé vers le fils. » Bardella, Hanouna, Bolloré ne seraient que des produits d’appel comme les autres.
Conformément aux codes policés de ce monde, les interventions des invités d’honneur demeurent dans les clous. Assagi pour l’occasion, Cyril Hanouna a servi un discours sur l’entrepreneuriat. Puis, entre le plat et le dessert, il répond à des questions qui ne grattent pas trop non plus ; c’est souvent Bernard de La Villardière, un autre régulier, qui s’y colle. Il a été entendu en train de discuter avec Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar, pour une possible invitation sur M6. C’est ainsi que s’opère le business : pas forcément en contrats signés et en chiffres d’affaires qui gonflent mais en services rendus. Lise-Marie Ranner-Luxin résume :
« Tout ça, c’est poli, feutré, pas un mot plus haut que l’autre. C’est pas l’Assemblée nationale ! »
Pour des entrepreneurs, une opportunité
Quand on interroge quelques réguliers du « Chinese », ces échos racontent en creux comment s’intègre l’extrême droite dans les réseaux d’affaires. À bas bruit, poliment, sans se faire remarquer. « Je me suis déjà retrouvé assis à côté de Julien Odoul. Rien dans son discours ne m’a perturbé, ils savent très bien échanger avec tout le monde », dépeint Frédéric Timbert, industriel spécialisé dans le matériel de pesage, qui défend le made in France.
La stratégie d’affichage d’une respectabilité lisse, adoptée par le RN, est connue. Ce qu’en dit la bonne société LinkedIn l’est moins. Sur la même ligne que leur hôte, certains voient dans la participation de leurs membres une opportunité de mélange, voire une aimable curiosité. Laurence Clemens, coach holistique, estime : « Il y a des gens très différents chez les invités, je ne vois pas une récurrence. Je trouve intéressant qu’il y ait des polarités opposées. C’est des gens qui vont nous confronter à ce qui nous touche. » Pour une autre participante occasionnelle, des « personnalités repoussoir » telles que Bardella l’incitent à zapper certains déjeuners. Elle n’est pas sûre de revenir au Chinese. « Mais le métier d’entrepreneur est déjà tellement dur… Il faut être là où ça compte. »
Certains sont clairs : vu les sondages en faveur du RN, il ne fait pas bon d’insulter leur électorat. « Les politiques ne sont pas ma tasse de thé, ils vont toujours mettre la sauce pour vous plaire », dit Frédéric Timbert, qui se dit opposé aux vues du RN sur l’immigration. « Mais il y a des gens qui soutiennent Bardella, je trouve que ce n’est pas bien de les bannir. Pas question de dire que je ne viens plus au club parce qu’il y a quelqu’un d’identitaire. Il faut réfléchir différemment. »
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En attendant, parmi les invités d’honneur, énumérés sur le site du Chinese Business Club, le nom de Jordan Bardella n’apparaît pas. « C’est trop clivant », balaie Harold Parisot, qui se trouvait, pourtant, à la soirée de lancement du livre de Bardella, « Ce que veulent les Français » (Fayard, 2025). Même ambivalence concernant certaines invitées possiblement sulfureuses, comme Alice Cordier et Mathilda du collectif Némésis, qui apparaissaient, sans être taguées, sur le compte Instagram officiel du club. Daté du 4 juillet, le post a disparu quelques jours après le coup de fil de StreetPress. Interrogée sur sa présence, Alice Cordier nous répond sobrement : « Connais pas. »
Pour nous assurer de son ouverture, Harold Parisot nous convie au prochain déjeuner. Puis, renseignement pris sur StreetPress, il nous rappelle, ennuyé : « Votre site… Il est quand même très politique, certains articles piquent les yeux ! Vous comprenez, je n’ai pas envie que ça se retourne contre moi si je vous reçois… » Dommage. L’invité d’honneur de cette édition manquée, Louis Sarkozy.
Illustration de Une par Mila Siroit.
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