Dans la semi-clandestinité, un concert de black metal a rassemblé une poignée d’initiés en périphérie nantaise. Derrière cette soirée, un couple ancré dans les réseaux identitaires et suprémacistes cherchant à promouvoir la « culture européenne ».
Dimanche 30 novembre, 18 h 30. Le rendez-vous est donné dans une petite salle aux confins de la zone commerciale de Bouaye, dans la périphérie de Nantes. Reclus entre un Burger King et un Lidl, quelques dizaines de fans de black metal ont fait le déplacement pour assister au premier concert de l’association Rocher de Sisyphe. Cet événement fait office de galop d’essai pour la structure fondée en 2024 par un couple de militants identitaires qui cherche à *promouvoir la « culture européenne, via notamment des activités culturelles » — une formule laissant sous-entendre un projet identitaire et suprémaciste.
Les consignes sont claires : prévente obligatoire via PayPal pour obtenir l’adresse du lieu, confidentielle et divulguée moins de 24 heures avant l’événement. Une fois arrivé, interdiction formelle de dégainer son téléphone. « Des concerts de black metal à Nantes, il y en a toutes les semaines dans le centre-ville », indique une source de la scène locale. Selon lui, la mouvance « est très politisée, d’un côté comme de l’autre. Les organisateurs qui planifient un truc aussi loin, ça en dit long sur leurs accointances politiques à l’extrême droite. Ils n’ont aucune autre raison d’aller se cacher ».
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Sur place, une cinquantaine de personnes vêtues de noir attendent devant la salle, ce qui n’est pas sans détonner avec les badauds venus terminer leur dimanche au drive du fast-food voisin. Assez rapidement, tout le monde s’engouffre dans la salle de concert, mis à part les derniers fumeurs.
Répugnance pour « le monde moderne »
Quentin Foureau, conteur de la région nantaise, ouvre le bal à 19 heures, avant que les bretons Prieuré et deux autres formations musicales, Candelabrum et Night’s Threshold, lui emboîtent le pas. Venu transmettre pour l’occasion des contes et des légendes bretonnes, Quentin Foureau officiait déjà dans un projet musical signé chez Antiq Records, un label pointé du doigt par des acteurs de la scène pour ses accointances avec le National socialist black metal — le black metal néonazi.
« Je travaille également avec d’autres labels […] aux valeurs humanistes de gauche », prend-il la peine de nous préciser par mail. Il assure que cette collaboration ne serait « pas un choix idéologique ». Le chanteur de Prieuré exprimait en juin dans « Le Masque et L’Enclume », une émission d’une radio locale de Caen, toute sa répugnance pour « le monde moderne » et « l’art contemporain », qui sont, selon lui, les symptômes de la « dégénérescence ». Ce terme utilisé fait curieusement écho à la formule d’« art dégénéré » utilisée sous le régime nazi qui interdisait l’art moderne sous toutes ses formes.
Anguille sous le Rocher
Derrière l’association Le Rocher de Sisyphe, on retrouve Laurane Mauriac et Vincent Benoit. Tous deux issus du Centre d’études supérieures de la Renaissance, c’est dans cette esthétique que Laurane vient glaner pour nourrir ses projets artistiques. Tatoueuse et graveuse sous le pseudonyme d’Anima Mercurii, elle est apprentie au salon de tatouage nantais Les Vilains Bonshommes, dont plusieurs des tatoueurs likent des pages Instagram de la galaxie néofasciste et catho-tradi. Suivie par un panel très large de collectifs néofascistes français, on retrouve des références discrètes sur son Instagram pro, comme une gravure réalisée en hommage à un ouvrage de Julius Evola, écrivain phare des néofascistes de la deuxième moitié du XXe siècle.
Elle expose occasionnellement ses œuvres hors les murs, notamment, en avril 2023 à Paris lors d’un colloque organisé par l’Institut Iliade — un organisme de « formation » pour les nouvelles générations identitaires prônant des idées xénophobes. Quelques mois plus tard, en août, Laurane Mauriac est à l’université d’été d’Academia Christiana — organisation catho-identitaire d’extrême droite.
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De son côté, Vincent, connu sous le sobriquet de « Reitre » à Tours où il a longtemps vécu, n’en est pas à ses premiers pas dans la sphère black metal. En novembre, à l’occasion de l’annonce du concert, il se fend d’un entretien promotionnel au « Masque et L’Enclume ». Il y explique l’ostracisation à laquelle il aurait fait face a priori vers 2018 quand il a eu « le malheur de partager [sur Instagram] un vinyle de Peste Noire » — un groupe bien connu de la mouvance metal néonazi. Il accable également la justice expéditive des réseaux sociaux :
« On va te retrouver une photo sortie de son contexte où le gars lève un peu le bras, et ça y est, tu peux te faire très rapidement sauter ton concert. »
Au cours de l’entretien, il dit rêver de faire jouer Peste Noire lors d’un éventuel événement du Rocher de Sisyphe. Le groupe de black metal a déjà des accointances avec les organisateurs du concert car Laurane Mauriac a tatoué le chanteur, Ludovic Faure, alias « Famine », cette année. Une information dont elle ne se cache pas puisqu’elle a publié une photo du tatouage avec le chanteur sur Instagram. Elle remercie aussi sous un post Instagram le groupe pour son concert clandestin organisé dans un hôtel particulier à Neuilly-sur-Seine (92) en octobre, dont l’info avait été révélée par Mediapart.
Un concert gratuit devant des copains
Le concert organisé fin novembre par le couple, membre de la Communauté Atlante — sous-section nantaise des Braves, un groupuscule monté par Daniel Conversano en 2016 — s’inscrit dans un projet au long cours : développer une scène locale se distinguant des associations de metal déjà bien présentes sur le territoire nantais. Au cours de l’interview avec Vincent Benoit, le présentateur du « Masque et L’Enclume » a annoncé « de belles choses en préparation » pour la suite. « Ça se fait avec nos fonds personnels », précise l’organisateur. Un investissement bien amorti puisqu’ils n’ont pas à verser de « commission à la salle ». Une contrainte qui, d’après Vincent Benoit, « truciderait » les petites associations.
Le lieu et le mode d’organisation du concert n’ont donc rien d’anodin, comme l’admet Vincent à demi-mots lors de l’interview. Le Rocher a opté pour la location d’une petite salle en dehors de Nantes, sans publicisation et sans préciser leurs intentions au propriétaire, évitant ainsi une annulation de dernière minute. Contactée par StreetPress, la gérante des lieux fulmine : « Je suis sur le cul. » Le couple aurait loué la salle en prétextant un concert gratuit devant quelques copains :
« On s’est bien fait berner. Si on avait su, on n’aurait jamais accepté. »
Contactés par mail, Le Rocher de Sisyphe et Prieuré n’ont pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
Illustration de la Une par Mila Siroit.
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