13/06/2013

Jeudi 6 juin, plus de 80 interpellations

Quand la police met Barbès en état de siège pour rafler des sans-papiers

Par Mathieu Molard

C'est une gigantesque descente qui a eu lieu à Barbès, jeudi 6 juin. Pendant une heure et demie, une centaine de policiers bloque 4 rues du quartier, dispose des check-points et fouille les bistrots du coin à la recherche de sans-papiers.

Métro Barbès – 15 heures. Ce jeudi, Kamel* est posté comme chaque jour face aux tourniquets de sortie de la station. Il tente d’alpaguer le chaland -«cigarettes, cigarettes ! » – quand il voit « des dizaines de fourgons de police arriver par tous les côtés. » En un instant c’est la débandade. Les vendeurs à la sauvette courent dans tous les sens, semant derrière eux des paquets de clopes et quelques babioles. Le jeune Tunisien, comme bon nombre de ses amis, n’a pas de titre de séjour. La plupart se précipitent à l’intérieur du Tati situé de l’autre côté de la rue.

Du premier étage du magasin, ils assistent au déploiement des CRS. « Ils ont mis en place des barrages », raconte Karim. Harnachés « comme Robocop », ils prennent position en travers de la rue, formant un mur d’uniformes. Impossible de passer. La même scène se répète dans les rues voisines : les forces de l’ordre établissent un périmètre. A l’intérieur : une partie de la rue de La Goutte d’Or, la rue des Islettes, la rue Capla, la rue Charbonnière et une partie du boulevard Barbès. En un instant, le quartier est bouclé.

Violence

A l’intérieur du périmètre, c’est la panique. Certains se faufilent dans les halls d’immeuble, les cours ou les commerces. Mohamed, sans titre de séjour, tente sa chance en direction du boulevard Magenta. « Je voulais traverser ici. » Index tendu, il désigne un passage piéton sur le boulevard de la Chapelle. Il court sur le trottoir. « Un policier m’a mis un coup de pied », il exhibe alors un bleu sur l’arrière de sa cuisse tandis qu’un strap maintient son épaule blessée. « Ensuite, il m’a poussé contre les barrières en me tirant le bras dans le dos », continue le Tunisien de 29 ans. « Et puis, je ne sais pas pourquoi, il m’a relâché en me disant ‘vas-y dégage’ ». Sans demander son reste, il s’éloigne du quartier.

A chaque intersection, les riverains racontent la même histoire : un cordon de CRS prend position en travers de la rue. Progressivement, une queue se forme au check-point. « Pour entrer ou sortir du périmètre il fallait présenter ses papiers », explique un bistrotier de la rue de la Goutte d’Or. Lui comme ses clients sont priés de rester dans l’établissement, limitrophe de la zone bouclée. Ils regardent médusés l’opération. « Il y avait des dizaines de fourgons de police ici et autant par là. Au total plus de cent policiers », raconte un client, la quarantaine grisonnante et du plâtre plein le t-shirt. La préfecture de police, contactée par StreetPress, ne « souhaite pas communiquer sur les effectifs déployés ». A l’intérieur du périmètre, CRS, police de quartier et agents de la brigade anti-criminalité sillonnent les rues, pendant près d’une heure trente.


MapDescente en plein Paris

Rafle

Personne ou presque n’échappe au contrôle. « Comme s’ils cherchaient quelqu’un », raconte un vendeur de téléphone. Femme, enfants, personnes âgées… les policiers vérifient méthodiquement l’identité de chaque passant. Pas de papiers, immédiatement les talkie-walkies grésillent : « J’en ai un ! ». Mickaël et sa bande sont posés sur un muret rue de la Goutte d’Or quand quatre agents en civils – « en sweats, déguisés en jeunes, quoi ! » – leur tombent dessus. « Vos papiers, les jeunes ! » Deux d’entre eux n’en ont pas. Face au mur, les bras dans le dos, ils sont menottés. En guise de bracelet, des lanières de plastiques leur enserrent les mains. Enfin, deux policiers les escortent jusqu’à l’un des trois bus garés un peu plus loin. A l’intérieur, des dizaines de sans-papiers s’entassent. « Plus de 80 », racontent de nombreux témoins. Certains parlent d’une centaine de personnes. La préfecture de police ne souhaite pas communiquer le nombre exact d’interpellations.

«Je les ai même vus embarquer un touriste avec son appareil photo» Karim, témoin

Du premier étage du magasin Tati où il se cache, Karim observe le ballet incessant des policiers. Tous ceux qui sortent du métro sont contrôlés, impossible par ailleurs d’y entrer. « J’avais l’impression qu’ils arrêtaient tout le monde. Je les ai même vus embarquer un touriste avec son appareil photo. » Certains sans-papiers se sont glissés dans les cours ou les halls d’immeuble. « Ils allaient les chercher à l’intérieur, on les voyait ressortir menottés », raconte Frank, lunettes de soleil vissées sur le visage. Saïd, patron du Barbès Café, est posté derrière son comptoir quand une dizaine de policiers « tous en civil », font leur entrée dans l’établissement. « Ils ont fermé la porte derrière eux. » Dehors, le soleil est au beau fixe. Pas grand monde à l’intérieur. « Une dizaine de clients tout au plus. » Table après table, les agents contrôlent les papiers d’identité, jusqu’à tomber sur un sans-pap’. « Au total, ils ont arrêté trois personnes chez moi, dont deux mineurs », raconte Saïd.

Hygiène

La préfecture confirme bien être entrée dans les cafés et restaurants du quartier. L’opération était menée en collaboration avec les services administratifs. Le motif ? « Vérifier le respect des normes d’hygiène, de licence, la vente d’alcool aux mineurs… Neuf établissements ont été contrôlés », explique la préfecture. Deux établissements ont été immédiatement fermés, « deux autres ne devraient pas tarder à l’être ».

En plus de ces « contrôles administratifs », on évoque deux autres objectifs: « lutter contre l’accroissement des cambriolages dans l’arrondissement » et combattre les « receleurs, nombreux dans le marché sauvage autour de la station de métro ». Bilan officiel de l’opération : 16 gardes à vue pour « des questions de droit commun » (« un port d’armes prohibées, du recel et plusieurs individus inscrits au fichier des personnes recherchées. ») La police se refuse à communiquer le nombre total de personnes amenées au commissariat pour vérification d’identité, puis pour certains placés en centre de rétention.

GAV

«Il avait un interprète tamoul alors qu’il parle ourdou» Me Kornman

A 16h20, la police lève les barrages. « A la sortie des classes, encore beaucoup de policiers, mais c’était possible de passer », raconte l’un des employés de l’école du quartier. Certains sans-papiers se glissent hors de leurs cachettes. « Il y avait toujours des mecs en civil. Ils en ont encore cueilli quelques-uns qui pensaient s’en être sortis », raconte un commerçant. Pour tous les interpellés, direction le commissariat de la rue de Clignancourt. Les militants de plusieurs associations d’aide aux sans-papiers dont Réseau Education Sans Frontières ont pu recueillir par téléphone quelques témoignages. L’un d’entre eux raconte avoir été placé en cellule pendant « trois ou quatre heures » avec une vingtaine de personnes. Le temps de vérifier l’identité des 80 interpellés (chiffre approximatif). Finalement, en plus des 16 GAV, 33 personnes devront passer devant le juge des libertés pour défaut de titre de séjour. Pour eux, direction le centre de rétention administratif de Vincennes.

Au tribunal

Mardi 11 juin, tribunal de grande instance de Paris. Au dernier étage du bâtiment après une interminable montée des marches, un portique de détection de métaux et un gendarme gardent l’entrée sur un petit couloir. Une dizaine de militants s’y entassent. Depuis quelques jours, l’info circule sur les mails d’alerte des collectifs d’aide aux sans-papiers : les clandestins de Barbès passent devant le juge des libertés. Derrière une porte, à l’abri des regards. Les sans-papiers attendent leur tour, alignés dos à dos sur un banc en bois. Quelques avocats consultent les dossiers sur leurs genoux. Les trois boxes d’entretien sont occupés. Chacun est prié de faire vite. Jour d’affluence pour la justice, 36 cas doivent être tranchés dans la journée par les deux magistrats. A trois exceptions près, tous ont été interpellés le 6 juin dans le 18e.

(img) A la sortie du métro Barbès

Les audiences se suivent et se ressemblent. Dans une petite pièce, la magistrate, la cinquantaine coiffée avec un chignon. A sa gauche, la greffière, plus jeune. Face à eux, quatre chaises. « Monsieur Singh », la vingtaine, prend place sur l’une d’entre elles. A sa gauche, une traductrice lui chuchote à l’oreille. A sa droite, son avocate. Juste à côté, l’avocat de la préfecture. Maître Kornman compulse le dossier de son client. Commise d’office, elle n’en a pris connaissance que le matin même, comme les quatre autres cas qu’elle défendra dans la journée. Son argumentaire est très technique. Elle pointe les défauts du dossier. Ici une signature qui manque, là un délai de quatre heures entre la sortie du commissariat et la notification d’arrivée en centre de rétention… Jurisprudence à l’appui, elle tente de faire valoir la nullité de la procédure. L’avocate de la pref’ a pu consulter à l’avance les arguments de sa consœur. Elle répond point par point, précédent à l’appui. Maître Kornman tente de reprendre la parole pour répondre. « Vous avez déjà plaidé, si on fait toujours ça, on n’en finit jamais », coupe la juge. Elle réussit à placer une phrase avant d’être coupée à nouveau. Après 25 minutes d’échanges, tout le monde dehors. « Monsieur Singh », n’a pas dit un mot. Seule question qui lui est posée: « Etes-vous prêt à rentrer dans votre pays ? »

Expulsions

Dans le couloir, les militants s’échangent leurs notes. « Sur un document, ils avaient écrit qu’ils avaient procédé à un menottage permettant l’usage d’un téléphone. J’ai du mal à imaginer ! », ironise l’un d’entre eux. « Le dernier charter est parti hier et le prochain est seulement dans vingt jours ! Alors ils ont demandé un délai pour organiser le retour dans son pays ! » Les tristes anecdotes se succèdent, dressant en pointillés le portrait d’une police débordée par le nombre de dossiers. Des procédures traitées à la va-vite. « Lui, pendant la procédure, il avait un interprète tamoul alors qu’il parle ourdou. Ils vont l’expulser quand même. » Pour « Monsieur Singh », même traitement. La jeune avocate, visiblement fatiguée et dépitée, sort en courant « s’en griller une ». « De toute façon, cette juge expulse tout le monde », commente un militant, cheveux longs et carnet de notes à la main. Ceux qui échappent à l’expulsion doivent encore patienter 6 heures. Le délai pendant lequel la préfecture peut faire appel. Les autres tenteront leur chance en appel.

Warning Les sans-papiers cités dans l’article ont préféré voir leur nom changé.

Info signalée par Mille Babords