04/07/2022

Des gros bras sont venus les menacer

Les femmes du squat de Montreuil ont changé d’adresse mais sont toujours menacées d’expulsion

Par Clara Monnoyeur ,
Par Pauline Gauer

Après avoir été menacées d’expulsion, la centaine de femmes du squat de Montreuil soutenue par le rappeur Kalash ont trouvé un nouveau lieu. Elles disent avoir été menacées par des gros bras et risquent de nouveau l’expulsion.

Montreuil (93) – Mory et Daouda, 11 ans, font des allers-retours en trottinettes sur le béton encore humide après l’averse. Derrière eux, s’étendent de grands bâtiments de quatre étages. Les deux garçons semblent inséparables. Ils se sont rencontrés à l’Hôtel de ville, quand ils dormaient encore dans des tentes fournies par l’association Utopia56. Ils ne se sont pas quittés depuis. Au mois de mai, ils avaient trouvé refuge dans un ancien restaurant chinois à l’abandon. Ils partageaient leur matelas avec d’autres enfants, et une centaine de femmes exilées. C’est dans ce squat, qu’il y a trois semaines, StreetPress les avait rencontrés. Fin mai, alertés par la journaliste et membre du collectif Entraide Montreuil Capucine Légelle, le rappeur Kalash et sa femme Klara Kata avaient financé la venue d’une société pour vider et nettoyer le lieu. Leur action avait permis de médiatiser le combat de ces femmes pour être relogées. Mais cela ne les avait pas empêchées d’être menacées d’expulsion, suite à un arrêté du maire pour « mise en sécurité urgente ». Comme Mory et Daouda, elles ont dû partir. Encore une fois.

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Toujours menacées d’expulsion

Depuis deux semaines, les garçons jouent dans ce nouveau lieu inoccupé de Montreuil. Ces anciens bureaux abritent toujours la centaine de femmes et leurs enfants. « Eux, ce sont des princes », lance Chérif en désignant du regard les deux jeunes comparses. Celle qui a fui la Guinée ajoute, accompagnée d’un sourire franc : « Ce sont eux qui parlent le mieux français d’entre nous ». Le lieu, plus grand que l’ancien squat, permet aux femmes d’avoir un peu plus d’espaces. Il y a aussi une cour en béton, fermée par un portail, qui permet aux enfants de jouer dehors en sécurité. « On est mieux ici que là-bas. Ici, on a l’électricité, l’eau, une douche et des toilettes », explique Chérif, qui s’est teint les cheveux en blond depuis sa dernière rencontre avec StreetPress. « Et ici quand il pleut, on n’a pas les matelas tout mouillés ». Mais les familles continuent de se partager les matelas posés à même le sol et de dormir à plusieurs. Et surtout, elles ne peuvent bénéficier de ce logement que de manière temporaire.

Dans la cour du lieu jusque-là inoccupé de Montreuil, les enfants jouent. / Crédits : Pauline Gauer

Ces anciens bureaux abritent toujours la centaine de femmes et leurs enfants. / Crédits : Pauline Gauer

La propriétaire du nouveau lieu a déposé plainte. Une assignation à comparaître devant le juge est prévue pour le 6 juillet. « Nous espérons obtenir un premier délai, et qu’il y aura du soutien au tribunal », fait savoir Hanna Rajbenbach, l’avocate du collectif.

« On va aller où ? On va encore dormir dehors », lance Fatou (1), maman de Kady, quatre ans. Cette fois-ci, il n’y a plus de plan B. « Ça nous inquiète beaucoup », complète Chérif, pendant que son garçon Ibrahim, qu’elle porte dans son dos, se débat. Elle commence à être lassée de cette situation. Comme une majorité de celles qui dorment ici, Chérif ne sort pas du squat de la journée. Elle reste là, à attendre une proposition de relogement qui ne vient pas. « C’est toujours la même chose, on a rien, pas de nouvelles », déplore Fatou. Si elles tombent moins malades que dans le premier squat, elles restent fatiguées. « On est plusieurs à avoir mal aux yeux aussi », déclare Chérif en montrant ses yeux rouges, sans savoir expliquer la raison.

Chérif, qui a fui la Guinée, ne sort pas du squat de la journée. Elle reste là, à attendre une proportion de relogement qui ne vient pas. / Crédits : Pauline Gauer

« Chaque enfant a droit à un toit. » / Crédits : Pauline Gauer

Des gros bras

Mory et Daouda montent les escaliers qui mènent dans les bureaux avant de redescendre encore plus vite, sautant les marches deux par deux. Dans ce qui ressemble à d’anciens bureaux séparés par des murs vitrés, Amadou, qui a maintenant un mois, dort dans son berceau posé sur un matelas. Malgré les allées et venues des enfants, il se repose paisiblement, emmitouflé dans un drap coloré. Il semble ne rien saisir de ce qui se passe autour de lui.

Le dos plié en avant, les femmes rincent le linge des enfants dans une grande bassine. / Crédits : Pauline Gauer

Ibrahim, le fils de Chérif, joue avec les autres enfants. / Crédits : Pauline Gauer

Les débuts dans le nouveau squat ont été animés. Les premiers jours de leur arrivée, la propriétaire serait passée interpeller les femmes. « Elle était fâchée. Elle nous filmait et nous disait qu’on n’avait pas le droit de rester ici », résume Fatou assise dehors dans la cour. Puis, elle aurait appelé la police et serait partie porter plainte. Des policiers seraient passés dans la même journée puis revenus plusieurs fois dans la semaine. « Ils venaient à chaque fois à quatre ou cinq, ils nous parlaient gentiment en nous disant que c’était un bâtiment privé, mais ne sont pas rentrés. » Une voisine se serait aussi plainte de dérangement.

Mory et Daouda se sont assis à l’intérieur et se font des passes avec un ballon de baudruche. / Crédits : Pauline Gauer

Mais les femmes parlent aussi de « gros bras » qui seraient venus les menacer la première semaine. Deux hommes au volant d’une voiture se seraient arrêtés devant le portail. Ils auraient lancé : « Vous avez jusqu’à 20h pour libérer le coin, sinon vous allez voir », se souvient Mariam. Puis un membre de la famille de la propriétaire serait venu et aurait demandé à rentrer, « pour vérifier que rien n’était cassé ». Les femmes ont refusé. Pour faire pression, ce dernier leur aurait répondu que la prochaine fois « les gros bras ne reviendraient pas qu’à deux ».

Le collectif des femmes a mis en ligne une cagnotte ainsi qu’une liste des besoins. Elles recherchent principalement : de la nourriture, des produits d’hygiène, des produits nécessaires pour les nourrissons, des affaires scolaires pour les enfants, des tickets de métro et des médicaments. / Crédits : Pauline Gauer

Daouda aimerait « bien devenir footballeur ». / Crédits : Pauline Gauer

Heureusement, le collectif d’habitantes peut toujours compter sur l’association Les potes de la maraude, qui continue de leur fournir de la nourriture. Ou sur Judith, une habitante qui les a aidées à déménager leurs affaires avec son camion. « Il y a aussi le boulanger de l’autre squat qui vient encore nous apporter du pain », ajoute Mariam. Dans les escaliers, une femme assise dans les marches prépare des bananes plantains à griller. Au rez-de-chaussée, c’est l’heure de la lessive en musique. Le dos plié en avant, les femmes rincent le linge des enfants dans une grande bassine. Mory et Daouda eux, se sont assis à l’intérieur et se font des passes avec un ballon de baudruche. Il déclare, un peu timidement :

« Moi, j’aimerais bien devenir footballeur. »

Le collectif des femmes a mis en ligne une cagnotte ainsi qu’une liste des besoins. Elles recherchent principalement : de la nourriture, des produits d’hygiène, des produits nécessaires pour les nourrissons, des affaires scolaires pour les enfants, des tickets de métro et des médicaments. Pour les dons, vous pouvez contacter Capucine Légelle, @calamitycaps, sur son compte Instagram.

Via son attaché de presse, la mairie indique par téléphone que c’est toujours l’État qui a la prérogative de proposer une situation d’hébergement d’urgence. Et précise « travailler avec la préfecture » pour trouver des hébergements. Et se veut rassurant en indiquant : « Le nouveau lieu n’est pas insalubre, donc aucun arrêté ne sera pris pour expulsion. »

(1) Le prénom été changé