06/03/2024

Drapeau algérien, Selecto et conseils juridiques

Iyasoony, le « tiktokeur made in DZ »

Par Elisa Verbeke

Iyas est suivi par 75.000 abonnés sur TikTok. Son truc ? Partager les bonnes adresses de restos algériens de Paris, comme conseiller les étudiants étrangers sur leurs droits. Une façon de leur éviter les pièges par lesquels il a pu passer.

« C’est quoi ça ? Un drapeau ? » Dans la queue du concert de la superstar Beyoncé au Stade de France, Iyas, 27 ans, est bloqué par un vigile. « Un drapeau de quoi ? » « De l’Algérie », lui répond-il. Ce 27 mai 2023, l’entrée lui est refusée. « Devant moi, j’ai vu quelqu’un rentrer avec le drapeau brésilien », se souvient l’Algérien aujourd’hui, toujours outré :

« La sécurité m’a dit que j’allais “foutre le bordel dans les tribunes”. »

Il raconte immédiatement l’épisode sur les réseaux sociaux. Sa vidéo est reprise dans plusieurs médias algériens et comptabilise aujourd’hui 40.000 vues. Le résident français possède une notoriété conséquente : sous le pseudo d’Iyasoony – « “Soony” pour dire que des choses arrivent bientôt » –, il rassemble plus de 75.000 abonnés sur TikTok, 30.000 sur Instagram. Une communauté convaincue en seulement un an. « 50 millions de vues au total », fanfaronne-t-il. Son créneau : arpenter les rues du 18e arrondissement de Paris, à la recherche des meilleures adresses. Fin connaisseur de Barbès et de ses bons plans cachés, le créateur de contenu met surtout en avant la culture algérienne et les personnes qui la portent.

Chef de projet au siège français d’une marque de luxe, il réalise toutes ses vidéos sur son temps libre. Parfois, il se lance dans des traductions de textes de raï, ou dans des éditos politiques et sémantiques des termes « blédard », « maghrébin » ou « white passing ». Ancien étudiant étranger, il lui tient à cœur de donner des conseils à ceux qui le sont encore, et leur éviter les pièges par lesquels il a pu passer. Ce sont ses engagements à lui. Son amie Amal, qui apparaît régulièrement dans ses vidéos, commente :

« Des fois, quand on marche dans la rue, on le reconnaît. Il a réussi à faire sa place. »

Coup de boost

Il y a quelques semaines, Iyas filme une épicerie algérienne dans le quartier de la Goutte d’Or, dans le 18e : « Voici une pépite pour trouver des produits algériens : du Selecto (coca local) des Caprice (bonbons au caramel), Amor Benamor (marque de pâtes et de harissa), … : tous les produits qu’on kiffe et qu’on recherche si on veut cuisiner algérien. » Plus de 600.000 personnes ont vu la vidéo. « J’ai fait exploser leur chiffre d’affaires de 40% », affirme le vingtenaire, avec son grand sourire capable de mettre à l’aise les plus introvertis. « Ça m’a motivé à leur donner un coup de boost. »

Dans une autre vidéo, il se met en recherche de la meilleure garantita – une spécialité oranaise à base de pois chiches et d’oeufs dans du pain – de Paris. Ses terres de trouvailles se trouvent rue de Paris, à Montreuil (93), quartier pris d’assaut par les commerces et restaurants algériens ; mais aussi Rue d’Avron et quartier de Ménilmontant dans le 20e arrondissement, fort festif. Il y a aussi les zones de La Chapelle et de La Goutte d’or dans le 18ème, immanquables selon l’influenceur food, qui voudrait aller à contre-courant des clichés et de leur mauvaise réputation. Reste, évidemment, Barbès, un lieu emblématique et historique de la communauté algérienne en France :

« Les seules fois où j’entends parler de Barbès, c’est pour les choses très négatives. J’ai envie de montrer quelque chose qui n’est pas montré. »

Etudiant(s) étranger(s)

« J’organise un événement le 14 avril pour aider les étudiants étrangers. » 1h30 de conférence pour répondre à leurs questions, explique Iyas. Sur TikTok, il y consacre d’ailleurs une cinquantaine de vidéos. Bons plans et informations sur les aides disponibles pour les étudiants étrangers, tout y passe. En parallèle, il informe plus précisément ses compatriotes sur leurs droits en France : « Les étudiants algériens ont des lois différentes des autres ». Par exemple, ils ne peuvent pas travailler plus de 850 heures par an, contre 964 pour les autres nationalités. « Quand on est nouveau, on ne connaît pas toutes ces règles et on peut vite tomber dans l’illégalité et avoir une OQTF (Obligation de quitter le territoire) », légitime Iyas. Moment marquant de l’année 2023, la loi immigration portée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Iyas tient à jour son audience de l’évolution du projet et des débats. « J’ai vraiment suivi le vote au parlement de A à Z pendant cette période », confie-t-il en riant.

Iyas aussi a connu les galères d’étudiant étranger à Paris. « Se débrouiller tout seul, la préfecture, les papiers, les autorisations de travail… », liste-t-il. Arrivé à Paris en 2017 pour son master de management d’affaires et de projet, il décroche une alternance, puis un CDI. « Ma galère était surtout financière. » Lui vient de la classe moyenne d’Alger. Ses deux parents exercent dans la santé. Alors, il travaille : des cours d’anglais par-ci, des petits jobs par là. « Quand il a galéré pour trouver une solution, il fait en sorte de la partager à tout le monde », témoigne son amie Amal.

« Chtah », pour « danser »

Malgré sa bonne volonté, Iyas se fait « dézinguer » dans les commentaires de ses vidéos. « On me dit : “Retourne chez toi”, “Pourquoi tu viens [en France] pour nous montrer ça !” Alors que je montre de la nourriture, de la musique et des choses très basiques. » Même retour de bâton de la communauté algérienne quand il filme des lieux festifs à Alger. « L’Algérie est un pays comme les autres : il y a des endroits pour prier et des endroits pour faire la fête. Mais c’est vrai que certains endroits sont un peu cachés. » Avant de lâcher :

« Je ne m’arrêterai pas. Parler de tout ce qui est en rapport avec l’Algérie n’a pas de frontière. »

À Paris, Iyas recrée la fête à la sauce algérienne, en partenariat avec le collectif Day-Z, qui lui s’est fixé comme mission de réunir la diaspora algérienne dans son ensemble, autour de conférences, de fêtes ou de voyages au pays. Au programme, DJs DZ, cocktails avec du Selecto ou du Hamoud (sodas typiques), stand de street food avec de la pizza carrée et des mhajebs (msemen farcis). Un véritable succès : la deuxième édition de la Chtah Party, qui aura lieu le 8 mars prochain, affiche déjà complet. « L’idée c’est de rassembler la diaspora dans ce qu’elle a de plus divers et pluriel », détaille Amina, cofondatrice de l’association Day-Z.

Iyas estime que beaucoup d’Algériens « cachent leur algérianité » :

« Avant, on ne disait pas qu’on était Algerien, on préférait le cacher à cause du côté négatif que montrent les médias. »

À quoi s’ajoutent des personnes, explique-t-il, qui auraient gardé des sévices de la décennie noire – guerre civile entre le gouvernement algérien et des groupes islamistes, de 1991 à 2002, marquée par les milliers de morts et de disparus pendant la période. « Un restaurateur algérien m’a expliqué avoir longtemps camouflé le nom de son enseigne, en le remplaçant par “Oriental et Marocain”. Il avait peur qu’on pose une bombe s’il affichait que c’était de la nourriture algérienne. » Derrière sa bonne humeur communicative, Iyas est aussi sensible à ces cicatrices, lui qui est né en 1996. Il en parle dans certains de ses contenus, s’interrogeant sur les sacrifices de sa mère pendant la période, par exemple. Aujourd’hui, il se sent « libre », loin du temps de la guerre civile, et sur le sol français, avec les droits qui sont les siens. Comme toute une jeunesse.