Au foyer malgache de Cachan, les étudiants se sont mobilisés contre le président malgache, Andry Rajoelina, mais aussi contre les pressions d’un directeur qu’ils jugent aux bottes du pouvoir.
La joie se mélange au soulagement chez les résidents du foyer universitaire malgache (FUM) de Cachan (94) quand, le 14 octobre, ils apprennent la destitution du président malgache, Andry Rajoelina. Depuis plusieurs jours, le foyer vivait au rythme de la contestation contre le régime et contre un directeur jugé « pro-Rajoelina ». Trois jours plus tôt, le 11 octobre, avenue Léon Eyrolles, des banderoles aux couleurs du drapeau national, vert et rouge, sont brandies par les manifestants. Ils ont inscrit à la peinture noire sur un drap déchiré :
« Non à l’abus, la répression, le harcèlement, la corruption. »
Ils sont une trentaine réunis devant le FUM. Tête blonde et veste blanche zippée, Kantyfy, 27 ans, ex-résidente, mène la fronde. « Tout allait bien jusqu’au changement de direction », résume-t-elle.
Financé par le pouvoir malgache
En 2019, Andry Rajoelina revient au pouvoir à Madagascar. Deux ans plus tard, Andrianome Hoby Ramanamirija, dit « Bob », prend la tête du foyer après sa nomination par le ministère malgache de l’Enseignement supérieur. Un poste très politique : le FUM dépend du ministère de l’Enseignement supérieur malgache, tout comme Bob est sous leur tutelle. Dans le salon d’accueil, le portrait du président Andry Rajoelina trône en grand format. Sur le site du FUM figure en bonne place le « mot du ministre » — le sortant Andriamanantena Razafiharison. Autre détail : sa compagne, Murielle Ramanamirija, a été conseillère du président en charge des affaires économiques. Dans l’administration malgache, « tout le monde se connaît », tente de relativiser Andrianome Hoby Ramanamirija.
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Ces accointances politiques déplaisent, surtout dans le contexte actuel. Le président Andry Rajoelina, réélu en décembre 2023 lors d’un scrutin boycotté par l’opposition, cristallise toutes les colères. Depuis le 25 septembre, la génération Z manifeste contre la pauvreté, les coupures récurrentes d’eau et d’électricité, un pouvoir jugé corrompu. Le président déchu a fui le pays le 12 octobre. L’onde de choc traverse l’océan et atteint les étudiants du FUM pris entre la tutelle d’un État qu’ils contestent et leur précarité d’exilés. Pour Benja (1), 22 ans :
« Les discussions politiques sont devenues taboues. »
Étudiant en informatique, il se décrit comme étant « plutôt engagé pour la cause », mais se fait désormais « discret ». « On évite le sujet », murmure-t-il. Regard fuyant et mains dans les poches, Benja se dit toutefois « reconnaissant » envers ceux qui se mobilisent : « Ils nous donnent du courage. »
« Contrôle systématique » du directeur
Quant à l’ancienne résidente Kantyfy, elle continue la riposte sur les réseaux sociaux. « Ils [le directeur et le surveillant général, ndrl] intimident les étudiants ! », martèle-t-elle en se filmant face caméra dans sa voiture. Avec d’anciens résidents, elle crée le collectif Free FUM réclamant la « destitution immédiate » du directeur et appelant aux témoignages. Selon l’un des témoignages anonymes reçus, le directeur du foyer aurait menacé d’expulsion des étudiants qui manifestaient contre le président malgache.
Des accusations que le directeur réfute : la procédure d’expulsion est « un processus long » visant uniquement les étudiants « en retard de paiement », et non pour « leurs opinions politiques ». Selon Free FUM, les résidents « n’ont ni le droit de manifester ni d’exprimer leur avis politique s’il est contraire à celui du directeur ». Un ressenti que Mitou (1), 22 ans, partage. Il vit au foyer depuis deux ans. Le 11 octobre, il n’a « pas osé participer » aux manifestations. Il confie :
« J’avais peur d’être expulsé. »
Beaucoup dépendent financièrement de leurs parents résidant à Madagascar, eux-mêmes fragilisés par la situation économique de l’île. « Si on se fait renvoyer, on n’a nulle part où aller », ajoute Mitou. « Reconnaissant » de payer un loyer modeste — environ 200 euros par mois — il préfère se taire. « À ce prix-là, on ne se plaint pas. » Propriété de l’État malgache, l’établissement accueille chaque année environ 110 étudiants, âgés entre 17 et 25 ans.
D’autres dénoncent le « contrôle systématique » du directeur sur les canaux de communication tels que WhatsApp. « Je dois toujours être au courant de tout ce qui se passe ici. » Ce message WhatsApp a été envoyé à Allan Ramparany, ancien étudiant, en janvier 2024. Le reproche ? Avoir créé un groupe de discussion sur ce canal sans autorisation. « Pour ce genre d’initiative », écrit le directeur, il faut « respecter une procédure ».
Les questions politiques ont été « esquivées »
Le chef d’établissement admet « faire attention ». « C’est mon rôle. » Il explique « peser ses mots », se sentant constamment « jugé ». Pour lui, le seul outil pour débloquer la situation est « le dialogue ». Il organise une réunion le 14 octobre au soir pour parler « d’actualité » et « écouter » les étudiants. Pourtant, plusieurs mentionnent des « questions politiques soigneusement évitées ». Elisoa (1) était présente. Engoncée dans sa doudoune, elle se souvient :
« Ils esquivent tout ce qui fâche. »
Les échanges se sont limités à des sujets pratiques comme la vétusté du bâtiment, sans aborder les manifestations, relate-t-elle. Le directeur reçoit StreetPress sur des canapés en cuir, costume ajusté, chaussures lustrées et grosse montre au poignet. Il tente de clarifier : « Mes propos ont été mal interprétés. » Il indique avoir voulu « protéger » les résidents pour qu’ils « se concentrent sur leurs études » et ainsi « effacer les perturbations politiques de leurs têtes ». Avant d’avouer :
« Je comprends les colères contre le gouvernement. »
Concernant les tensions politiques, le directeur dit « ne pas prendre position » et reconnaît un « fossé générationnel ». Il cherche ses mots, bafouille. Bob indique ne « jamais donner son avis politique ». Selon lui, c’est ce qui « dérange les étudiants », persuadé que certains veulent prendre sa place, ces accusations visent à le « faire tomber ».
Des actions pour préserver ce foyer
Autre grief : un cumul de postes. Avant son arrivée, chaque foyer — à Cachan et à Paris — avait son directeur. Depuis 2021, Bob concentre l’ensemble des responsabilités en dirigeant les deux établissements et en assurant la comptabilité de chaque foyer, soit quatre fonctions à lui seul. « Faute de moyens, j’assure ces rôles en intérim », concède-t-il. Mais pour les militants, ça ne passe pas. « Il a supprimé des postes ! », dénonce Allan Ratozamanana, ancien résident du foyer. Engagé dans l’opposition malgache, Allan milite aux côtés de Kantyfy. Le directeur a porté plainte contre lui pour « atteinte à sa sécurité » et « menaces », disant craindre pour lui et sa famille. Allan gronde : « Le combat n’est pas fini ! »
Très attaché au foyer qu’il considère comme étant une « famille » et un « repère », il entend préserver ce lieu. Le collectif continue de publier sur Instagram des témoignages anonymes et promet de nouvelles actions comme des rassemblements devant le foyer ou des « attaques » en ligne. De son côté, le directeur veut « continuer à faire fonctionner le foyer » dans le calme et espère conserver son poste, bien qu’attendant la nomination d’un nouveau ministre de l’Enseignement supérieur.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Illustration de Une par Caroline Varon.
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