14/11/2025

Les victimes dénoncent « la complicité de l’industrie musicale »

Un compositeur de « Nouvelle École » accusé de violences conjugales

Par Garance Fragne

Vito Bendinelli, beatmaker de la saison 3 et 4 de l’émission rap « Nouvelle École », est visé par deux plaintes pour violences conjugales. Quatre ancien·nes conjoint·es témoignent et dénoncent un silence du milieu musical.

Début mai, 5 heures du matin, Paris — Lou (1) sort d’une insomnie et va dans la cuisine de son appartement. Vito Bendinelli, son compagnon, compositeur et beatmaker qui travaille notamment avec le rappeur SCH et pour l’émission de rap « Nouvelle École », l’aurait rejoint et assailli de questions. « À qui tu penses ? Pourquoi tu fais une insomnie ? Qu’est-ce que tu as dans la tête ? », relate-t-elle. Effrayée, l’assistante caméra et photographe aurait tenté de s’enfuir dans sa chambre avant qu’il ne bloque son passage et aurait fini par s’enfermer dans les toilettes.

Vito Bendinelli, de son vrai prénom Victor, se serait mis à tambouriner à la porte, en criant, encore, les mêmes interrogations. « Je ne pouvais rien dire, c’était impossible de le calmer », se remémore Lou, âgée de 28 ans. La photographe, toujours piégée dans l’étroite pièce, s’effondre et appelle sa mère — des faits confirmés par cette dernière auprès de StreetPress. Sur ses conseils, elle quitte l’appartement, en pyjama. Dans la rue, un Vito « furax » continuerait de la poursuivre. Pendant plusieurs heures, Lou se cache dans les ruelles de son quartier du XIe arrondissement avant de récupérer ses affaires et de se réfugier chez un ami. C’est l’appel téléphonique de sa mère à Vito qui met fin à la poursuite.

Des scènes comme celles-ci, la Parisienne dit en avoir vécu souvent au contact de l’artiste depuis qu’ils se sont mis en couple en juin 2024. Au cours de cette année, la cadreuse fait pour la première fois des crises d’angoisse, perd du poids, s’isole et, surtout, a envie de mettre fin à ses jours. Dans une capture d’écran d’un message envoyé à une amie en septembre 2024, Lou lui écrit qu’elle est « tellement à bout » et que « sauter du 11ème [étage, ndlr] pourrait calmer [sa] tête ».

À LIRE AUSSI (en 2024) : Le rappeur Jorrdee condamné pour « violence sur conjoint » : quatre femmes racontent

Après plusieurs ruptures, elle découvre qu’il fait l’objet d’une convocation de la police pour une plainte d’une autre victime déposée pour violences conjugales. Une procédure judiciaire minimisée par Vito lorsqu’ils étaient en couple, ce dernier aurait argué qu’elle avait été classée sans suite. Elle le quitte et engage à son tour des poursuites contre lui pour violences sexuelles et psychologiques en août.

À ses côtés, trois ancien​​·nes compagnes du beatmaker témoignent auprès de StreetPress : Lé, lae premièr·e plaignant·e dont le pronom est iel, Morgane (1) qui a raconté son histoire dans son dossier, et Elya (1), dans l’espoir de faire avancer la première plainte déposée il y a cinq ans et de dénoncer l’impunité, dont le directeur musical bénéficierait au sein de l’industrie musicale. Contacté, Vito Bendinelli n’a pas souhaité répondre aux questions de StreetPress tant que « l’affaire est en cours ». Alors qu’il a menacé le média d’attaque en diffamation dans un premier SMS, il répond dans un deuxième qu’il pourra en parler « avec plaisir une fois l’affaire jugée. En attendant, laissons la justice travailler ».

Show sur Netflix

Si Vito Bendinelli n’est pas connu du grand public, le Lyonnais jouit d’une certaine notoriété dans le milieu. Récemment, il a co-composé « Train Mistral » du rappeur SCH, single extrait de la bande originale du film d’animation « Marcel et Monsieur Pagnol » réalisé par Sylvain Chomet (2025). Il a aussi travaillé sur des chansons de la comédie musicale « La Haine » de Mathieu Kassovitz comme assistant. Sur son site Internet, le beatmaker de 32 ans affirme avoir travaillé sur la tournée de nombreux artistes comme PLK ou encore avoir été arrangeur pour le son « Allons zenfants » du rappeur Médine.

Pour la saison 4 de « Nouvelle École », diffusée sur Netflix, l’artiste a aussi composé plusieurs titres pour des candidats et apparaît dans l’épisode 6 « Choquer en showcase ». Il intervient en tant que beatmaker, présenté sous son surnom Vito, et est notamment filmé en train de composer les singles des rappeurs Eve La Marka et Elten. Aux alentours de la dix-septième minute de l’épisode, il est montré en train de danser tout seul.

Dans l'épisode 6 de la saison 4 de « Nouvelle École », diffusée sur Netflix, Vito intervient en tant que beatmaker. / Crédits : Netflix-Nouvelle École

Selon un ancien compositeur ayant travaillé avec Vito Bendinelli, qui préfère rester anonyme, le beatmaker aurait assuré que la production de « Nouvelle École » aurait appris, après une enquête interne, qu’il faisait l’objet d’une plainte pour violences conjugales. Les deux entreprises sont Black Dynamite Production et Grand Paris Studio — un studio de production musicale pour lequel l’agresseur présumé a travaillé (2). Celle-ci aurait été lancée à la suite d’une autre histoire : la révélation par BFMTV, en 2023, d’une plainte pour viol — depuis classée sans suite — visant Yuz Boy, le gagnant de la saison 2. La production aurait alors décidé de couper son visage dans l’épisode 7 de la saison 3, « Premier Showcase », dans lequel il apparaît. Seules ses mains, reconnaissables avec sa chevalière et ses tatouages, sont dévoilées. Il est d’ailleurs le seul compositeur à ne pas être filmé en entier lors de cette troisième saison.

Il est filmé en train de composer le single de la rappeuse Eve La Marka. / Crédits : Netflix-Nouvelle École


Et celui d'Elten, toujours dans l'épisode 6 de la saison 4 de « Nouvelle École ». / Crédits : Netflix-Nouvelle École

Contacté par StreetPress, Grand Paris Studio, par la voix de leur avocat Sadry Porlon, dit en effet avoir été informé d’une plainte en 2023 et avoir « longuement échangé sur ce sujet avec le principal intéressé ainsi qu’avec son conseil habituel ». Le studio affirme avoir compris à l’époque qu’un non-lieu avait été prononcé — ce qui n’a pas été le cas selon nos informations — avant qu’une procédure ne reprenne et souligne que Vito Bendinelli n’a jusqu’ici pas été mis en examen. Les faits n’ayant pour l’instant « donné lieu à aucune condamnation » et n’ayant « aucun rapport avec l’environnement de travail », Grand Paris Studio répond qu’il ne pouvait pas « rompre sa collaboration avec Vito Bendinelli ». Il ajoute également que son contrat aurait pris fin avec l’entreprise « depuis mars 2025 » — au moment du tournage de la saison 4 de « Nouvelle École ».

Grand Paris Studio indique ne pas vouloir « minimiser le trouble que Vito Bendinelli a pu causer à des tiers » mais considère que « les informations qui lui sont parvenues à l’époque ne lui permettaient pas de prendre des décisions contraignantes » sans « s’exposer juridiquement ». Sollicités par StreetPress, Black Dynamite Production et Netflix n’ont pas répondu à nos questions.

La tête plongée dans l’eau jusqu’à l’étouffement

C’est le 8 mars 2018 que Lé, alors âgé·e de 19 ans, dit avoir rencontré Vito Bendinelli à Montpellier (34) lors d’une soirée pour la Journée internationale des droits des femmes. Lui, beatmaker, et iel, en formation d’artiste de cirque, forment un couple quelques semaines plus tard et très vite, les premières violences psychologiques apparaissent.

Chaque nuit, il lui poserait des questions sur ses relations passées.

« Tu es sorti avec combien de personnes ? Tu as couché avec qui ? Comment c’était le sexe avec eux ? »

Et l’empêcherait ainsi de dormir : « Il me maintient éveillé jusqu’à ce que je me trompe puis me traite de mythomane, me plaque contre le mur, et me menace de me frapper avec son poing », illustre-t-iel qui commence à douter de sa propre personne. Un vécu partagé par Morgane, en couple avec Vito Bendinelli en 2020. Elle confie :

« Je n’arrivais plus à dormir. Je me sentais folle et je ne savais plus si ce que je vivais était réel. »

À l’été 2018, la spirale de violences se serait intensifiée. Plusieurs fois par semaine, il hurle à quelques centimètres du visage de Lé, lae saisit aux poignets ou encore renverse sur iel le café qu’iel lui apporte. En août, lors de vacances à Malte, les crises de colère du compositeur seraient omniprésentes. Une journée, alors qu’iels sont à la plage, il aurait plongé la tête de Lé dans l’eau jusqu’à ce qu’iel s’étouffe. Et lui aurait dit : « Maintenant, tu arrêtes tes bêtises. Si tu n’en fais pas, tout se passera bien », relate cellui qui vit aujourd’hui entre Montpellier et Paris.

À leur retour, Vito lui cognerait la tête contre le mur et lui répéterait sans cesse qu’iel est « un·e séducteurice pervers·e », « un·e mythomane » et « un·e coquille vide ». Dans son journal intime, lae plaignant·e écrit qu’iel n’a plus la force de vivre et semble s’attribuer les mots que son compagnon lui répéterait au quotidien : « Je suis stupide », « malhonnête », « allumeureuse », « mauvais·e ».

Une violence assumée

L’année suivante, l’artiste, qui est dans une situation économique précaire, est hébergé·e chez Vito Bendinelli durant un mois. Lors de cette période, il lui aurait interdit de sortir de son appartement. Iel n’avait alors pas le droit d’aller faire des courses ou de choisir quel pyjama iel allait porter. « Je pouvais juste aller aux toilettes. » Deux anciens voisins de Vito, ayant témoigné dans sa plainte, rapportent avoir entendu à plusieurs reprises de violentes disputes entre elleux. « Il y a une fois où il a explosé un tancarville dans l’appartement », explique un témoin. Un autre ajoute l’avoir entendu hurler sur Lé et lui dire par exemple :

« Ne me force pas à devenir violent. »

Dans un e-mail envoyé après leur rupture en 2023, que StreetPress a pu consulter, Vito s’adresse à iel dans un long texte où il reconnaît avoir été « pathétique, paranoïaque, violent » dans leur relation et dit vouloir « assumer la violence psychologique et la charge mentale [qu’il a pu lui infliger] devant un juge ou autre ».

Cette surveillance et ce contrôle permanent qu’iel a vécu, les autres témoins disent aussi en avoir été victimes. Lou, par exemple, affirme qu’il aurait jeté et caché certains de ses habits qu’il jugeait trop moulants, trop sexy, trop féminins. Dans une capture d’écran d’un message, daté du 9 septembre 2024, Lou se justifie auprès du compositeur d’avoir publié une story d’elle sur Instagram où elle porte un legging. « […] Ton avis sur mon corps et sur le fait que je l’utilise de telle ou telle manière me fait me sentir sale. […] Je ne peux pas mettre de legging dans ma vie sinon je veux qu’on voie mon cul ? », peut-on lire. Ce à quoi Vito Bendinelli a notamment répondu :

« Un legging, oui c’est sexué, sinon les hommes en mettraient et je trouve ça nul de se voiler la face. »

Elle le soupçonne aussi de lui avoir offert des AirPods et de les avoir connectés à son téléphone afin de la localiser. Après des disputes, il serait venu dans les cafés où elle s’était réfugiée. Il est aussi arrivé que Vito Bendinelli lui fasse du chantage au suicide, comme en témoigne un message qu’il a envoyé le 20 septembre 2024 dans lequel il lui dit qu’il a envie « de se jeter sous une voiture », et qu’elle est « horrible de le laisser comme ça ».

Viols et coercition sexuelle

Selon les ancien·nes conjoint·es interrogé·es et des proches, il consommerait régulièrement des drogues, dont de la cocaïne, et leur aurait demandé jusqu’à six rapports sexuels par jour, basés sur la violence et l’humiliation. En août 2019, Lé dit avoir subi un viol « très violent » alors qu’iel dormait :

« Je me suis fait réveiller par la douleur de la pénétration, puis il m’a poussé en dehors du lit et s’est endormi. Moi, j’étais en crise de larmes. »

Pour Morgane, 29 ans, les violences sexuelles seraient si « fréquentes » qu’elles passent inaperçues car elles ont lieu après une forte coercition sexuelle, c’est-à-dire au fait de manipuler l’autre dans le but d’avoir une relation sexuelle. « C’était soit parce que j’en avais marre de me justifier sur mon “non”, ma façon de faire l’amour, du fait que, selon lui, je ne l’aime pas assez. »

Même son de cloche chez Lou qui se souvient d’un soir où il aurait annulé un dîner au restaurant avec elle après qu’elle ait refusé un acte sexuel. « À force, tu n’en peux plus et tu fais ce qu’il demande », résume-t-elle en précisant qu’à la fin de leur relation, alors qu’ils faisaient chambre à part, elle avait pris l’habitude de retirer et de garder sa poignée de chambre près d’elle pour ne pas qu’il puisse entrer. Par ailleurs, les rapports sexuels avec lui auraient été si violents, que l’assistante caméra a dû retirer son stérilet, déplacé dans un muscle de son utérus. Dans une échographie, datée d’avril, la gynécologue écrit que le moyen de contraception est « en situation inhabituelle, enchâssé dans la corne utérine ».

Pyélonéphrite aiguë (infection au niveau du rein), cystites, infections vaginales, vaginisme, crises de tétanie, cauchemars, paralysies du sommeil… sont les nombreux troubles dont Lé dit avoir souffert après sa relation avec Vito Bendinelli. Dans sa plainte, son cardiologue indique aussi qu’iel souffre de crises de tachycardie pouvant avoir été accentuées par « le stress et le manque de sommeil ».

Il y a deux ans, Elya, en couple avec Vito Bendinelli, voit son corps entier recouvert de psoriasis — une maladie inflammatoire de la peau — comme en témoigne une vidéo visionnée par StreetPress. De son côté, Morgane est tombée un an en dépression avant de devenir bénévole au Planning Familial, et d’accompagner des femmes victimes de violences. Quant à Lou, elle se sent libérée et réalise peu à peu à quel point la violence de Vito Bendinelli était « dans tous les détails de [sa] vie. » À l’unisson, les quatre victimes dénoncent « la complicité de l’industrie musicale », gardienne de l’impunité des artistes auteurs de violences. Lé déclare :

« La solidarité masculine est totale, ils se protègent entre eux. »

Les procédures liées aux plaintes étant en cours, Vito Bendinelli est présumé innocent.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

(2) Grand Paris Studio a par ailleurs fait la composition musicale de plusieurs documentaires de StreetPress.

L’image de Une est une capture d’écran de l’épisode 6 de la saison 4 de « Nouvelle École », modifiée par Mila Siroit.