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    08/12/2011

    Interview cash avec Chawki Freiha

    Révolte en Syrie: « C'est une question de semaines avant que le retournement d'Alep mette à nu le régime »

    Par Lucas Soulabail

    Sur StreetPress Chawki Freiha raconte que «des milliers de soldats syriens sont maintenus dans leur caserne par des gardiens de la révolution iranienne». Attention le spécialiste du proche-Orient n'est pas connu pour ses positions pro-Assad.

    Que pensez-vous de la récente sortie de Bachar Al-Assad sur ABC News dans laquelle il légitime la répression et nie le massacre en cours des insurgés ?

    Une fois de plus, Bachar al-Assad se moque du monde.

    On peut tout de même se poser la question d’une diabolisation unilatérale des médias occidentaux à l’égard du régime au pouvoir, non ?

    Assad est arrogant, il a la folie des grandeurs et ne pense pas qu’il puisse être renversé. Il avait dit en janvier dernier que rien ne se passerait en Syrie parce-qu’il est en phase avec son peuple et que ce dernier est heureux du discours anti-occidental et anti-israélien qu’il lui sert. Il est à mille lieux de penser que le peuple puisse avoir des revendications légitimes. Il s’accroche au pouvoir totalitaire absolu pour sauver son régime.

    C’est voué à l’échec ?

    Absolument. Je viens de voir que la Ligue Arabe va donner une réponse négative aux propositions syriennes, ce qui signifie que les sanctions auront bien lieu, que le protocole d’accord ne sera pas signé. Le pouvoir syrien en place va bien sûr dire qu’il a tout fait pour signer mais que ce sont les arabes qui, sous le diktat américain n’en ont pas voulu. Il va nous servir le couplet habituel : « un complot universel est ourdi contre la Syrie, car la Syrie représente une politique de résistance contre les Américains et les sionistes ».


    Qui es-tu Chawki Freiha ?

    Spécialiste du Proche-Orient, Chawki Freiha s’intéresse particulièrement aux affaires syro-libanaises, au Sahel et à l’Algérie. Ce discret consultant franco-libanais est basé à Paris et à Beyrouth et n’est pas connu pour ses positions pro-syriennes. Il a fondé le site MédiaArabe.info

    Si on isole la Syrie de toutes ces relations, la Syrie n’est rien

    Quel est le pouvoir de l’armée en Syrie ?

    Parlons déjà de la structure de l’armée. Depuis 1963 et l’arrivée du parti Baas au pouvoir, l’armée n’a eu de cesse d’être déstructurée. Il a fondé plusieurs brigades confessionnelles. Les élites sont alaouites. Les troupes mixtes sont commandées par des officiers alaouites. Les subordonnés, c’est-à-dire le plus gros de la troupe, est sunnite et ils n’ont aucun pouvoir. L’an dernier, j’avais vu un début de révolte des appelés qui sont cantonnés à des tâches domestiques dans les maisons et fermes des officiers alaouites. Il y a eu un ras-le-bol général. Il y a eu aussi des intoxications massives dans plusieurs casernes, à cause au manque d’hygiène et à la malnutrition. Cela est dû à une Syrie affamée qui a subi 2 ou 3 saisons de sécheresses et donc de mauvaises récoltes. Les appelés avaient le droit à un repas par jour, l’équivalent de 8 olives. L’armée est dans un état délabré. Assad père l’a structurée selon l’inféodation au chef. L’armée agit selon le désir de son chef et de son régime au lieu d’être la protectrice de l’Etat. C’est pour cela notamment qu’aujourd’hui, entre 25.000 et 35.000 militaires sont passés du côté de l’armée syrienne libre. Enfin, mais c’est une information qui gagnerait à être vérifiée et recoupée, il paraît que plusieurs milliers de soldats sont aujourd’hui cantonnés dans leur caserne et maintenus par des gardiens de la révolution iranienne, chargés de mater toute tentative d’insurrection afin d’empêcher les défections de masse.

    Ce qui signifie qu’un retournement de l’armée peut arriver à tout moment

    Tout à fait. Des centaines de militaires ont déjà tués pour avoir menacé de se rebeller, avoir refusé de tirer sur des manifestants ou tenté de passer du côté des rebelles. On parle de près de 800 morts, donc c’est énorme. La démonstration de force de dimanche avec le déploiement balistique et aérien a pour seul but de montrer, de démentir les allégations qui voudraient dire que l’armée est en pleine crise. Mais selon des informations que j’ai de l’intérieur de la Syrie, l’armée est aujourd’hui épuisée parce-que présente depuis 8 mois sur un front difficile, qui en plus ne lui est pas habituel. Mais plus encore, elle est démobilisée au niveau moral parce-qu’elle est obligée de tirer sur les siens.

    L’interview de Bachar le 7 décembre sur ABC

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    Une fois de plus, Bachar al-Assad se moque du monde

    Quelle relation entretient Assad avec le peuple syrien ?

    Elle varie selon son appartenance géographique et confessionnelle. La bourgeoisie de Damas adore Assad. Depuis son arrivée au pouvoir il y a dix ans, il leur a donné des miettes pour les faire taire. Et ça marche. Le pouvoir politique est entre mains alaouites et plus spécifiquement le clan au pouvoir. De l’autre côté, le pouvoir économique est détenu par la bourgeoisie sunnite et chrétienne. Ce trio est à la tête de la Syrie depuis les années 1970. Quand il est arrivé au pouvoir, Assad avait des ambitions d’ouverture sur le monde. Il avait proposé par exemple en 2002 une loi sur la finance qui projetait l’ouverture du territoire syrien aux banques étrangères. Le parti Baas avait dans un premier temps refusé cette proposition, par peur que l’ouverture devienne une brèche puis une tempête étrangère menaçant le pouvoir en place. Pour contourner cela, Assad n’a autorisé l’implantation de banques étrangères que dans certaines zones franches, notamment à Damas. Ainsi, le secteur bancaire a pu se développer comme le nécessite toute économie mais surtout, ce nouveau système a fini par convaincre les caciques baasistes. Pourquoi ? Car par ce système ils pouvaient blanchir l’argent sale de la corruption et du pillage de la Syrie et du Liban.
    Aujourd’hui, le vrai espoir d’un retournement de la situation en faveur des insurgés vient d’Alep, la capitale économique. Tournée vers la Turquie, la métropole est en proie à une pénurie d’électricité depuis qu’Ankara a décidé de ne plus en lui fournir. Les nombreuses industries d’Alep souffrent. On s’attend aussi à une flambée des prix à l’import-export entre les deux pays. Enfin, le transit de marchandises de la Turquie vers le monde arabe ne va plus passer par la Syrie, mais par d’autres Etats. L’Irak pour la Jordanie par exemple. Tout cela à cause de l’annulation par Assad de l’accord de libre-échange entre Turquie et la Syrie. Alors, même si les bourgeoisies chrétienne et sunnite d’Alep soutiennent encore Assad, ce coup de frein donné à l’économie de la ville va finir par se retourner contre lui.

    Les appelés avaient le droit à un repas par jour: l’équivalent de 8 olives


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    Entre 25.000 et 35.000 militaires sont passés du côté de l’armée syrienne libre

    Ça n’est plus qu’une question de temps ?

    Absolument. D’ailleurs, aujourd’hui, les milices ont attaqué la faculté d’ingénierie d’Alep et ont tout cassé à l’intérieur. C’est une question de semaines avant que le retournement d’Alep mette à nu le régime.

    Quand Assad tombera, comment va se reconstruire le pays ? Quel projet, quelles orientations ?

    Le Conseil National Syrien (CNS) est aujourd’hui chargé de définir ces orientations. Le pouvoir en place essaie de briser son élan en le déclarant inféodé aux puissances étrangères contre l’intérêt syrien. Assad a d’ailleurs mis en place des factions factices d’opposition syrienne pour dire : « vous voyez, l’opposition est tolérée en Syrie ». Ceci est mensonge et manipulation. Mais malgré toutes ces tentatives, le pouvoir n’a pas encore réussi à briser l’élan du CNS.

    Le CNS a déjà élaboré un programme ?

    Oui. Plusieurs orientations. Par exemple, la fin de l’alliance de la Syrie avec l’Iran, le Hamas et le Hezbollah. D’un côté cela reflète l’état d’esprit des syriens qui n’en peuvent plus des iraniens et du Hezbollah, mais cela peut jouer un mauvais tour au CNS parce-que plus il dénonce le Hezbollah et l’axe de la résistance plus il apparaît comme comploteur occidental contre la Syrie. Il faut être très prudent dans cette optique.

    Des attelés qui sont cantonnés à des tâches domestiques dans les maisons et fermes des officiers alaouites


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    La Syrie aura-t-elle encore une place centrale au sein du Moyen- Orient si le pouvoir bascule ?

    C’est la Syrie qui revendique cette place centrale. Si elle a réussi à l’acquérir, c’est qu’Assad père pratiquait l’extorsion de fonds grâce au terrorisme. Il envoyait des preneurs d’otages ou des terroristes pour commettre des attentats. Paris en est passé par là. Il suffit d’avoir écouté Alain Marceau sur France Info à propos de l’ouverture du procès de Carlos pour s’en convaincre. Attentats au Koweït, en Arabie Saoudite, l’exploitation du PKK par la Turquie dans l’histoire du partage de l’eau, les Frères musulmans contre la Jordanie… La Syrie a toujours manipulé le terrorisme érigé en diplomatie d’Etat plus contre ses partenaires d’ailleurs que contre ses adversaires. On n’a jamais vu ça contre Israël par exemple. La Syrie a toujours réussi à s’imposer grâce à cette violence étatique terroriste. Quelques temps avant la chute du régime de Saddam Hussein, la Syrie s’est ouverte sur l’Irak et a importé du pétrole à bas prix dans le cadre d’un plan « nourriture contre pétrole ». La Syrie produisait à l’époque 600.000 barils de pétrole par jour. Elle en importait la même quantité à 15 dollars le baril et vendait sa propre production à 45 dollars le baril. C’est ainsi que la Syrie a réussi à rembourser ses dettes héritées auprès de l’ex-Allemagne de l’Est et l’ex-URSS et à constituer un trésor de guerre de plusieurs milliards de dollars. Après la chute de Saddam, la Syrie est devenue le « hub » du terrorisme régional contre les Américains en Irak. Ils ont embourbés les Américains en Irak ce qui a conduit à l’échec de leur programme sur toute la région. C’est ainsi qu’elle s’est imposée comme place centrale. Donc, d’un côté elle tient le front libanais par le Hezbollah, elle menace le nord d’Israël avec le Golan, elle manipule le PKK avec la Turquie, elle manipule le terrorisme en Irak grâce aux Baas irakiens rescapés en Syrie et grâce au réseau terroriste d’Al-Qaïda qui transite par la Syrie. Donc elle tient les monarchies du Golfe par les minorités chiites et alaouites qui font partie de la même confession religieuse, liées au Hezbollah. De plus, elle a renforcé son alliance avec l’Iran. Parallèlement, elle s’est imposée comme la vitrine maritime méditerranéenne de l’Irak. Ses projets sont de relier le gaz et le pétrole irakien et iranien vers l’Europe à travers la Syrie. Elle voulait devenir le couloir de transit des hydrocarbures du Golfe vers l’Europe pour éviter les prises d’otages dans le Golfe d’Aden ou le détroit d’Hormoz.
    Si on isole la Syrie de toutes ces relations, la Syrie n’est rien.


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