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    24/10/2014

    Patrick manifeste pour obtenir une vraie reconnaissance quand il pose nu

    « Modèle d’art, c’est un vrai métier. Traitez-nous décemment!»

    Par Patrick Bellaiche

    Lundi dernier, les modèles d’art manifestaient sur le parvis de l’Hôtel de Ville, pour la deuxième fois cette année. Patrick modèle depuis 20 ans et délégué syndical FO, nous raconte le job et revient sur le combat de cette profession sous-considérée.

    Le métier de modèle d’art a commencé pour moi complètement par hasard, à 36 ans. J’étais sur un forum associatif et il y avait près de notre stand un atelier qui cherchait des modèles hommes. J’ai laissé ma carte, ils m’ont rappelé dans la semaine et après cette première séance le bouche à oreille a fonctionné et au bout de trois ans, modèle d’art était devenu mon nouveau métier.

    Tout le monde pense que c’est facile d’être modèle, et la crise aidant, de plus en plus de gens se sont improvisés modèle. Mais il faut une réelle maîtrise de son corps, de sa gestuelle : il faut être à l’aise avec la nudité sous tous les angles et aimer jouer avec son corps, occuper l’espace et se mettre en scène.

    À l’origine je faisais des dépannages pour des petits ateliers des assos culturelles qui faisaient des initiations de croquis d’après-modèle vivant. Mais quand on rentre dans le milieu des Arts appliqués, les professeurs sont évidemment beaucoup plus exigeants : ils donnent les objectifs du cours, et le modèle d’art doit s’adapter aux directives des profs et improviser sur le thème annoncé. Le modèle d’art doit être à l’écoute du professeur pour l’aider à atteindre ses objectifs pédagogiques, parce qu’un professeur qui n’est pas content, c’est un professeur qui ne nous reprend plus. Et ça, un modèle d’art pro ne peut pas se le permettre : on passe déjà notre temps en plus des heures de poses, à courir partout pour démarcher des profs. Être modèle demande un investissement personnel et permanent pour vivre du métier de la pose.

    Mairie VS Beaux-Arts

    Les modèles d’art qui posent pour la DASCO dans le cadre de cours municipaux pour adultes ou dans des écoles d’Arts appliqués, c’est la même chose : les séances durent 3 heures des fois 4 h. On pose 45 minutes maxi et on a un quart d’heure de repos, mais les temps de pose peuvent varier entre 30 secondes et 45 minutes. Il arrive que parfois, les profs réduisent le temps de repos à un seul au lieu de deux pour que le travail produit par les élèves tienne dans le format du cours.

    C’est clair qu’après 45 minutes dans la même pose, je souffre de crampes musculaires ! La nudité nous rend vulnérable aux coups de froid ou aux mycoses, par exemple. A la longue, on peut avoir de vrais problèmes de santé, où souffrir de troubles psychosociaux, en raison du stress intense lié à la promiscuité, à la pression constante de notre milieu professionnel, aux déplacements fréquents d’un atelier à l’autre qui, s’ils ne sont pas tempérés par une bonne hygiène de vie équilibrée, nous prédisposent à des troubles d’irritabilités, du sommeil et à un état dépressif.

    Mais le modèle d’art n’a pas le droit d’être malade : pour que la caisse d’assurance-maladie calcul ses indemnités, il faut qu’il appelle tous les employeurs qui l’ont fait poser dans le courant du dernier trimestre pour demander les attestations de salaires. Quand on est salarié pour un employeur ou deux dans le trimestre, c’est faisable, un modèle d’art peut avoir 10 employeurs différents par semaine, c’est juste impossible. Pour les attestations Assedic, c’est aussi le parcours du combattant, il faut que le modèle d’art rassemble toutes les attestations ou Pôle Emploi gèle son dossier.

    Nous demandons une reconnaissance, professionnelle, statutaire mais aussi sociale parce qu’à ce jour le métier de modèle d’art, c’est vraiment un travail de non-droit. Et j’ai l’impression que c’est un schéma récurrent dans notre pays, sous prétexte de faire le métier qu’on aime, le métier, qu’on a choisi, on doit galérer, on a le droit d’être précaire : et c’est comme ça pour beaucoup de métiers artistiques. Résultat, on vit au jour le jour, même à l’approche de la « retraite ».

    75.000 modèles d’art en France

    Concrètement, nous demandons à la Mairie de Paris de reconnaître notre métier et que la Direction des Affaires Scolaires qui n’a pas revalorisé le taux horaire des modèles d’art depuis 2008 aligne son taux horaire aujourd’hui de 11euros/h, sur celui des ateliers Beaux-Arts de la DAC, soit 15euros/h. A travail égal, salaire égal ! Et aussi l’aménagement de nos postes de travail. Et surtout, que la DRH de la Mairie de Paris signe une convention Unedic/Assedic pour que, du début à la fin, ce soit Pôle Emploi qui gère les dossiers. Sur les 75 000 salariés, un agent sur 6 occupe un emploi précaire, soit environ 11.000 précaires

    Le pire, c’est de ne pas avoir de retour de la part de la DRH, alors qu’on est censés se rencontrer dans le cadre de problématiques liées aux attestations d’Assedic, et dans le cadre d’une véritable urgence sociale. Nous attendons six à huit mois avant de percevoir nos indemnités, sous sommes réduits à aller voir les services sociaux pour survivre. Le mépris de la DRH de la Mairie de Paris est insultant et indigne.

    C’est impossible en touchant nos indemnités avec 6 à 8 mois de retards d’avoir des relations cordiales avec son banquier et son propriétaire. La section FO du collectif des modèles d’art de Paris ne va rien lâcher, comme on le fait depuis 2008. On ne réclame pas grand-chose en plus de la reconnaissance de notre métier de modèle d’art, et de la revalorisation de salaire, simplement d’avoir des attestations en temps et en heures, pour s’en sortir d’un mois sur l’autre. Évidemment que dans l’idéal, on aimerait avoir de vrais contrats de travail, mais ça, ils ne veulent même pas en entendre parler, au nom de la sacro-sainte « flexibilité ».

    Propos recueillis par Maëlle Lafond

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