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    23/12/2010

    Si Karadzic n'est pas condamné à Paris, le fonctionnement du TPI serait remis en cause « de manière extrêmement grave » s'inquiète Me Jurasinovic

    Procès Karadzic à Paris: l'avocat de la famille Kovac invoque la « présomption de culpabilité »

    Par Olivia Vigno

    Grande première hors TPI: Le 15 décembre se tenait à Paris le procès de Karadzic et Mladic pour des exactions sur une famille bosniaque immigrée en France. L'avocat espère les condamner sur la notion de «présomption de culpabilité».

    Présent aux 27 audiences préalables depuis presque 6 ans, Maître Ivan Jurasinovic, avocat de la famille Kovac, est spécialiste en droit européen et international. Le jeune avocat de 31 ans vit à Angers.

    Son blog

    Bonjour Me Jurasinovic. Faire juger Radovan Karadzic et Ratko Mladic à Paris, ce n’est pas quelque chose commun …

    Effectivement, c’est la première fois qu’une telle action est engagée. On n’a pas eu la possibilité de se rattacher à des travaux qui ont pu être fait précédemment. On a pas non plus la possibilité de bénéficier de la jurisprudence, de décisions antérieurement rendues. Après le travail de l’avocat c’est de se fonder sur les textes. Avec la loi française, ça m’a paru faisable. Maintenant c’est vrai qu’on a pris du temps.

    Vous avez invoqué la « présomption de culpabilité », qui est en vigueur au Tribunal pénal international de La Haye (TPI) pour faire condamner Karadzic et Mladic. Pourquoi ?

    On a un principe en vigueur dans la plupart des pays qui sont des états de droits, c’est la présomption d’innocence. Au TPI ça ne fonctionne pas comme ça. La simple mise en accusation constitue déjà une sorte de pré-jugement concernant votre culpabilité. C’est la raison pour laquelle nous demandons au tribunal que même Karadzic et Mladic n’étant pas jugés, nous puissions obtenir une sorte d’avance sur l’indemnisation en considérant que de toute façon leur culpabilité est présumée.

    La procureur de la République s’y est opposée…

    Le Ministère Public s’est opposé à cette demande pour un motif intéressant. Il nous dit que c’est contraire à l’ordre public. Ça veut dire contraire aux droits fondamentaux de la France. Ça pose une difficulté parce que si la présomption de culpabilité qui est en vigueur à La Haye ne peut pas être transposée en droit français, c’est une manière de remettre en cause, de manière extrêmement grave, tout le fonctionnement du TPI.

    Le procès

    « Les victimes n’en peuvent plus d’attendre et n’ont aucune raison d’attendre », explique Maître Ivan Jurasinovic, avocat de la famille en début de plaidoirie mercredi 15 décembre. Le principal intéressé, Rodovan Karadzic, ex-chef politique des Serbes de Bosnie, n’assiste bien évidement pas au procès. Après un rapide rappel du cadre législatif, l’avocat résume les crimes dont ont été victimes les membres de la famille. « Quand on voit son père se faire torturer sous ses yeux (…) on éprouve une difficulté à se construire (…). C’est une souffrance quotidienne ».

    Le procès se déroule sans heurt jusqu’à ce que la procureure de la République s’oppose en fin d’audience à « la présomption de culpabilité » invoquée par Maître Ivan Jurasinovic. « Elle ne me semble pas applicable dans cette instance », insiste-t-elle. Un argument qui pourrait sans doute faire basculer la décision finale, annoncée le 28 février prochain.

    Dans votre plaidoirie, vous avez évoqué la jurisprudence Papon. Qu’est-ce que c’est ?

    C’est une jurisprudence qui est intéressante parce que quand un représentant de l’État commet un crime, ça ne veut pas dire nécessairement que l’État était d’accord, mais ça sous-entend que l’État est responsable. Donc l’idée c’est de dire qu’en Bosnie-Herzégovine c’est la même chose puisque les anciens dirigeants ont commis des crimes pour l’État et bien c’est à l’État de payer des indemnités pour les victimes.

    Est-ce que vous avez été aidé dans votre travail par le Tribunal Pénal International de La Haye ?

    Ils ont été en dessous de tout. Sur l’acte de la procédure le TPI n’a pas beaucoup coopéré, c’est le moins qu’on puisse dire. Puisqu’au même moment où ils le bloquait, le président du Tribunal de La Haye se pavanait à la tribune de l’assemblée générale de l’ONU pour dire que les droits des victimes n’étaient pas assez respectés et qu’il fallait les indemniser !

    Lors du procès vous avez mis le doigt sur le quotidien de leur fille de 10 ans, qui elle n’a pas connu la guerre, pourquoi ?

    C’est important parce que cette petite est née en France (…) mais elle évolue dans un contexte d’après-guerre. C’est ce que j’appelle un préjudice identitaire. Elle n’a pas la même vie que le reste de la famille. C’est difficile de se construire quand on a pas la même histoire, même si elle a la chance de ne pas l’avoir connue, elle vit la guerre par procuration.

    Qu’attendent vos clients ?

    Évidement une reconnaissance. (…) Ils avaient une situation établie là-bas. Aujourd’hui monsieur Kovac ne peut plus travailler, il est invalide, madame Kovac a une activité professionnelle limitée. Il y a également une demande à caractère financier pour pouvoir, sinon réparer, pouvoir compenser une situation financière qui aujourd’hui est due à la guerre.

    Est-ce que vous pensez que ce procès est le premier d’une longue série ?

    Je ne peux pas du tout présumer de ce que sera l’intention des victimes des mêmes faits. Beaucoup de temps est passé, peut-être que beaucoup de gens n’ont pas réclamé d’indemnisation car ils ne pensaient pas que c’était possible. Maintenant, l’effet de masse, je suis réservé là-dessus.

    Pourquoi avez-vous décidé de plaider cette affaire ?

    D’abord parce que c’est une affaire terrible, des gens ont manifestement été victimes des crimes les plus graves. En plus, j’ai moi-même des origines dans la région donc je connais tout le background, ce sont des choses qui me sont familières. J’ai également considéré qu’on avait des raisons juridiques d’espérer une solution satisfaisante.

    La parcours de la famille Kovac

    Avril 1992: En pleine guerre de Bosnie, dans une maison isolée de Tjentiste, près de Foca, aujourd’hui à la frontière du Montenegro, des assaillants rouent de coups le père Kovac, jusqu’à le laisser pour mort. Puis ils menacent la famille, l’enferment à clé, avant d’arroser la maison d’essence.

    2005: La famille Kovac, installée à Angers, assigne quatre criminels de guerre serbes devant la justice française : l’ex-président de l’assemblée, Momcilo Krajisnik, l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie-Herzégovine, Radovan Karadzic, l’ancienne présidente des Serbes de Bosnie, Biljana Plavsic et l’ancien chef militaire toujours en fuite, Ratko Mladic.

    Juillet 2008: Radovan Karadzic est arrêté à Belgrade après s’être caché pendant 13 ans. Son procès débute le 26 octobre 2009 au Tribunal Pénal International de La Haye. Il est accusé de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour son rôle dans la guerre de Bosnie (1992-1995) qui a fait 100.000 morts et 2,2 millions de déplacés.

    Juin 2010: La justice française se déclare incompétente pour juger Krajisnik, au profit de la justice néerlandaise. En revanche, elle considère pouvoir examiner les éventuelles responsabilités de Mladic et Karadzic. Le cas de Plavsic, lui, a été renvoyé à une date ultérieure.

    15 décembre 2010: La famille Kovac demande à la Première chambre civile du tribunal de grande instance de Paris de reconnaître la responsabilité des anciens responsables serbes dans les humiliations et les tortures qu’elle a subies, ainsi que dans le pillage et l’incendie de sa maison, survenus après son départ. Elle réclame un total d’un million d’euros.

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