Je vais partager avec vous mon quotidien. Je suis prof de lycée. Mais pas dans n’importe quelle classe. Les adolescents qui composent ma classe viennent des quatres coins du monde. Ils ont fuit, seul(e)s ou avec leurs parents, des zones de guerre ou d’extrême pauvreté. Je vais vous raconter cette course quotidienne contre la montre. Une course contre la montre pour que ces adolescents ne soient pas expulsés, eux et leurs familles, du territoire français.
Lorsque ces adolescents sont seul(e)s et mineurs, ils sont pris en charge en tant que « mineurs isolés », dans un premier temps jusqu’à leur majorité. On ne peut pas les renvoyer du territoire français mais la plupart sont effectivement dans des situations difficiles et de grandes incertitudes concernent leur avenir. Surtout ils ne sont pas sûrs d’être régularisés à 18 ans.
La crainte permanente d’être expulsé à 18 ans
Souvent ils sont arrivés via des passeurs et ont détruit leurs papiers pour ne pas être renvoyés. Ils doivent alors refaire leurs papiers, passeport etc… c’est une véritable épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Mais aussi, une course contre la montre.
Ce contexte me fait travailler dans la crainte permanente de les voir expulsés une fois qu’ils atteignent la majorité. Ce qui se produit souvent en cours d’année.
Les élèves de ma classe viennent de partout. Il y a des tendances sur certaines années en fonction des guerres et crises économiques. On a eu beaucoup de portugais à un moment donné avec la crise que traversait le pays, des tchétchènes et depuis deux ou trois ans, beaucoup de mineurs isolés, venant d’Afghanistan, du Bangladesh et d’Afrique subsaharienne.
Parfois l’asile leur est refusé. Les Sri Lankais obtenaient facilement, auparavant, l’asile et depuis quelques années ce n’est plus si évident. Dernièrement un jeune a fait la demande d’asile, elle lui a été refusée à deux reprises. Il risque de se faire arrêter, il est mal. Ça me met dans une pression permanente.
Des ados confrontés à la jungle administrative
Ils ont quitté leur famille, un pays, on ne sait pas ce qu’ils ont vécu lors de leur exode. Ils ont du mal à en parler car c’est traumatisant, on peut l’imaginer. Ce pays où ils arrivent, ils ne le connaissent pas et à peine arrivés on les envoie dans une jungle administrative.
Ce sont des adolescents qui ont trimé, c’est des guerriers, ils pensaient qu’une fois arrivés ils pourraient souffler, mais non, car il y a un autre combat : faire reconnaître leurs droits et arriver à une situation stable.
Pour la sécurité de mes élèves, je limite fortement les contacts avec les autorités administratives car pour moi c’est plus une crainte qu’un soutien. J’accompagne parfois les élèves à la préfecture car ils me le demandent. Mais c’est un risque potentiel pour eux. L’Etat met en place des lieux d’angoisse et de peurs.
« Ce sont des adolescents qui ont trimé, c’est des guerriers, ils pensaient qu’une fois arrivés ils pourraient souffler, mais non, car il y a un autre combat : faire reconnaître leurs droits et arriver à une situation stable.»
Sabine Oulion, prof auprès d’adolescents migrants
L’année dernière un jeune en famille d’accueil était totalement paniqué. Il venait d’atteindre la majorité et n’avait pas de papiers. La mère de famille d’accueil avait peur pour lui, mais également d’être inquiétée par la police car elle hébergeait un clandestin. Elle a finalement adopté le jeune.
Pour les mineurs, il faut impérativement qu’ils aient un diplôme avant la majorité afin que les autorités facilitent la signature de ce qu’on appelle un contrat jeune majeur. Ce contrat leur offre une prise en charge dans des services spécialisés jusqu’à la fin de leurs études. Mais encore une fois ce n’est jamais aussi simple que sur le papier.
Mes élèves sont devenus ingénieur, avocate, père de famille ou entrepreneurs
Les autorités gagneraient à adopter un visage plus humain envers ces adolescents migrants et leurs familles. La grande majorité des élèves qui sont passés dans ma classe sont aujourd’hui des pères et mères de familles, une élève est devenue avocate, son frère ingénieur.
D’autres ont réussi à monter leur entreprise. De toute façon ce sont des guerriers de la vie et ne baissent pas les bras.
Ils ne sont pas là pour bouffer des assedics, et être assistés. J’entends tous ces discours qui se généralisent, jouant sur la fibre identitaire. Mais c’est bidon ! Je connais la réalité de ces migrants, c’est tout l’inverse.
Depuis 10 ans que j’enseigne dans cette classe, ces jeunes me donnent une leçon de sagesse, de courage. Ils représentent une forme de droiture et de tolérance. C’est une leçon de vie, je pense à eux quand je me plains.
L’Etat leur permet d’être scolarisés, et c’est très bien. On leur ouvre la porte sur la société française et des perspectives d’avenir. Mais de l’autre côté on leur ferme la porte ou on les freine dans les démarches administratives.
Au milieu de tout cet imbroglio il y a des vies, des hommes et des femmes qui sont impactés par nos politiques. A nous d’être à la hauteur.
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