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    01/02/2017

    Gros bras et huissiers : Quand la Fnac fait pression sur ses grévistes

    Par Benjamin Guyot , Sarah Lefèvre

    Sur les Champs-Elysées, la direction de la Fnac redouble d’efforts pour que les salariés abandonnent leur grève. C’est raté. Ils tiennent depuis 50 jours.

    Des banderoles sur les Champs-Élysées, c’est peu commun. Nous tenons le piquet de grève devant l’entrée du magasin, tous les jours, de 14h à 20h, depuis le 3 décembre dernier.

    Faut dire que la pénibilité, on est habitués : nous sommes la seule Fnac au monde à ouvrir ses portes tous les jours jusqu’à minuit et tous les dimanches de l’année.

    Dernières roues du carrosse

    Le tout en étant moins payés que les autres collègues des Fnac parisiennes qui n’ont que 12 dimanches d’ouverture à gérer.

    On s’en est rendus compte il y a deux ans, à cause d’une erreur sur nos salaires. On a été payés à 300% pour les dimanches travaillés ce mois-là, contre 200% normalement. On a dit « youpi »… puis quelques semaines plus tard, on a tous reçu un courrier de la direction qui annonçait un truc du genre : « Vous avez reçu un trop perçu sur votre paie ce mois-ci. Nous allons le récupérer ».

    Ils s’étaient trompés et nous avaient appliqué le barème classique des autres collègues de Paris.


    « Nous sommes la seule Fnac au monde à ouvrir ses portes tous les jours jusqu’à minuit et tous les dimanches de l’année. »

    Benjamin Guyot, salarié de la Fnac des Champs-Élysées

    Silence radio sur la pénibilité

    La direction doit enfin reconnaître la pénibilité de nos conditions de travail. Notre seule prime pour ces amplitudes horaires s’élève à 30 euros brut par mois pour un temps plein. Nous ne touchons pas non plus de prime de sous-sol, normalement réservée aux salariés qui ne voient pas la lumière du jour. Comme nous.

    Ce rythme a de nombreuses répercussions sur notre santé.

    Cela fait six ans que je travaille comme ça. Des collègues sont là depuis vingt ans. On est fatigués tout le temps.

    Les uns sont en dépression, d’autres en arrêt de travail. Certains déjeunent en un quart d’heure pour se réserver une heure de sieste chaque jour. On a entre 25 et 30 ans et on vit comme des papys !

    Notre vie sociale est complètement chamboulée. On ne voit ni famille, ni amis ou très peu. On bosse le samedi soir et le dimanche.


    « Notre vie sociale est complètement chamboulée. On ne voit ni famille, ni amis. On bosse le samedi soir et le dimanche. On a entre 25 et 30 ans et on vit comme des papys ! »

    Benjamin Guyot, salarié de la Fnac des Champs-Élysées

    Si le travail est plus dur, il doit y avoir des compensations, et pas seulement financières : ça peut être une journée de congés en plus aussi.

    Pendant les deux premières semaines de grève, la direction n’a donné aucun signe de vie. Jusqu’au vendredi 16 décembre. Juste avant Noël, ils ont voulu nous marquer.

    Une boîte de sécurité privée pour briser la grève

    Un huissier est passé chez cinq d’entre nous ce matin-là, cinq grévistes du noyau dur, tous élus au CHSCT ou au CE. On a reçu une convocation pour assignation devant un juge le mardi suivant, le 20 décembre.

    Entre-temps, inutile de préciser que nous avons maintenu le piquet de grève le week-end.

    Je suis passé devant le magasin vers 12h30 ce samedi 17 décembre. Devant le magasin, j’ai vu des barrières et des agents de sécu que je ne connaissais pas. Une quinzaine de gros bras postés qui n’étaient pas juste là pour fouiller les sacs.

    Alors nous, comme d’habitude, on a installé le piquet de grève, devant eux, à 14h. Puis le responsable des ressources humaines Fnac France – rien que ça – est descendu nous rendre visite et a lui-même tenté, discrètement, d’arracher les banderoles. Des clients s’en sont aperçus.

    Il s’est éloigné du stand et a filé plus loin sur le trottoir. Il a observé et donné des instructions par téléphone aux agents devant le magasin.

    La direction s’est offert les services d’une boîte de sécurité privée. Sur les uniformes, un logo avec un casque de la garde prétorienne. On appelle ça des briseurs de grève et c’est totalement illégal.


    « La boîte de sécu privée avaient une pince pour couper nos banderoles. Un collègue a été bousculé et a basculé par-dessus une barrière. Il a écopé de 10 jours d’ITT »

    Benjamin Guyot, salarié de la Fnac des Champs-Élysées

    Ils avaient une pince pour couper les banderoles que l’on avait accrochées à une corde. Ce jour-là, un collègue a été bousculé et a basculé par-dessus une barrière. Il s’est blessé le poignet, doit se faire opérer et écope de 10 jours d’ITT.

    Ils ont remis ça le dimanche et ne s’attendaient pas à ce que l’on soit si réactifs. La méthode de la force n’a pas marché.

    Des huissiers à 300 euros de l’heure

    Le mardi suivant, le juge a décidé que le mouvement pouvait continuer. Une victoire pour nous cinq… avec une astreinte : Si l’huissier, présent chaque jour depuis le début de la grève constate que l’on filtre ou bloque un peu trop l’entrée, on risque chacun une amende.

    Les grosses boites comme la Fnac ont assez de moyens juridiques et financiers pour tenter de briser les mouvements de grève. L’huissier est payé pour vérifier que l’on ne dépasse pas d’un iota notre périmètre.

    On a essayé, nous aussi, de se payer les services d’un huissier pour assurer notre défense. Devant un juge, seule sa parole compte. On en a payé un pendant trois heures puis on a arrêté : les services de cet homme de loi coûtent entre 300 et 400 euros de l’heure !


    « Les grosses boites comme la Fnac ont assez de moyens juridiques et financiers pour tenter de briser les mouvements de grève. »

    Benjamin Guyot, salarié de la Fnac des Champs-Élysées

    Intimidation

    Après cet épisode, les chefs ont convoqué un représentant du personnel, sans faire de proposition concrète pour ouvrir les négociations, juste pour dire : « Vous arrêtez la grève et on retire vos assignations et puis, en cadeau, on pensera à vous au moment des négociations annuelles ».

    On a refusé.

    Dialogue de sourds

    Au bout de 35 jours de grève, enfin, première tentative de la direction. Ils ont reçu une petite délégation de salariés pour proposer une réévaluation de notre prime d’amplitude de 10 euros brut par mois, si on finit à 21h, et de 20 euros brut, si on travaille au-delà de 21h.

    Deux jours après notre refus, ils ont rallongé l’offre de 10 euros pour chacune de ces propositions en menaçant de fermer toute négociation en cas de refus. C’était donc un ultimatum !

    On n’a rien lâché. Depuis le “dialogue” est rompu.

    Pendant ce temps les salariés comprennent et nous rejoignent

    Au contraire, le dialogue se noue avec d’autres salariés en lutte, comme nous. On s’est rapprochés de Sud PTT, de Sud rails et d’autres salariés des Champs-Élysées qui souffrent eux aussi de leurs conditions de travail. Des étudiants nous rejoignent, tout comme des collègues, non-grévistes au départ, qui ont quitté leur poste pendant une heure le week-end dernier pour venir nous soutenir. On avait appelé au black out.

    Les chefs leur mettent la pression lors des briefings du matin. Un dimanche, ils ont brandit l’ordonnance du juge que nous avions reçue – un autre ultimatum – pour leur faire peur. Plus ça dure, plus ils comprennent que la direction fait n’importe quoi et plus ils rejoignent le mouvement. Certains nous retrouvent sur le temps de pause maintenant. D’autres nous soutiennent via la caisse de grève.

    Là-haut, pour l’image, ils n’ont pas intérêt à ce que le mouvement continue.

    On a tendance à croire que le dialogue pourrait reprendre.

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