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    14/03/2017

    La bataille de Farhad à Roissy ou l'histoire d’une petite victoire

    Par Collectif pour Farhad

    Fahrad, ancien traducteur en Afghanistan persécuté par les Talibans devait être expulsé ce lundi. Grâce à l'intervention auprès des passagers de militants réunis à Roissy son expulsion a été avortée. Ils nous racontent cette bataille gagnée.

    8h45 au Centre de Rétention (Cra) du Mesnil Amelot

    Farhad [dont StreetVox vous racontait l’histoire ici et ] :

    « – J’étais calme ce matin. C’est la seconde fois qu’ils essaient de m’expulser. Je suis prêt à me battre. Je suis déterminé à ne pas partir. »

    « – La police m’a coupé mon téléphone après que je me sois présenté à l’appel, puis, les flics m’ont embarqué dans une voiture. Après 5 minutes de trajet, nous sommes arrivés dans une station de police, collée à l’aéroport. Là-bas, on m’a attaché les mains, les pieds, et on m’a mis un genre de bonnet sur la tête. »

    8h45 à Roissy

    Nous, 14 personnes, des gens décidé.es à faire quelque chose. Parce que dire « Dublin, c’est pas bien » est une chose, essayer d’agir là où on est, en est une autre.
    Un groupe s’est retrouvé à Gare du Nord et les autres les ont rejoints au compte-goutte directement au Terminal 1 de Roissy, d’où part le vol de 11h15 pour Oslo.
    Des femmes, des hommes, des Français.es, des étranger.es, un réfugié solidaire, tous ensemble pour expliquer et convaincre avec leurs mots les passagers de ne pas accepter sans rien dire l’expulsion de Farhad.
    Certain.es sont déjà venu.es plusieurs fois, pour d’autres c’est une première. Ils ont été informés par texto ou par les réseaux sociaux.

    « – Bonjour vous partez pour Oslo ? Vous avez 5 minutes ? »

    « – Lisez ce tract s’il vous plait. »

    « – Yes we have it in english. »

    « – On peut vous expliquer la situation en anglais, en farsi ou en arabe. Il y a un migrant expulsé vers la Norvège dans votre avion. La Norvège l’expulsera en Afghanistan. On en a déjà fait l’expérience avec un demandeur d’asile qui s’appelait Roman. »
    « – Refusez de collaborer ! »

    Farhad ne répond plus au téléphone. Cela nous inquiète. En discutant avec du personnel d’embarquement, la nouvelle tombe. Farhad est DEPA (Deported Passenger Accompanied, Passager déporté sous escorte). En gros il y aura au moins deux policiers avec lui.

    10h entre le couloir et l’avion

    Farhad :

    « – Ils m’emmènent dans l’avion vide par un couloir VIP. Je suis seul. Ils me font m’asseoir au fond. Un policier est assis à ma droite un autre est assis à ma gauche. Je reste silencieux. Pour l’instant il n’y a personne. »

    10h au terminal 1 de Roissy

    A l’annonce du statut de Depa de Farhad s’ajoute le fait qu’on aperçoit deux gendarmes supplémentaires embarquer. On a la confirmation qu’il s’ajouteront à son escorte. Au moins 4 contre 1 donc.

    Seule solution de là où on est, toucher le plus de passagers possible. La colère accroît notre motivation. On est plus deter que des Témoins de Jéhovah. Plus persuasif.ves qu’un.e VRP payé à la vente. On assaille tellement les gens que certain.es disent : « Non je ne pars pas à Oslo ».

    On répond aux questions :

    « – Non, il n’a pas pu demander l’asile en France. »

    « – Le camp Hidalgo ? Il a dormi devant UNE SEMAINE. Eh oui, c’est ça qui passe à la télé devant vous, c’est là où il y a des cailloux pour empêcher les gens de dormir par terre. »

    « – Le fait qu’il ne parte pas dépend de vous. »

    « – Vous devez refuser de collaborer. Se taire, c’est être complice. »

    « L’avion est arrivé plein à 10h06 : il va falloir un peu de temps pour nettoyer », nous annonce un employé solidaire. Il nous reste donc environ 45 minutes pour convaincre.

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    La crise des migrants à la télé au guichet, mais on n'informe pas que l'on expulse sur ce vol. / Crédits : Le Collectif

    Nous sommes 14 et en l’espace de 2h30 nous parleront à 40 passagers entre l’enregistrement, les bornes automatiques et la borne du tunnel abritant le fauteuil roulant qui mène à l’embarquement. Les rencontres sont brèves et une personne sur deux prend le temps d’écouter. Beaucoup nous disent : « C’est terrible, mais on ne peut rien faire ». Alors on explique.

    Quelques un.es, en revanche, refusent même de lire ou de prendre le tract et la lettre une fois qu’ils ou elles comprennent qu’on parle d’exilé.es. On repart avec 4 numéros de téléphones pour se tenir au courant de l’intérieur de l’avion et donner des instructions.

    Une salariée de l’enregistrement, dégoutée que Farhad n’ait pas eu d’interprète dans sa langue lors de son entretien, et ayant eu un aperçu de comment s’était déroulée l’expulsion de Khalil vers la Tunisie, décide de nous aider et d’aller remettre nos documents à l’équipage et au commandant de bord.

    Après un coup de téléphone à ses collègues de l’embarquement, nous apprenons que Farhad est dans l’avion. On envoie alors nos instructions par texto et puis, on attend. Pour l’instant, l’avion est annoncé à l’heure.

    10h40 dans l’avion

    Farhad :

    « – Les gens sont entrés dans l’avion. Je commence à protester. Je crie : “HELP, HELP !, je ne veux pas partir !”. Les policiers me donnent des coups de coudes et des droites dans le ventre, dans le dos. Un policier me tient par le cou. J’ai mal partout, je m’écroule. »

    Suit un moment de silence.

    « – La plupart des passagers restent silencieux malgré la scène, puis une femme se lève et proteste en français. Je ne comprends pas ce qu’elle dit, suivent d’autres personnes qui elles aussi disent ne pas être d’accord plus timidement. Les policiers menacent la femme. Ensuite le pilote vient me voir. Je lui dis que je ne partirai pas ! Les policiers insistent, mais le pilote leur répond qu’il ne décollera pas avec moi. Ils me débarquent. »

    10h30 dans le hall à l’embarquement

    Nous recevons des textos :

    « – Il y a la police, personne ne parle. Que faut-il faire, il est là ? »

    On répond :

    « – Résistez, filmez, enregistrez ! »

    « – Ça se complique, la police ne veut pas, ils disent qu’ils vont aussi me débarquer si je continue et j’ai peur. Ils ont demandé à voir mes documents. »

    On répond au téléphone : « Ne vous inquiétez pas voilà nos numéros et notre adresse en cas de poursuites. »

    « – On attend un officier de Roissy. Attendez le capitaine dit qu’il le débarque. »

    « – Yes, bravo, vous êtes géniale, c’est super. »

    Accolades et cris de joie au terminal 1. La pression retombe doucement. On va tout de même vérifier auprès des salariés à l’embarquement. Au départ, rien, puis au bout de 10 minutes, on nous confirme qu’il sortira bien. Retour au CRA. Il est toujours injoignable.

    De l’aéroport au Cra

    Farhad :

    « – Je monte dans la voiture dans la salle à côté de la piste. Je suis toujours attaché. J’ai mal au cœur et je suis déshydraté. Je demande de l’eau. Le flic vide une bouteille d’eau devant moi par la fenêtre, puis il me jette la fin à la figure. Les policiers sont très énervés. Je proteste, ils me frappent. Ils disent qu’ils m’enverront eux-mêmes de force en Afghanistan, je leur répond que je porterai plainte contre leur violence j’ai la rage et… j’ai faim. »

    Sur les bancs de Roissy

    Les un.es prennent un café, les autres une viennoiserie. La pression retombe et on rencontre un groupe d’une petite dizaine d’Afghans dans le terminal. On connait beaucoup d’entre eux. Ils dormaient au métro Jaurès face à France Trottoir d’Asile. Il y deux départs volontaires. Ce n’est pas un cas isolé.

    D’après em>Le Monde, les Afghan.nes ont été vingt fois plus nombreux en 2016 qu’en 2015 à choisir de rentrer chez eux, dégoutés par le pays des droits de l’homme, blanc, riche et hétéro. On leur a donné une prime pour qu’ils s’en aillent. Cette « politique » a coûté 6,23 millions d’euros l’année dernière, soit 1.300 euros par départ. Expulser sous escorte et financer les Cra et les barbelés. En 15 ans, ça a couté 11,3 milliards d’euros à l’UE. Ce fric va dans les poches des grands groupes industrielo-guerriers spécialisés, comme Airbus, Finmeccanica ou Thales, des entreprises dont l’Etat et nos gouvernements détiennent une bonne partie du capital.

    Avec les autres, il y a aussi R. qui habite un centre hébergement pourri dont on ne peut pas donner l’adresse, qui était sur le même vol que Farhad. Il a raté l’avion par choix.

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    Voici le papier que des centaines d'exilés reçoivent chaque jour partout en France. / Crédits : Le Collectif

    Pour la préfecture de Cergy dont il dépend, connue pour ses liens avec le tribunal administratif au point que certain.es qualifient cette cour de préfecture bis, il est désormais « en fuite ». Son Dublin a donc de grandes chances d’être étendu à 18 mois. Durant cette période, où il ne pourra pas déposer de demande d’asile, et où il pourra être arrêté à tout moment et enfermé au Cra.

    On échange quelques informations juridiques des numéros tout en apprenant quelques phrases de pachto et de dari. Les amis de R. se lancent dans un débat sur la religion avec une française convertie à l’islam. Il se finira en éclat de rire.

    R., 18 ans, est aussi est déterminé à rester. À l’issue de l’échange, il nous remercie et nous dit : « Si vous étiez en Afghanistan, moi aussi je ne laisserais pas le gouvernement vous mettre en danger, je vous protégerais ».

    Dans le RER à la station Drancy, on retrouve Farhad au téléphone :

    « – Je suis toujours furieux. Je veux déposer plainte contre eux. Je croyais qu’il y avait les droits de l’homme en Europe. C’est faux. J’ai été persécuté là-bas, et ici on me torture. Je ne cherche qu’une chose partout dans le monde, c’est la Justice. Mon cou me fait vraiment mal et j’ai des traces de strangulation. »

    « Merci tout le monde ! » On se sépare à Gare du Nord.
    Certain.es iront manger avec les afghans rencontré à Roissy.

    Et maintenant ?

    C’est toujours possible et nécessaire d’aller lui rendre visite si vous pouvez au Cra. Pour les infos pratiques contactez-nous.
    La prochaine étape, c’est le recours devant le Juge des libertés et de la détention et ce sera dans 10 jours et on espère que la salle d’audience sera pleine.

    D’ici là, Farhad est expulsable à tout moment. Restez connectés. Il faut aussi s’organiser pour des plaintes contre la flicaille. Sur ça aussi on peut gagner. Enfin, il a besoin d’un médecin, car il souffre d’une hépatite B et de calculs rénaux. En 3 ans il n’a jamais été soigné, ni en France, ni en Norvège.

    Pourquoi ce récit ?

    Parce que ça paie de se bagarrer ! Que rien n’est jamais perdu, jamais. Que vu le contexte, la situation, on a tout à gagner. Que la solidarité en acte aide aussi les exilé.es à tenir ici.
    Une pensée pour « Jackie », un autre Afghan que certain.es d’entre nous connaissent et qui est mort récemment. Il a été détruit à petit feu comme beaucoup d’autres par « l’accueil à la française » fait de rue, de police, d’imbroglios administratifs et d’actes racistes d’État.

    On lâchera rien ! Ce sont celles et ceux d’en face qui seront usés bien avant nous !

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    Voilà les fragments partiels et partiaux d’une expulsion avortée. On écrit pour laisser une trace mais surtout pour que tout le monde sache que encore une fois… Ça ne tient qu’à nous !

    Ps : Ce lundi soir, on apprend la colère d’une femme sur le vol de Farhad. Voici ses mots :

    Les propos de Farhad ont été recueillis par le Collectif. StreetPress, va continuer à suivre cette affaire.

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