En ce moment

    28/06/2017

    Une exilée perd son enfant, faute d’accès à un toit et à des soins

    Par Nordy Granger , Inès Belgacem

    À Valence, une Albanaise a accouché d’un enfant mort-né, le 26 juin. À la rue, elle n’a pas eu accès à des soins appropriés. Depuis le mois de mars, des enfants en bas âge dorment dehors. Des citoyens tirent pourtant la sonnette d’alarme.

    Elma, exilée albanaise de 20 ans, est à la rue avec son conjoint, depuis le mois de mai. Elle a déjà un bébé de 18 mois et arrive au terme de sa seconde grossesse. L’accouchement est prévu pour juin. Un soir, elle a eu ses premières contractions. Ses compagnons de fortune appellent les urgences. La suite est floue, mais l’ambulance n’est jamais arrivée, ou trop tard. Je ne jette pas la pierre à l’hôpital, toujours aidant et présent lorsque nous avons sollicité les soignants.

    Elma décide donc de partir à pied à l’hosto, à une demi-heure de marche. Par chance, après quelques mètres, une voiture s’arrête et décide de l’y emmener. Prise en charge dans la foulée par les urgences, Elma accouche d’un enfant mort-né. Depuis, la jeune femme est traumatisée. Elle lui avait choisi un prénom, Santiago. Elle l’attendait.

    Selon les docteurs, l’enfant était décédé depuis plusieurs jours. N’ayant accès à aucune une aide médicale, Elma ne pouvait pas le savoir. Elle est retournée à la rue le lendemain, comme d’autres avant elle.

    Des nourrissons et des enfants en bas âge à la rue et en danger

    Actuellement, à Valence, nous dénombrons six familles de réfugiés à la rue. Parmi eux, deux femmes sont enceintes, dont une devrait accoucher autour du 13 juillet. Trois petits bébés, de 9, 14 et 18 mois, et cinq enfants, entre 2 et 6 ans, subissent depuis plusieurs semaines la canicule, les orages, la pluie. Le département est en vigilance orange et les pouvoirs publics balancent à tout va des campagnes « hydratez-vous », « faites attention ». Mais j’imagine que ces préventions ne tiennent pas pour les réfugiés.

    Ces dernières semaines, deux dames enceintes de 3 et 4 mois ont successivement fait des fausses couches. Une petite fille de seulement 8 mois a failli y passer également. L’enfant était toute bleue, elle avait 40 de fièvre. Elle dormait depuis 3 nuits sous la flotte. Nous l’avons rapatriée à l’hôpital et elle s’en est sortie de justesse.

    Le médecin a lui-même appelé le préfet pour signaler que ces réfugiés – en majorité des Albanais, Tchétchènes, Kosovars, Serbes – avaient besoin de soins, de toits et d’aide. Mais le no man’s land juridique dans lequel ils se trouvent les empêche d’accéder à leurs droits.

    Des services publics surchargés

    Normalement, l’État est censé fournir un logement aux familles au bout de 3 jours. Mais l’OFII [Office Français de l’Immigration et de l’Intégration] de Grenoble est surchargé et enregistre des retards incroyables. Le processus est simple : la famille de migrants doit annoncer qu’elle veut déposer une demande d’asile. Un rendez-vous doit suivre dans les 2 à 3 jours pour déposer officiellement cette demande. Le dossier est ensuite examiné et, en attendant, la famille accède à un certain nombre de droits, dont une aide aux logements et des soins médicaux, si nécessaire.

    En temps normal, les délais pour le fameux rendez-vous sont de 2 ou 3 semaines. Mais depuis quelque temps, il faut 2 mois pour déposer un dossier. Il n’y a pas un afflux soudain de migrants, mais simplement les milliers de dossiers de réfugiés de l’ancien camp de Calais répartis sur le territoire à traiter depuis des mois, et aucun personnel supplémentaire pour le faire.

    Pendant ce temps-là, les nouveaux arrivants sont dans un no man’s land juridique, ils ne sont pas demandeurs d’asile, ils n’ont aucun droit, ils ne sont personne. Tout le monde s’en fout. Résultat, les familles se succèdent devant le Diaconat protestant, qui est une grosse structure à Valence qui regroupe différentes associations dont la Cimade, asile.com, etc. Ils dorment là, dehors.

    Le préfet et le maire bottent en touche

    Depuis mars et la fin de l’hiver, nous tentons d’alerter les pouvoirs publics. Nous avons fait des campagnes de communication sur les réseaux sociaux et dans la rue, envoyé des lettres et des communiqués au maire et au préfet. Nous avons occupé plusieurs dizaines de lieux à Valence pour nous faire entendre – dernièrement la Comédie, le théâtre de Valence, où des salariés solidaires nous ont apporté leur soutien. Certains ont interpellé le maire sur Twitter, il a bloqué tout le monde…

    Le préfet a tout de même entendu quelques familles qui ont eu accès à des logements ces derniers mois. Une dizaine environ, mais ensuite l’été arrivant, certaines ont été remises à la rue car elles étaient logées dans des hôtels – et nous sommes dans une région touristique, les hôtels doivent être réservés aux touristes.
    Ah, la Vallée du Rhône, son soleil, sa lavande, ses fruits, ses enfants qui meurent dans la rue.

    Le préfet est même intervenu ponctuellement pour accélérer le traitement des dossiers à l’OFII de Grenoble, mais cela n’a pas duré. Sur le long terme, il n’a pris aucune mesure et des familles se retrouvent perpétuellement à la rue.

    Depuis le mois d’avril, nous proposons d’installer cette dizaine de familles dans des gymnases, nombreux à Valence, qui ne servent à rien la nuit. Ouvrons-les de 20 h à 8 h ! Ça nécessiterait l’embauche d’un gardien de nuit et de quelqu’un pour nettoyer, certes, mais, après calcul, cela reviendrait moins cher que les équipes de police qui sont déployées pour nous surveiller, nous et les réfugiés. Notre proposition semble n’avoir jamais été étudiée. La mairie et la préfecture se renvoient la balle et bottent en touche. Dix familles pour une agglomération de plus de 100.000 habitants !

    Nous pensions qu’il y aurait une prise de conscience, après le drame d’Elma. Nous pensions que personne ne pourrait rester indifférent au sort d’enfants dans la rue. Quelqu’un est mort. Mais rien. Personne n’a réagi, ni le préfet, ni le maire. On a même entendu des « mais ça n’est peut-être pas parce qu’elle est à la rue que l’enfant est mort ». C’est inadmissible. La rue tue. Il faut agir.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER