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    09/11/2017

    Lettre à mes anciens harceleurs

    Par Maeril

    À l’occasion de la journée contre le harcèlement à l’école, la dessinatrice Maeril a trouvé le courage de s’adresser à ceux qui l’ont harcelée tout au long de sa scolarité. « Pour que leurs propres enfants ne reproduisent pas leurs erreurs. »

    Ça a commencé dès le premier jour en CP. Je ne sais toujours pas comment vous avez si vite décidé que je serai le bouc émissaire. Je me rappelle, je me suis assise seule à une table dans le réfectoire. J’étais timide, je devais avoir peur. L’un d’entre vous m’a alors pointée du doigt et m’a chanté cette chanson un peu nulle. Vous vous en souvenez ? « Eh toi là-bas, t’as pas vu la tête que t’as? Tu fais peur à Dracula ! » C’est comme si à ce moment-là, ç’avait été décidé : je serai la cible de vos moqueries et de votre violence.

    Il y avait toujours une personne alpha, un leader, qui me prenait pour cible. Vous avez été si peu nombreux à vous manifester contre. Vous étiez la cour de cette personne, et vous riiez. C’est grâce à ces comportements que le harcèlement s’est normalisé: il n’était pas présent chaque jour ou chaque minute, mais il est devenu, dans ma vie, un bruit de fond insupportable jusqu’à la terminale.

    Je sais que je suis supposée être cette personne toujours positive, qui apporte de l’espoir et de la joie à travers mon travail. Mais aujourd’hui c’est la journée de lutte contre le harcèlement scolaire, et cette année je me sens le courage de parler de mon enfance et de raconter à quel point vous avez été cruels.

    À l’époque je n’avais pas encore été diagnostiquée autiste, j’étais donc vue comme un peu « différente ». Il paraît que les femmes sont souvent dépistées tard. Que nous dissimulons nos symptômes, pour nous fondre dans le moule. Et c’est vrai, je voulais plus que tout m’intégrer, me faire des amis! Mais visiblement, en face, on ne voulait pas de moi.

    À cause de mon autisme, je parlais beaucoup, je ne comprenais pas toujours certaines blagues, j’étais un peu en décalage. Ma manière de parler pouvait vous paraître bizarre, d’après ce que j’ai compris. Et même si aujourd’hui la vie me sourit, je n’ai pas oublié les moqueries – parfois au milieu de la classe, les coups de pied en plein thorax dans les toilettes, les gifles, les refus de me communiquer des infos de cours, les rumeurs, les vols, bref le harcèlement en groupe, organisé, à long terme.

    Pendant de nombreuses années, je suis allée à l’école avec la boule au ventre. Chaque matin était une angoisse. Je faisais beaucoup d’insomnies aussi, dès la primaire. Je pensais probablement que, si je ne dormais pas, le lendemain n’arriverait jamais.

    Je tenais à vous le dire aujourd’hui: je ne vous ai pas oubliés.

    Vous avez failli me tuer. J’y ai tellement pensé. Au collège, au lycée, cette pensée était courante. Je ne voyais pas d’alternative. Ça semblait être une option logique. Je me disais que demain serait comme aujourd’hui et que ça ne valait pas le coup. Mais heureusement, j’étais curieuse de voir si ça irait mieux plus tard, si je tiendrais bon: ç’a été le cas. Mais j’espère que vous savez que vous étiez à deux doigts d’avoir du sang sur les mains.

    Certains sont venus s’excuser des années après, de ce qu’ils ont fait, ou n’ont pas fait, face à ce déferlement de violence. Je me suis dit que les gens pouvaient changer. Vos mots d’excuses confirmaient que je n’avais pas tout inventé et que cette situation n’était pas normale. Ils m’ont donné de l’espoir, même si ça n’enlève rien à ce que j’ai vécu.

    Alors maintenant, à défaut de remonter le temps, j’espère que vous ferez tout pour que vos propres enfants ne reproduisent pas vos erreurs, et ne harcèlent pas quelqu’un à leur tour. Vous savez ce qui se passe dans la tête du harceleur, et donc comment désamorcer ces comportements.

    Personne n’a à être le punching-ball d’un autre. Dites-leur, à vos enfants : « La personne en face de toi a des sentiments et tu la fais souffrir.»

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