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    08/02/2023

    Après le succès de leur podcast Coming Out, elles sortent leur livre

    Elise Goldfarb et Julia Layani, lesbiennes mainstream et podcasteuses stars

    Par Lina Rhrissi

    Elise Goldfarb et Julia Layani animent le podcast Coming Out, un des cartons de Spotify. Les deux meilleures amies, élevées dans un milieu juif conservateur, voudraient multiplier les représentations LGBTQI+, « parce qu’on en a manqué ».

    Sushi nous accueille en sautillant quand on ouvre la porte du grand appartement parisien à la déco cosy. Le chaton est aussi sociable que sa maîtresse, Elise Goldfarb, co-créatrice du podcast à succès Coming Out. Depuis 2020, elle l’anime avec sa meilleure amie Julia Layani sur Spotify. Il est l’un des plus écoutés de la plateforme avec 27 épisodes en deux saisons. La troisième vient de commencer. Pendant près d’une heure, sans qu’on entende la voix des intervieweuses, une personnalité rembobine la façon dont elle a fait son coming out. Il y a aussi cinq hors-séries dans lesquels des parents racontent comment ils ont vécu la révélation de leur enfant et une jeune fille née par PMA livre son histoire.

    C’est ici, dans le 9e arrondissement de Paris, sur le canapé d’angle rose moelleux, que les deux bavardes de 29 ans aux longs cheveux bruns et aux looks sportswear ont enregistré la plupart des épisodes. « Il faut que ce soit fait dans des conditions hyper chill », explique Julia, la plus calme des deux. « Le coming out, c’est intime », abonde l’énergique Elise. Leur livre, regroupant une sélection de ces témoignages et une préface des autrices, sort ce 8 février 2023 aux éditions Stock.

    Rôle modèle

    À moins de 30 ans, les deux associées ont leur propre agence de com’ digitale Elise&Julia. Sneakers aux pieds, elles facturent plus de 3.000 euros la journée à des boîtes comme Google, LVMH ou Zalando. Leur atout : elles sont aussi à l’aise avec des militantes intersectionnelles comme Habibitch qu’avec les grands patrons. Avant de monter leur propre boîte, elles ont fondé « Fraîches » pour le compte de TF1, en 2017. Un média qui se revendique féministe, présent uniquement sur les réseaux sociaux. « Nos projets partent toujours d’un truc qui nous saoule dans la société, d’un problème auquel on est confrontées personnellement », assure Julia. Elles ont par exemple imposé le mot « féministe » à la place de média « féminin », qu’on leur avait demandé de monter. Elle poursuit :

    « On a réalisé que si nos coming out avaient été si difficiles, c’est parce qu’on avait manqué de représentations LGBTQI+ dans la culture. »

    « On s’est dit que si on arrivait à choper des gens connus qui disent qu’ils sont gays et que c’est stylé, ça serait moins un problème ! » sourit, pétillante, Elise.

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    Elise Goldfarb et Sushi, son chat, dans son appartement du 9e arrondissement de Paris. / Crédits : Lina Rhrissi

    Kiddy Smile, Pomme et Xavier Dolan

    Elles commencent à enregistrer les premiers épisodes avant de vendre leur projet. C’est finalement Spotify qui achète. Et pour cause : la direction française de l’entreprise suédoise est principalement composée de femmes.

    Elise et Julia tendent le micro à des personnalités aussi variées que l’artiste Kiddy Smile, l’ex-député macroniste Mounir Mahjoubi, la chanteuse Pomme ou le réalisateur québécois Xavier Dolan. Plus le spectre est large, plus il y aura de gens qui pourront se reconnaître, racontent-elles. Ces personnalités racontent la révélation de leur identité queer à leurs proches, puis au public. Il y a aussi des anonymes comme Clovis, homme trans noir excommunié par les témoins de Jéhovah en Martinique. Ou Marie-Clémence, lesbienne venue d’une famille très catholique qui livre son parcours jusqu’à la PMA. Au fil de leur casting, les podcasteuses ont découvert qu’il n’était pas facile de trouver des femmes LGBTQI+ racisées prêtes à parler à des milliers d’auditeurs. Si le récit de l’écrivaine lesbienne et musulmane Fatima Daas est particulièrement fort, Elise regrette qu’il n’y ait pas de femmes noires dans Coming Out.

    « Peu importe le milieu social et l’origine, les homosexuels ont la même expérience de la douleur », note Julia. Les deux entrepreneuses parlent en connaissance de cause. Elles ont longtemps dû vivre leurs homosexualités en cachette de leurs familles. Elise ajoute :

    « L’identité LGBTQI+ est particulière parce que ta propre famille te rejette. L’homophobie, c’est faire face à la solitude et n’avoir aucun repère. »

    Faire son coming out chez les feujs

    Les deux copines ont matché au lycée. Elles grandissent au sein du même milieu juif conservateur. Le premier coming out est celui de Julia, qui est sortie en secret avec une fille de leur groupe de potes à 20 ans. « Le fait que la relation soit cachée a tout niqué entre nous. Puis ma mère m’a cramée et m’a forcée à faire mon coming out », se remémore-t-elle, avec une pointe d’amertume. L’histoire finit mieux que prévu, puisque c’est avec ce premier amour retrouvé des années plus tard qu’elle vit une histoire aujourd’hui.

    « Julia a été précurseure dans la communauté. Faire un coming out à seulement 20 ans chez les feujs, c’est assez ouf », note Elise. Elle décrit un milieu où tout le monde se connaît, où l’on est nostalgique du Maroc et où le modèle consiste à se marier rapidement. À la cour de récré, les gamins qui ont eu le courage d’assumer ou qui n’ont pas réussi à se cacher se font harceler. Ils sont les « victimes », les « bizarres », les parias. « On a des copains, aujourd’hui encore, qui se marient et font des gosses alors qu’ils sont gays », regrette-t-elle.

    La Juive d’origine polonaise sait qu’elle aime les filles depuis l’école primaire. Mais à 14 ans, un de ses cousins se suicide à cause de son homosexualité :

    « Inconsciemment, je me suis dit les gens meurent tellement c’est grave d’être gay. »

    Son statut médiatique actuel l’a aidée à faire son coming out auprès de ses parents, à l’âge de 27 ans, quelques mois après la naissance du podcast du même nom.

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    « Nos projets partent toujours d’un truc qui nous saoule dans la société, d’un problème auquel on est confrontées personnellement », assure Julia Layani. / Crédits : Lina Rhrissi

    Elise et Julia ont commencé leur carrière comme animatrices sur la Radio de la communauté juive (RCJ). Elles expliquent l’importance de considérer les Juifs LGBTQI+ comme une minorité à la croisée des discriminations. Marquées par l’homophobie de leur enfance, les deux femmes l’expliquent en partie par une lecture trop rigoriste de la Torah.

    Elise et Julia sont en guerre contre les intégrismes religieux de tout bord. « Notre conviction, c’est que la religion est le dernier bouclier que brandissent les homophobes », argumente Julia. C’est la raison pour laquelle la saison 3 et le dernier chapitre du livre donnent la parole au recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz, au rabbin de Neuilly-sur-Seine, Michaël Azoulay, et au prêtre de la basilique de Saint-Denis, Claude Charvet. Elles voudraient montrer que la foi peut se vivre différemment, que ces deux mondes ne sont pas antinomiques :

    « Notre podcast, on le fait pour les racisés. »

    Insta et représentations

    En parallèle du succès de leur podcast, dès 2020, le duo cartonne sur Insta, où l’humour et les coups de gueule d’Elise sont appréciés par ses 52.000 followers. Sur son fil, entre la promo de l’ouvrage et les vacances à Los Angeles avec Bilal Hassani, Julia, 32.000 followers, poste des clichés d’elle et sa copine s’embrassant, bronzées et amoureuses. Des lesbiennes « mainstream », en somme.

    « C’est une bonne chose que tu dises qu’on est mainstream », nous répond Julia. « Ça veut dire que la cause avance et que l’homosexualité n’a plus à être affichée sur ton front. » Elle voudrait que le « cliché » de la lesbienne masculine et cheveux courts, soit une identité parmi d’autres. Ni un passage obligé pour être légitime. Les deux copines en ont aussi pâti. Sur Twitter, des internautes leur ont reproché de faire ce podcast, pensant qu’elles étaient hétéros. Elise commente :

    « La France a du retard sur les codes de genre. Ça empêche plein de meufs de se dire lesbiennes ! »

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