Divine, 24 ans, a une voix particulièrement douce et assurée, surtout quand elle se remémore avec nostalgie ses grandes vacances. Chaque été, elle quitte les Yvelines et son HLM de cinq étages à Saint-Cyr l’École pour les grandes tours de la cité d’Épinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, chez sa tante et ses cousines :
« C’était une ambiance totalement différente : on allait au parc, au McDo manger des frites et des nuggets, on regardait des films… On ne s’ennuyait pas. »
Ryadh, Thaïs et Khady (1) ont également connu ces vacances chez la famille. Tous racontent les virées au fast-food, les petites bêtises et les moments de liberté, loin de leur quotidien. Avec le recul, ils ont aussi déconstruit ces vacances d’une cité à une autre. « J’ai été élevée par ma mère, assistante maternelle, elle n’avait pas les moyens de m’envoyer plus loin », décrypte Divine. Selon une étude de l’observatoire des inégalités publiée en juin, 40 % des Français ne partent pas en vacances. Cela concerne 50 % des enfants de familles modestes, contre seulement 5 % de cadres supérieurs.
Baignade au port et carré de jardin
Ryadh a 31 ans. Il a passé son enfance et son adolescence dans le quartier de la Banane, dans le 20e arrondissement de Paris. Chaque été, quand il ne part pas « au bled », à Béjaïa en Algérie, sa mère l’envoie chez sa sœur, au Havre (76), dans le quartier de la Mare Rouge. « C’était la liberté ! », se souvient le jeune homme en riant. « J’ai découvert le shit et j’ai rencontré ma première copine. » Chez sa tante, c’est ses grandes cousines qui s’occupent de lui et ses cousins. La liberté frise l’autonomie. Le quartier est situé en marge de la ville et concentre un taux de pauvreté de 45 %, bien au-delà de la moyenne locale située à 21 %. « C’était la première fois que je voyais des blancs pauvres », commente le trentenaire, qui travaille désormais dans la finance. « Il y avait la mer à seulement une heure de bus… même si c’était juste un port », raconte-t-il :
« Avec mes cousins, on devait prendre trois bus différents pour y aller, en esquivant les contrôleurs, car on n’avait pas d’argent pour le ticket. »
La liberté, Khady l’a vécue grâce à un bout de jardin. Issue de la petite communauté sénégalaise de Bordeaux (33), elle grandit dans des logements HLM de Mérignac, en petite couronne. Un jour, sa mère l’emmène chez sa « tante », une amie de la famille avec qui elle n’a « pas de lien de sang », qui lui tresse habituellement les cheveux et qui vit dans un petit lotissement à proximité. Les débuts sont difficiles : la petite Khady, 10 ans, croit être abandonnée chez des inconnus. Elle finit toutefois par prendre goût à un petit luxe local : un jardin avec balançoire, sur laquelle elle passe des heures. Elle a aussi plus de temps pour elle, loin des règles du quotidien :
« Le matin, j’avais le temps de prendre le petit-déjeuner. Je n’entendais pas “Khady, c’est l’heure de faire le ménage ! Khady, va aider ta sœur à sortir la poubelle ! “ Et ça, ça m’a marqué. »
Écart social
« Mes parents ont toujours fait en sorte qu’on ne subisse pas le manque d’argent », confie Thaïs, qui a mis du temps à comprendre que ses vacances d’une banlieue du 93 à une autre était liée à un manque de moyens :
« Dans mon collège de Drancy, il n’y avait pas beaucoup de monde qui partait loin. On allait tous chez de la famille. »
L’été, elle quitte Bondy, puis Drancy (93) – où elle grandit – pour Neuilly-sur-Marne (93) ou Saint-Germain-en-Laye (78). Son père, employé de supermarché, et sa mère, tenancière d’un PMU, n’ont pas d’autre choix pour leurs trois enfants. « Ça coulait de source d’aller en vacances chez les cousines », se rappelle la jeune femme de 25 ans. « On ne faisait pas des trucs de fou, mais vu qu’on était ensemble, c’était bien. » Elle ajoute :
« Je ne me disais pas : “Je n’ai pas les moyens de partir en vacances”, mais plutôt : “C’est trop bien, je vais en vacances.” Or, techniquement, c’était des vacances de pauvre quoi. »
Khady, au contraire, ne racontait pas toujours ses séjours chez sa tante en banlieue de Bordeaux. Au collège, elle commence à devenir « hyper jalouse » de ses camarades. Les cartes postales envoyées par son amie depuis l’Italie ou le Maroc la font autant rêver qu’elles la rendent triste. « Elle me racontait comment elle avait pris l’avion, le train… C’était dur à lire. À la rentrée, elle ramenait ses colliers et bracelets de vacances. »
« Je me suis rendue compte qu’il existait deux mondes différents », lâche Thaïs, avec du recul. Lors de ses études supérieures, elle constate que les lieux de vacances en disent beaucoup sur la classe sociale. En stage dans une boîte de production, elle entend ses supérieurs raconter leurs vacances au ski, une activité pratiquée en réalité par moins de 10% des Français. :
« Je ne suis jamais partie au ski. Je suis allée une fois à Londres avec le collège et j’avais dû me battre avec mes parents pour qu’ils me laissent y aller… »
Ryadh, le vacancier du Havre, se ventait des petites bêtises d’adolescents et des aventures endurcissantes vécues avec ses cousins. « J’étais saucé d’être là-bas parce que je m’ennuyais chez moi. » Aujourd’hui, il analyse :
« C’était aussi ça la violence : on passait d’un ghetto à un autre pendant les vacances. »
(1) Le prénom a été changé.
Illustration de Une de Joseph Colban.
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