En ce moment

    30/04/2012

    Une loi contre les discriminations vient d'être votée

    Au Chili, l'homophobie devenue un délit

    Par Jessica Gourmelen

    Le meurtre d'un jeune Chilien homo, en mars, a ému tout le pays. Tant et si bien qu'une loi contre les discriminations a été votée après 7 ans d'atermoiements. Mais concrètement, qu'est-ce que ça change pour les homos chiliens ?

    Les assos pro-droits des homos respirent. Il y a trois semaines, le Parlement chilien a approuvé à une courte majorité (58 voix contre 56) une loi anti-discrimination (baptisée LAD). Loi votée dans la foulée d’un crime homophobe qui a ému tout le pays (et même au-delà) : le meurtre du jeune Daniel Zamudio, un gay de 24 ans, agressé dans un parc de Santiago-du-Chili par quatre jeunes – dont un “néo-nazi”. Décédé le 27 mars après vingt-cinq jours d’hospitalisation, le jeune homme est devenu un symbole de la lutte contre les discriminations dans le pays, certains réclamant même que l’on rebaptise la LAD « la loi Zamudio ». Mais concrètement, qu’est-ce qu’elle change, cette loi ?

    1 Qu’est-ce qui change dans la loi ? C’est une première au Chili : une législation reconnaît comme délit la discrimination pour orientation sexuelle, et inclut dans l’atteinte aux droits fondamentaux les raisons de discrimination pour « identité de genre » et « orientation sexuelle ». Des termes auparavant refusés par les partis conservateurs et les Églises catholique et évangélique, qui y voyaient les prémices de la légalisation du mariage homo.


    Afficher Chili sur une carte plus grande
    Le chili

    2 Pourquoi, après sept ans de débat, l’affaire Zamudio a fait la différence ? Au cours de ces 10 dernières années, 16 autres cas d’homicides à caractère homophobe sont passés inaperçus. Mais cette fois, les détails de l’agression ont profondément choqué la société chilienne : torturé pendant six heures, le jeune Zamudio a été frappé de multiples fois à la tête, brûlé à répétition avec des cigarettes, a eu une jambe cassée, une oreille quasiment découpée et trois croix gammées dessinées au tesson de bouteille, le laissant dans le coma. Comme l’a déclaré le Président du Mouvement de Libération Homosexuel (Movilh), Roland Jiménez : « son cas marque une rupture : la brutalité de son agression a montré jusqu’où peut aller l’homophobie. »

    3 Ce crime a t-il été médiatisé et quel fut son impact ? Très médiatisé, oui, notamment sur les réseaux sociaux. À l’annonce de sa mort, même le président chilien, Sébastien Piñera, a déclaré à ses 763.000 followers sur Twitter :

    « Sa mort ne restera pas impunie et renforce l’engagement total du gouvernement contre toute discrimination arbitraire et pour un pays plus tolérant. »

    Les assos LGBT ont également largement relayé l’affaire. Lors de la marche organisée en sa mémoire, un slogan était sur toutes les lèvres : « Daniel Zamudio n’est pas mort sans raison, il est mort pour lutter contre l’oppression »

    4 Et son impact au niveau international ? Des réactions quasi unanimes : le Haut Commissaire des Droits de l’Homme des Nations-Unies a exhorté le gouvernement chilien à approuver cette loi, tandis que la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) a exigé du gouvernement une « investigation immédiate et sérieuse ». Sachant que le Chili était déjà au centre des critiques internationales, condamné par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pour avoir permis qu’une juge lesbienne perde la garde de ses trois enfants à cause de son orientation sexuelle en 2003.

    la brutalité de son agression a montré jusqu’où peut aller l’homophobie

    Daniel Zamudio n’est pas mort sans raison, il est mort pour lutter contre l’oppression

    5 Que pensent les Chiliens de l’homosexualité ? Un sondage publié début avril montre que 85,7 % des familles chiliennes « tolèrent » les relations homosexuelles, tandis que 52,6 % pensent que les couples du même sexe ont le droit d’adopter ou d’élever des enfants ; un pourcentage qui a augmenté de plus de dix points par rapport à l’an passé. Le journaliste Oscar Contardo, spécialiste de l’histoire de l’homosexualité au Chili, explique cette différence par le déclin de l’influence de l’Église catholique (à la suite, notamment, de scandales pédophiles en 2010).

    Des initiatives du gouvernement ou de certaines entreprises illustrent aussi ce changement, puisque pour la première fois le recensement national permet de se déclarer en ménage homosexuel, et que depuis le mois de février une banque chilienne accorde des crédits hypothécaires et des polices d’assurance aux couples homosexuels.

    6 Quelles polémiques a suscité cette tragédie ? Principalement une polémique entre les assos LGBT et l’Église. Église qui parle d’“instrumentalisation”. Le président du Movilh Roland Jiménez a répondu en déplorant l’absence de visite de l’archevêque au jeune gay quand il était à l’hôpital. Et l’Église de renchérir : “Movilh a voulu profiter d’une situation qui objectivement n’est pas telle qu’ils la présentent.”


    Sa mort ne restera pas impunie

    7 Qu’est-ce qui ne change pas ? Une certaine partie de la population reste fermement homophobe et tient à le faire savoir : les jours suivants la médiatisation de l’affaire Zamudio, deux jeunes lesbiennes ont été poignardées à Santiago et à Valdivia à cause de leur orientation sexuelle. Encore en 2011, le pays enregistrait une augmentation de 34 % des plaintes pour homophobie. Enfin, il y a deux jours, le Cardinal Jorge Medina Estévez déclarait que « les homosexuels sont comme les enfants qui naissent sans un bras », associant l’homosexualité à un « poids spirituel » qui requiert une assistance pour que « cette limitation ne les empêche pas de mener une vie normale. »

    bqhidden. le Cardinal Jorge Medina Estévez déclarait que « les homosexuels sont comme les enfants qui naissent sans un bras »

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER