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    25/09/2012

    Son dernier album feat Gipsy Kings et Gogol Bordello rend hommage à la culture Rom

    Goran Bregovic : « La musique ne change pas le monde »

    Par Jean Renault

    Sur StreetPress, Goran Bregovic explique avoir été en partie inspiré par les explusions de Roms et les ratonades en Hongrie pour son album Champagne for the Gypsies. « Mais si le disque n'est pas bon, cette attention ne sera pas significative ! »

    Champagne for the Gypsies est le second volet de votre projet Alkohol. En quoi sonne-t-il différemment de la partie précédente, Šljivovica?

    Šljivovica (qui est aussi le nom de l’eau-de-vie qui fait autorité dans les Balkans pour les fêtes, ndlr) a été enregistré spontanément au cours d’un concert au Guća festival. Ce n’était pas prévu. J’avais aussi bien bu, alors que d’habitude je ne bois pas plus d’un verre d’alcool avant de monter sur scène. Et puis je me suis dit : « Pourquoi ne pas faire une suite à Sljivocica ? Romantique, à la française, autour du champagne ? » Ca me semblait possible au moment du concert mais en fait le concept était difficilement transposable à cette ambiance. Là-bas le champagne se boirait plutôt à la bouteille, pendant que tu donnes un bakchich aux musiciens tziganes et que les femmes dansent derrière la table ! Alors j’en suis resté là.

    Et qu’est-ce qui s’est passé ?

    Plus tard, en compagnie d’un orchestre pour violons, nous avons joué simultanément de trois techniques différentes: classique, orientale et klezmer. C’est alors que je me suis dit : comment boire là-dessus ? Alors j’ai repensé à cette idée romantique autour du champagne.

    Pendant ce temps, les expulsions de Roms commençaient en France et en Italie, alors que des maisons habitées par ces mêmes populations étaient incendiées en Hongrie, en Serbie et en Roumanie, comme s’il paraissait normal de les maltraiter…J’ai voulu rendre hommage aux Roms pour les traces que beaucoup ont laissé dans la culture européenne : Elvis Presley (sic), Django Reinhardt, Mère Térésa… C’est dans cet esprit qu’est né Champagne for the Gypsies, en compagnie de musiciens d’origine rom : Gipsy Kings, Stephan Eicher, Florin Salam (Roumanie), Selina O’Leary (Irlande)… Bien sûr, si le disque n’est pas bon, cette attention ne sera pas significative, tout au plus un petit message !

    Vous pensez que la musique peut avoir une influence contre l’intolérance que subissent les Roms  ?

    La musique ne change pas le monde. Ce n’est pas quelque chose d’indispensable comme peuvent l’être la nourriture, la boisson, l’air ou le sexe. Elle serait plutôt comme le sel ; si on mangeait sans sel ça ne serait pas pareil. La musique peut être aussi comme l’éclairage sur une longue route vers un monde meilleur, ou comme une petite lueur qui a son importance.

    Vouliez-vous aussi mettre davantage en valeur l’esprit rom de votre musique avec ces collaborations ?

    On peut dire que les chansons se situent à mi-chemin entre eux et moi. Tu sais, toutes les chansons de l’album viennent de collaborations avec des Roms. Que tu joues avec Gipsy Kings ou Gogol Bordello (groupe de gipsy punk new-yorkais, également présent sur l’album), bien qu’il s’agisse de ma musique, l’influence de chacun se ressent.

    Votre musique a toujours été variée : rock, punk, pop, classique, religieuse, reggae, tango, electro…Et pourtant la musique traditionnelle balkanique reste plus présente que jamais.

    Les Balkans sont un mélange en eux-même. Catholiques, orthodoxes et musulmans cohabitent dans cette région depuis des siècles. Ma musique est un peu à l’image de cette diversité :une espèce de Frankenstein que je ne peux pas fuir.

    Aujourd’hui beaucoup de musiciens français – La Caravane passe, DJ Tagada, DJ Sumnakai – revendiquent une influence balkanique. Comment vous expliquez ça ?

    La culture française a toujours elle-même intégré l’étranger. Pensons aux artistes en exil, de Dostoïevski à Picasso, mais aussi aux réfugiés du fascisme, du communisme. La France a toujours été un lieu de refuge mais aussi la première alternative pour les artistes souhaitant échapper au show-business anglo-saxon. Il est donc logique pour moi que des musiciens ou DJ français acceptent avec facilité cette influence balkanique. Même à New York, quand j’y ai joué la première fois, on m’a dit que la salle y était remplie pour moitié de DJ et autres musiciens professionnels. Cette forme de curiosité pour les Balkans existe aussi pour d’autres espaces culturels: La musique, mais aussi les films, la littérature, la cuisine…

    La musique n’est pas indispensable comme peut l’être la nourriture, la boisson, l’air ou le sexe


    [Video] Presidente feat Gipsy Kings

    Il y a quelques années, vous avez reformé provisoirement votre ancien groupe de rock Bijelo Dugme, véritable légende en ex-Yougoslavie. Avec l’âge quel regard portez-vous sur la scène rock yougoslave de l’époque ?

    Dans les pays communistes, les groupes n’étaient pas exceptionnels d’un point de vue musical. Cependant c’était quelque chose en tant que phénomène social ! Je pense que le rock’n‘roll était beaucoup plus important sous le communisme qu’à l’Ouest, puisqu’il s’agissait du seul système alternatif visible.

    Avez-vous déjà d’autres projets ou collaborations en vue ?

    Je ne sais pas. Pour l’instant je fais la promotion de cet album jusqu’en novembre, puis après ce sera les concerts. J’aimerais bien vivre un peu aussi. Aujourd’hui je suis déjà content que de nombreux orchestres des Balkans gagnent un bakchich en jouant mes chansons. C’est plus ça qui me rend fier que de jouer avec tel ou tel artiste.

    Vous travaillez à Belgrade mais vous habitez depuis longtemps à Paris. Qu’est-ce qu’il vous plait ici ?

    Paris a toujours été le centre du monde. C’est notre maison à nous, les artistes, surtout étrangers. Personnellement, en tant qu’ex-Yougoslave, je ne suis pas venu à Paris pour l’exil. Pour faire un travail physique, j’aurais très bien pu aller dans n’importe quelle autre ville. Mais seule Paris a ce talent pour accueillir les artistes sans distinction par rapport à leur culture d’origine. Tu sais, rien qu’en prononçant le mot « Paris », tu as déjà le sourire aux lèvres.

    bqhidden. La France est la première alternative pour les artistes souhaitant échapper au show-business anglo-saxon

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