Le « Tyran » n’est pas encore officiellement tombé, mais c’est tout comme. La rébellion, tant décriée ces dernières semaines après l’assassinat du Général Younès, semble à deux doigts de la victoire totale et finale. Et maintenant ? Ronald Bruce St John, spécialiste de la Libye, s’inquiète : « le renversement du régime de Kadhafi risque d’être un temps d’incertitude, tirant vers le chaos ».
Que faire de Kadhafi ? Mouammar Kadhafi n’est pas encore “supprimé”. Pire : il est introuvable. Or pour Ronald Bruce St John, « si ne serait-ce qu’un seul membre de la famille Kadhafi reste en Libye, il empoisonnera la vie politique du pays aussi longtemps qu’il y restera ». L’exil à l’étranger, qui était devenue une hypothèse farfelue avec l’enlisement du conflit, est alors à nouveau sur toutes les lèvres. On a vu deux avions sud-africains sur le tarmac de Tripoli. « Mbeki et Zuma ont été très protecteurs vis-à-vis de Kadhafi mais l’accueillir serait aller trop loin et impliquerait un trop grand risque en matière de réputation » analyse Narnia Bohler-Muller de l’Africa Institute of South Africa. Mais peut-être que Kadhafi se serait déjà réfugié en Algérie ? Démenti. Reste alors la Tunisie ? Pas très concluant … Pas d’allié dans le Golfe, reste les États du Sahel, le Kenya en première position selon Bohler-Muller.
L’option d’une prison dorée en Libye semble tout aussi peu probable. « La tribu Kadhafa est bien trop petite et trop isolée des autres pour envisager de protéger Kadhafi » explique Ronald Bruce St John, « et aucune autre n’y trouverait son avantage ». D’autant plus que « la présence de Kadhafi sur le territoire libyen serait un facteur d’instabilité supplémentaire pour le nouveau régime » renchérit Francois Burgat, directeur de l’Institut Français du Proche-Orient. « Elle ne pourrait que ‘ rayonner’ sur le reste du territoire et rendre plus difficile le travail de réconciliation qui devra s’opérer après la guerre civile. »
Mbeki et Zuma ont été très protecteurs vis-à-vis de Kadhafi mais l’accueillir serait aller trop loin
Une démocratie peut-elle exister ? Dès que la libération sera proclamée officiellement, le CNT sera aux commandes pour mener ce travail de réconciliation et de création étatique. Selon Ronald Bruce St John, l’absence de réelle société civile et le manque d’expérience démocratique des rebelles libyens peuvent représenter un écueil. « La France, les Etats-Unis, et les autres membres de la coalition internationale, ont un rôle de conseil a jouer » ajoute t-il, « tout en laissant les Libyens prendre les choses en main ».
François Burgat désamorce quant à lui la peur d’une prolifération d’islamistes radicaux ou d’Al-Qaeda en Libye. « Une ouverture politique en Libye limiterait leur capacité de recrutement » selon le chercheur.
La Libye peut-elle se décomposer ? Plus dangereux selon François Burgat serait la division historique entre les deux « sœurs ennemies qu’ont pu être les provinces de Tripolitaine et de Cyrénaïque », à régler impérativement. Kadhafi a tenu bon notamment grâce au soutien de quelques tribus : les Kadhafa, Maqarha et Warfalla essentiellement. Cette dernière représente un sixième de la population du pays. Il faudra éviter que les tribus défavorisées par l’ancien régime n’en profitent pour crier vengeance après avoir crié victoire.« Les tribus peuvent affaiblir mais tout autant renforcer l’Etat selon la capacité de celui-ci à passer des accords avec chacun de leurs leaders » explique François Burgat. Des accords avec les tribus mais aussi avec tous les autres groupes victorieux.
Les tribus peuvent affaiblir mais tout autant renforcer l’Etat
Depuis 6 mois, beaucoup de groupes armés, privés et religieux, se sont formés
Omar Khattaly, de l’organisme anti-kadhafiste Libyan Working Group, prévient : « depuis 6 mois, beaucoup de groupes armés, privés et religieux, se sont formés, et ils constituent une menace à la stabilité future du pays ». Le CNT devra affiner des institutions politiques et militaires qui assurera l’unité sans léser personne. « Autrement, nous aurons une autre Somalie » s’inquiète Khattaly. L’unité passe également par l’intégration des anciennes personnalités clés du régime de Kadhafi. Tout comme le Général Younès, assassiné le 29 juillet dernier, ces futurs dignitaires auront un lourd passé et de nombreux ennemis. Toute la difficulté de faire du neuf avec du vieux, 42 ans après la dernière « révolution ».
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