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    21/06/2010

    Thierry Jousse des Cahiers du Cinéma: Si l'affaire Anelka était un film « ça pourrait être La Horde Sauvage ! »

    Par Robin D'Angelo

    Thierry Jousse présentait au festival Brésil en mouvements le film « Noir contre Blanc » sur les tensions raciales dans le football brésilien. C'était l'occasion de lui demander ce qu'il pense de la tournure sociale que prend l'affaire Anelka.

    Comment avez-vous jugé l’expérience présentée dans le film d’un match de football Noirs contre Blancs ?

    Je trouve que c’est une expérience très ambigüe qui pourrait mal tourner. Mais ce que j’en conclu, c’est que si cela existe depuis 30 ans, c’est que l’objectif est atteint: réunir plutôt que diviser. Je pense que c’est une expérience qui ne pourrait pas avoir lieu en France dans les banlieues. Au Brésil c’est possible parce qu’il y a vraiment du métissage qui existe.

    Dans le film on voit des insultes racistes mais qui sont dédramatisées sur le terrain du foot. Vous ne pensez pas qu’on devrait dédramatiser de la même façon les problèmes de l’équipe de France qui prennent aujourd’hui une tournure sociale?

    Ce qui est renvoyé comme reflet, ce sont quand même des divisions d’ordre racial, religieux, social … Je ne crois pas que les joueurs de l’équipe de France ait la volonté d’avoir ce rôle. Mais il se trouve que cela révèle quelque chose de la société française d’aujourd’hui. On a l’impression qu’il se passe dans l’équipe de France la même chose qu’il se passe en France. Tout est sujet à controverse, tout est délétère, tout est compliqué… Moi, la société française aujourd’hui, je la perçois comme très fracturée, très divisée, très peu unitaire, un peu déliquescente. En exagérant un peu, l’équipe de France est symptomatique de l’état du pays.

    Mais ce n’est que du football…

    Enfin on voit bien qu’aujourd’hui le football c’est un symbole ! Ce n’est que du football mais le football ce n’est pas que du football ! C’est ça le paradoxe !

    Preto contra Branco, Ze Story

    Le festival Brésil en mouvements s’est clôt dimanche soir avec la projection du documentaire de Wagner Morales Petro contra Branco. Le synopsis: Depuis plus de 30 ans, juste avant Noël à Héliopolis, la plus grande favela de Sao Paulo, les habitants de deux quartiers voisins se retrouvent autour d’un match de football où les Noirs jouent contre les Blancs. La préparation du match avançant, la tension monte et le mythe de la démocratie raciale brésilienne est de plus en plus mis à mal. Un film qui colle étrangement à l’image présentée par les médias de l’équipe de France.

    Le trailer du film

    Vous auriez tendance à rejoindre Finkielkraut quand il dit que « l’équipe de France est un miroir de la France avec ses divisions ethniques » ou quand il compare Domenech à un prof dans une cité difficile ?

    C’est un peu rapide et facile mais ce n’est pas complétement faux. Mais ça sert son propos à Finklekraut donc forcement il y trouve l’objectivation de son propos. Il faut quand même faire attention à manipuler les symboles avec précaution. Je n’irais pas aussi loin que lui, ce ne sont pas que des divisions de cet ordre là.

    Est-ce que vous notez un changement dans le traitement médiatique de la mixité raciale de l’équipe de France depuis qu’elle perd ?

    Complétement. Maintenant on ne parle plus du symbole d’un société convivialement métissée comme en 1998. C’est la défaite et l’ambiance lourde autour de l’équipe de France qui produit ça.

    En tant que cinéphile est-ce que cette histoire participe à la construction de l’Histoire du foot français ?

    Cela participe à une espèce de fictionisation du football, comme dans un roman. D’ailleurs même les gens qui ne s’intéressent pas au foot cela les intéresse. A la fois pour ces raisons de révélateur social mais aussi parce que c’est de la fiction. Une sorte de saga.

    Thierry Jousse, Bio Express

    Thierry Jousse a été le rédacteur en chef de la revue Les Cahiers du Cinéma de 1991 à 1995, avant d’écrire pour les Inrockuptibles et Jazz Magazine. Aujourd’hui il anime des émissions sur France Inter, France Culture et France Musique. Il a réalisé deux long-métrage: Les invisibles en 2005 et Je suis un no man’s land, à paraître.

    Vous aimez aussi le foot pour ça ?

    J’ai toujours tendance à penser que j’aime le football pour le jeu. Mais évidemment je ne suis pas insensible à la question de savoir comment tout ça devient légendaire. De toute façon c’est d’abord une tradition orale le football, qui se transmet de génération en génération. On le sait même si on ne l’a pas vécu. La coupe du monde 70 que j’ai vu un peu quand j’étais petit, c’est légendaire comme la défaite de la Hongrie en 54 contre l’Allemagne. La meilleure équipe du monde à l’époque est battue par l’Allemagne: ça devient le symbole du miracle économique. Fassbinder s’en ait servi à la fin de mariage de Maria Braun.

    Et l’affaire Anelka, ce sera une bonne scène de fin pour quel film ?

    J’ai lu beaucoup d’allusion à La Haine. “Jusqu’ici tout va bien” etc.. Je n’ai pas de film en particulier car on ne connait pas toute l’histoire de l’équipe de France pour faire un bon scenario. Mais ça pourrait être La Horde Sauvage de Peckinpah !

    « Ce n’est que du football mais le football ce n’est pas que du football ! »

    Source: Robin D’Angelo | StreetPress

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