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    07/10/2011

    Explication de texte avec «le leader de l'avant-garde noire»

    Anthony Joseph: « Je ne suis pas l'héritier de Gil Scott-Heron »

    Par Etienne Gin

    Ecrivain, poête, musicien, noir … Comme Gil Scott-Heron ! Anthony Joseph ne veut pas assumer l'héritage « du colosse » que certains lui confèrent. Il préfère se voir comme un griot moderne à « l'avant-garde des plus désespérés ».

    L’album commence avec cette phrase : « The griot is the sound of universal culture. » T’en as connu beaucoup des griots?

    Oui, j’ai pu faire la connaissance avec d’authentiques griots. Ce sont des conteurs ouest-africains qui vont de village en village et qui sont aussi musiciens. Cette chanson vient d’un poème que j’avais écrit pour un de mes amis. Je me souviens d’une conversation avec lui : « Si je te disais où il m’est arrivé de jouer, tu aurais du mal à me croire ! J’emmène le funk partout avec moi, jusqu’aux endroits les plus reculés au monde, comme le font les griots pour changer les choses. »

    Alors tu es un griot moderne ?

    Ah, d’une certaine manière oui ! En tant que poète, ça fait partie de mon rôle d’emprunter des idées à diverses cultures, sociétés et communautés. Avec pour but de faire connaître ces idées. La poésie c’est des mots, donc ça vient de la tradition de parler en public et de raconter des histoires aux gens.

    Et quel doit être le message des griots dans le monde d’aujourd’hui ?

    Hum, je ne pense pas que les griots puissent apporter quoi que ce soit de neuf. A mon avis, ils apportent une culture universelle. Ils parlent de communication personnelle plutôt que de voir le monde par le biais d’internet, de la télé ou de la radio. Ces échanges entre humains, en face-à-face par l’apprentissage de la voix, c’est ce qui définit le griot.

    Anthony Joseph – She’s the sea


    L’eau, c’est fort et fragile en même temps

    Tu es originaire de Trinidad. Quels en sont tes souvenirs ?

    J’avais déjà une petite vingtaine d’années lorsque j’en suis parti. Ce dont je me rappelle le mieux c’est ce rapport spécial à la Terre, au sol et à la nature. Et ça me manque beaucoup à Londres. Dans mon village tu pouvais voir la terre et de la boue, alors qu’à Londres tu marches tout le temps sur du bitume.

    Parmi tes influences, le concept de « négritude » d’Aimé Césaire a-t-il influencé ton œuvre ?

    Oui, ça a une influence sur mes mots, même si ce n’est pas explicite. Ce que j’ai appris de Césaire c’est plus son écriture que sa conception de la politique que je connais. Disons que je suis plus attaché au poète qu’à l’homme politique. Pour la « Négritude », à mon avis, il n’est pas le seul à l’origine du concept. Ce sont plusieurs personnes autour de lui comme Léon Gontran Damas. Je suis plus intéressé par lui en tant que poète, notamment par ses écrits surréalistes. En tant que caribéen, je l’ai trouvé fascinant.

    Comment veux-tu contribuer à la littérature ?

    Je pense lui apportér de l’hybridité. Ce que je veux dire, c’est qu’en tant que caribéen écrivant en Angleterre, je lui ai apporté un peu de la mentalité caribéenne, de son rythme, de son accent, de ses habitudes, combinée à la mentalité européenne. J’aime définir ce que j’ai apporté comme « l’avant-garde des plus désespérés », basée sur une manière expérimentale de comprendre le langage tel qu’il pourrait être perçu par les caribéens les plus pauvres. Car dès qu’il s’agit de rédiger de la littérature expérimentale, les caribéens sont tournés vers la culture européenne, jamais vers celle des Caraïbes.

    A quel public t’adresses-tu avec tes poèmes ?

    Je ne sais pas écrire des choses qui mettent tout le monde d’accord. Je ne sais pas m’adresser à telle ou telle portion d’une société. J’ai fais des poèmes pour mes amis, il y en a certains qui peuvent plaire aux enfants, d’autres aux adultes, d’autres plus pointus, littéraires. Tout se tient dans l’idée que je n’écris pas pour un public particulier, ni pour une section précise d’une population. J’écris de plusieurs manières car il est important de ne pas s’enfermer dans l’idée que je suis en train de produire quelque chose qui sera tellement fantastique qu’il deviendra une référence, que les gens vont adorer. Car même les références peuvent être impossibles d’accès pour une partie de la population !

    La musique est-elle un prolongement de tes poésies ?

    Oui, mais les deux sont indissociables pour moi. Des fois la musique est la source d’un poème, et des fois le poème crée la musique. Je ne les distingue pas l’un de l’autre. Je le faisais avant mais plus maintenant.

    Comme tes chansons sont assez longues, la forme me fait penser à de l’afrobeat. Ecoutes-tu de la musique africaine ?

    Oui mais j’écoute beaucoup plus de musique caribéenne que d’afrobeat. C’est une remarque que j’entends souvent. Les gens me disent « hé, il y a de l’afrobeat là-dedans ! », alors qu’en fait non. Ça ressemble à de l’afrobeat mais c’est de la musique caribéenne car le calypso caribéen, la soul caribéenne sont des musiques qui sont connectées à la musique africaine. Calypso, reggae, funk…tout ça, ça a un lien avec l’Afrique. Ce que tu écoutes en fait avec ma musique c’est de l’afrobeat des Caraïbes.

    Dès qu’il s’agit de rédiger de la littérature expérimentale, les Caribéens sont tournés vers la culture européenne

    Quel est le message de « Generations », le morceau qui termine l’album

    C’est une chanson plutôt complexe. Au premier abord, elle nous parle de nos ascendants, de nos anciens, de nos prédécesseurs, de ces gens qui ont vécu des millénaires avant nous sur la même terre. Ils ne sont plus là mais ils sont toujours quelque part en nous, ils sont partie intégrante de nos esprits et de nos corps. Ils sont en nous car mon arrière-arrière-arrière-arrière grand-père et mon arrière- arrière- arrière- arrière- arrière-grand-mère font toujours partie de moi, ils sont toujours en vie, dans mon sang, dans mes gènes. Le sang, la sueur de ces gens est encore là, sur cette terre. Ensuite, cette chanson parle aussi de l’esclavage, beaucoup de mes ancêtres ont été des esclaves. Dans la chanson, je me sers de cette idée pour nous interroger sur nos origines, depuis les forêts, l’Afrique, vers les rivières, puis vers l’océan. Nous avons traversé l’océan pour atteindre des plantations, puis nous avons connu une révolution et nous avons brûlé les plantations. Et puis j’ai enregistré mon album juste à côté d’un site où avait eu lieu une de ces révoltes à Londres. C’est une chanson complexe car elle aborde tout ça : l’Homme, nos ancêtres, l’Afrique, les révolutions et la destruction du capitalisme.

    Peux-tu m’expliquer la métaphore de la chanson « She is the sea » ?

    Ça parle d’une femme qui est très forte comme la mer, tout en étant aussi liquide comme elle. Comment te dire…si tu observes une goutte d’eau, c’est très délicat, très fragile, mais après si tu regardes la mer tu vois qu’elle est vaste, forte. L’eau, c’est fort et fragile en même temps. Tu peux très bien passer ta main au travers, mais elle peut aussi te tuer. Dans une de ses chansons, Bob Dylan nous dit à propos d’une femme « But she breaks just like a little girl » (Mais elle rompt comme une petite fille). C’est l’histoire d’une femme forte qui pleure à torrents (« She cries like a river »). Et comme ce sont des torrents qui peuvent atteindre la mer, la chanson est basée là-dessus.

    Anthony Joseph au festival des libertés

    Nous avons traversé l’océan pour atteindre des plantations, puis nous avons connu une révolution et nous avons brûlé les plantations

    Qu’est-ce qu’a signifié pour toi la mort Gil Scott-Heron, qui était aussi poète, écrivain et musicien comme toi

    Ce type était un géant, un colosse ! En termes de littérature, de musique, c’est lui qui m’a fait comprendre qu’un poète pouvait être un interprète, un chanteur, un musicien. Il m’a aussi aidé à élargir ma compréhension de la poésie. Gil était un grand homme, un être de chair, de sang, de force, vulnérable et très humain. Je l’ai rencontré une fois, et il était un héros, très timide. Je voulais lui ressembler, mais il était unique, très cool !

    Te considères-tu comme l’héritier de Gil Scott-Heron ?

    Oh ce serait un peu arrogant de le dire ! Je ne dirais pas cela. J’en suis un dans le sens où comme lui, je rédige des poèmes et je compose de la musique. Je suis un humain comme lui, j’ai des faiblesses, des points forts, donc vu comme ça nous sommes semblables. Mais je ne suis pas son héritier, nos travaux diffèrent tellement. On ne gérait pas notre temps de la même manière non plus. Mon travail est finalement très singulier, je m’efforce de faire mon propre genre.

    Et que penses-tu de la musique populaire actuelle ?

    La pop est géniale. Quand j’étais petit, j’écoutais ça tout le temps. Vraiment j’adore !

    Mais par exemple, tu aimes Lady Gaga ou Rihanna ?

    Oui, j’adore Lady Gaga ! Ah non mais attention, je ne l’ «aime » pas, mais je trouve que certaines de ses chansons sont bonnes. Mais les deux, je trouve qu’elles font de fantastiques morceaux. Et donc oui j’écoute Lady Gaga !

    Et si David Guetta te propose de jouer sur un de ses morceaux ?

    Ce type est bon. Mais pour une collaboration, il faudrait parler argent d’abord !

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