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    22/05/2013

    Mais où va s'arrêter le petit royaume du Comptoir Général ?

    Les rois de Boboland

    Par Robin D'Angelo

    Ils produisent les films qu'ils vont voir, ils leurs concoctent des cocktails et leurs offrent des espaces de coworking. En jouant la carte de l'économie solidaire, le promoteur C Développement est devenu un incontournable du Paris des « bobos ».

    La porte de Clignancourt, son marché aux puces, son KFC et… sa gare Ornano désaffectée. C’est ici que devrait ouvrir le nouveau hot spot du Paris branché pour l’été : sur les quais de la station abandonnée, un « food truck » distribuera des hot-dogs à des Parisiens barbus, venus découvrir cette portion de la petite ceinture réaménagée en jardin. Ouverture prévue, si tout va bien, dès la mi-juillet. De quoi donner des airs de canal Saint-Martin à la très ghetto porte de Clignancourt.

    Royaume

    Après le Comptoir Général ouvert il y a 2 ans dans le 10e arrondissement, c’est le nouveau projet de « brasserie » du promoteur immobilier C Développement . Un projet qui en appelle d’autres, puisque la boîte vient aussi d’acheter un immeuble à Montreuil et assure être dans « la short list » de la mairie pour ouvrir un café, bassin de La Villette, dans une superbe maison de deux étages aujourd’hui occupée par… StreetPress.

    Salles de concerts, brasseries, espaces de coworking ou maisons des associations : c’est en fait un joli petit royaume qu’est en train de bâtir C Développement, puisqu’ils possèdent pas moins d’une dizaine de lieux dans Paris. Avec une marque de fabrique : taper les « bobos » en mettant en avant « un mode de consommation vertueux ».

    Bar à bobos

    (img) La gare abandonnée d’Ornano, porte de Clignancourt gare_ornano_clignancourt.jpg

    C’est le vaisseau amiral de C Développement à Paris : un immense bar à proximité du canal Saint-Martin. Depuis 2 ans, le Comptoir Général propose à ses clients des cocktails bio à base de jus de bissap ou de fruit de la passion, dans une déco faite exclusivement avec des matériaux « éco-responsables ». Un concept qui cartonne puisque le vendredi et le samedi soir, il faudra faire la queue si vous voulez profiter de l’ambiance tropicale du bar. « Les bobos ont un avantage : ils s’intéressent à la solidarité et sont prêts à consommer de manière vertueuse », analyse Frédéric Robert, le directeur général de C Développement, qui tient à rappeler que son « bar ne vend pas de Coca-Cola. »

    Au Comptoir Général, qui singe une atmosphère africaine, une partie des bénéfices du bar sont réinvestis dans des projets relevant de « l’économie solidaire » : la privatisation de l’espace au rabais pour des associations et du sponsoring de petits artistes africains, « des artistes ghetto », explique Fred Robert. Comme Papa Kourand, un musicien congolais de 75 ans dont la notoriété n’était pas sortie des maquis de Brazzaville. La boîte s’est chargée de lui faire son site web et une sympatoche campagne de pub. Frédéric Robert, qui reçoit dans la mezzanine du Comptoir Général, d’y aller cash :

    « On fait le mojito le plus cher possible pour les bobos et la totalité des bénéfices est utilisée pour faire du développement d’artistes. »

    Chiffre d’affaires par soir pour le bar : entre 10.000 et 20.000 euros.

    «On fait le mojito le plus cher possible pour les bobos» Frédéric Robert

    Agnès B

    Gare Ornano, c’est « une sorte de Comptoir Général mais dans un esprit ressourcerie » qui devrait succéder au « food truck », installé juste pour l’été. Frédéric Robert détaille son business-model pour le spot :

    « On a un atout : 3 millions de touristes qui chaque dimanche vont aux puces, le plus grand marché d’antiquités au monde ! A moins de 1.500 euros, il n’y a pas grand-chose aux puces de Saint-Ouen. L’idée, c’est de capter cette population. »

    Avec un objectif côté « économie solidaire » : que « les bobos », après avoir fait leurs emplettes aux puces, passent voir le monsieur « répare-tout » de la ressourcerie pendant leur brunch. Frédéric Robert, en mode made in France, d’expliquer : « On pourra rapiécer ses pantalons Agnès B. Ce qui évitera d’acheter de nouveaux vêtements venus d’Asie qui font augmenter votre empreinte carbone. » Prends ça Arnaud Montebourg !

    Séduction

    A la mairie du 18e, on voit plutôt d’un bon œil l’arrivée de C Développement dans l’arrondissement. « Leur philosophie correspond aux objectifs de la mairie, à savoir l’ouverture sur la ville », confie à StreetPress une source qui a travaillé sur le projet de la gare Ornano. Frédéric Robert, le DG de C Développement, est un peu moins langue de bois :

    « Pour la gare Ornano, Daniel Vaillant (le député-maire du 18e, ndlr) nous a dit “ Honnêtement, je préférerais que ça soit vous plus qu’un autre qui achetiez la gare Ornano, je suis prêt à pousser votre candidature.” La gare, on a pu l’avoir grâce à lui. »

    L’entrepreneur d’ajouter :

    « Les collectivités nous adorent à mort ! »

    Frédéric Robert, directeur général de C Développement frederic_robert.jpg

    Car l’entreprise jouit d’une très bonne image. Les activités de brasserie pour bobos qui cartonnent, ce n’est que la face émergée de l’iceberg. Le premier projet lancé par C Développement en 2007, c’est une Maison des Associations Solidaires. Un immeuble de 2.500 m2 dans le 13e arrondissement où le gentil promoteur loue des salles de réunion à prix cassé à « des associations pour handicapés » et où le restaurant est tenu par « des psychotiques » (des personnes en réinsertion, ndlr), décrit Frédéric Robert. Le bâtiment ne génère pas de profit, mais atteint l’équilibre en faisant payer plein pot les entreprises et les services publics pour ses salles. « Ethiquement, c’est un plus d’aller chez eux », se félicite-t-on au ministère de la Jeunesse qui sollicite régulièrement leurs services.

    Millionnaire

    Mais pourquoi sont-ils si gentils ? Le fondateur de C Développement, c’est Olivier Laffon, 67 ans, dont le compte en banque atteindrait les 40 millions d’euros. Un promoteur immobilier qui a fait sa fortune en participant aux projets de Bercy-Village ou de Velizy 2 et… atteint de la maladie de Parkinson.

    Il y a dix ans, à la suite d’une opération qui aurait pu le laisser sur le carreau, le businessman décide d’arrêter de gagner de l’argent en se lançant dans « l’économie solidaire ». Avec C Développement, l’ex-magnat de l’immobilier décide donc de se consacrer à des projets, qui à « la place de rapporter de l’argent, ont un impact social ».

    Aujourd’hui, C Développement est une holding, dont les bureaux sont à l’étage du Comptoir Général. Ils ne sont que deux à y travailler – Olivier Laffon et Frédéric Robert. Chaque établissement sous sa coupe est autonome, avec sa propre équipe.

    Social washing ?

    Mais si C Développement gère toujours sa Maison des Associations Solidaires dans le 13e à Paris, elle a aussi racheté en 2009 le Divan du Monde ou placé des billes dans La Machine du Moulin Rouge. Des salles de concerts à « l’impact social » discutable. Le promoteur possède aussi le café-resto L’Âge d’Or – qui servirait « les brunchs les plus copieux du 13e », l’espace de co-working La Ruche ou encore Commune Image, un complexe audiovisuel qui mutualise ses salles de travail pour différentes boîtes de prod’.

    Une vitrine, « l’économie solidaire » ? « La culture c’est une forme de solidarité ! Un café-philo comme l’Âge d’Or, c’est quelque chose de collectif, de gratuit et qui n’a pas de modèle économique. Tout est solidaire chez nous », insiste Frédéric Robert.

    Le directeur général d’expliquer que son entreprise ne fait pas du «caritatif», ni du « mécénat », mais doit bien gagner de l’argent pour investir ses bénéfices dans « des projets éthiques ».

    «La culture c'est une forme de solidarité !» Frédéric Robert

    Economie solidaire

    Un projet éthique, c’est par exemple l’espace de coworking La Ruche. Le prix frisent les 450 euros par mois pour un poste, ce qui est plus cher que le marché. « Mais à l’intérieur, ce sont des bobos » confie Frédéric Robert pour justifier ce prix. L’important est que La Ruche permette à ces jeunes entrepreneurs sociaux de développer leurs projets en leur offrant des facilités.

    L’argent du Comptoir Général a, lui, servi à produire le film « Staff Benda Billili », un des ses projets les plus aboutis. Un investissement social, puisque le film qui ne trouvait pas de financement, a permis de « mettre en avant l’art populaire africain ». Pas grave si le producteur qui avait besoin d’argent pour le film s’appelle Yves Chanvillard… filleul du millionnaire Olivier Laffon.


    Vidéo font color = grey>Mokole Mbembe, le dernier projet de docu du Comptoir Général

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