12/03/2020

« Mais malgré les préjugés de certains, en général, tout va bien. »

Les jeunes de toutes les confessions squattent les locaux de l’asso juive de Garges

Par Samia Mansouri

Garges-lès-Gonesse, commune populaire à la frontière du 95 et du 93, serait rongée par le communautarisme. Une caricature loin de la réalité pour les jeunes qui squattent les locaux de l’Opej, une asso juive fréquentée par toutes les communautés.

Garges-lès-Gonesse (95) – Sharon, Carina et Selma tchatchent et rigolent. D’origines congolaise, cap-verdienne et marocaine, elles ne se reconnaissent en rien dans le tableau que la presse et certains politiques dressent de leur ville. Car ici, lit-on, le communautarisme galoperait : dans un récent article consacré à Samy Debah, fondateur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et candidat aux municipales, l’Obs pointait la tentation sécessionniste qui menacerait. Quant à François Pupponi, ex-maire socialiste de la toute proche Sarcelles, il craint carrément que Garges devienne une des « premières villes islamistes de France ».

Les Municipales by StreetPress

Dans le cadre de notre projet Municipales by StreetPress, Samia tire le portrait de Garges-Lès-Gonesse (95).

Épisode 1 : Mirux, le réalisateur des séries à succès de Garges-lès-Gonesse
Épisode 2 : Les jeunes de toutes les confessions squattent les locaux de l’asso juive de Garges
Épisode 3 : À venir

Pendant trois mois, Streetpress accompagne cinq jeunes sélectionnés sans critères de diplômes. Ils sont formés par la journaliste Nathalie Gathié et rémunérés en piges pour leurs articles. Si vous souhaitez soutenir nos initiatives, vous pouvez nous donner quelques euros par ici.

Taquines, Sharon et ses copines soulignent du haut de leurs 18 ans le nom de l’asso dans laquelle on les rencontre : « Ça s’appelle l’Opej ». Autrement dit, l’organisation pour la protection des enfants juifs. « En vrai, tous les jeunes de Garges défilent ici », scande le trio. Éducatrice spécialisée à l’Opej depuis plus de dix ans, Juliette confirme que ce lieu « a toujours été destiné à tout le monde. Les jeunes qui participent aux activités comme l’aide aux devoirs, les voyages culturels (Sénégal, Espagne, Israël, Palestine…) ou les sorties cinés sont de toutes religions et de toutes origines ». Au cœur du quartier de la Dame Blanche, l’asso, créée en 1944, est voisine avec une mosquée, une synagogue, des écoles et une flopée d’associations.

« Garges n’est pas une ville antisémite »

Les jeunes de confession juive qui la fréquentent sont désormais ultra minoritaires car leurs familles ont, au fil des années et des crispations identitaires, déserté Garges. Et comme dans beaucoup de quartiers et de villes de France, la synagogue bénéficie d’une protection militaire afin de prévenir les actes antisémites qui parfois surviennent. « On m’a déjà dit des choses comme : “T’es la seule juive que j’aime bien” », sourit Solenn, une habituée de l’Opej, dont les parents sont séfarades. « Mais malgré les préjugés de certains, en général, tout va bien. Pour moi, Garges n’est pas une ville antisémite ». Assise dans un canapé du local, Sharon valide : « On avait un voisin juif, lorsque l’on a appris son décès, ma mère, qui vit 100 pourcents Congo, était hyper triste. Elle est même allée à l’enterrement ».

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Pilier de l’asso où il vient rencontrer ses potes, Amadou, 18 ans, est Sénégalais. Tout sourire, il raconte son quotidien tranquille à la Dame Blanche Nord : « Lorsque je sors de chez moi, il y a des juifs, des musulmans, des chrétiens… Arabes, Noirs et j’en passe… On arrive à tous vivre ensemble dans un même bâtiment sans qu’il y ait de problèmes ». Bonne connaisseuse de l’environnement, Juliette constate tout de même qu’il « y a de moins en moins d’Européens… Français, Portugais, Espagnols s’en vont progressivement ». Car ce qui s’enracine à Garges – où les services publics ont déserté et qui ne bénéficie toujours pas d’un commissariat de plein exercice malgré l’insécurité –, c’est la précarité. Le taux de pauvreté culmine à 40 pourcents et le chômage tutoie par endroits les mêmes proportions. La misère qui crée des tensions parfois, et du lien souvent.

Vivre (et manger) ensemble

« Il m’arrive de voir des gens se disputer dans le bus ou quoi, on peut entendre des propos comme : “Cet Arabe-là…” ou : “Toujours ces Noirs” mais ce sont des petits problèmes et la plupart du temps, on cohabite bien », soutient Carina, dont les parents ont quitté le Cap-Vert dans les années 80. « Ils vivent ici depuis longtemps, ma mère est femme de ménage et mon père peintre en bâtiment. À la maison, on vit comme à Santa Catarina, la ville de naissance de mes parents : nourriture cap’s, musique cap’s, déco cap’s, tout est comme là-bas ! », plaisante Carina. « Pareil !, enchaîne Sharon. Chez moi il n’y a que de la musique congolaise, on ne se détache pas du pays. Ma maman qui ne travaille pas ne prépare presque que des plats congolais : mon grand frère, ma petite sœur et moi, on adore ! ». Mais à Garges, on n’oublie pas de s’inviter et de partager. « L’autre jour, je suis allée manger du foufou chez Sharon, c’est de la semoule réalisée à partir de plusieurs farines. Et aussi, lorsque je discute avec sa maman, je m’amuse à caler des petits mots en lingala, la langue bantoue qu’on parle au Congo, j’aime trop ! », confie Selma, dont la mère née à Guerguerat, au Maroc, cuisine d’excellents tajines et de délicieuses feuilles de brick.

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Même si les élections ne sont pas leur sujet favori, les jeunes filles savent bien que Samy Debah, qui brigue la mairie après avoir glané 55,67 pourcents des voix à Garges lors des législatives de 2017, passe dans les médias pour le « candidat des mosquées » mais elles ne le croient pas. « Un jour, raconte Sharon, son équipe tractait devant chez moi et mon père a demandé aux militants pourquoi on devrait voter Debah. Une dame de sa liste a répondu qu’elle était noire et chrétienne et qu’elle soutenait Samy Debah, arabe et musulman : On a donc compris que cette histoire de communautarisme était bidon ».

Riche de sa diversité

Fin de la séquence politique. De retour dans sa résidence située dans le quartier du CDI, Sharon retrouve Andréa, sa petite sœur de 17 ans, allongée sur son lit. Les « sisters » parlent de copines, d’école, d’amour… Conversation tranquille entre filles. « Les parents ne seraient pas contre le fait qu’on amène un mec d’autre origine à la maison, mais ça faciliterait quand même les choses de leur présenter un Congolais », rigole Andréa. « Moi, c’est my dream d’être avec une personne d’autre origine, complète Sharon. C’est bon, les Congolais je les connais ! » .

Sharon n’a pas trouvé son bonheur cet été à Garges mais elle aurait pu : « Pendant les vacances, des jeunes ont organisé une CAN bis (Coupe d’Afrique des nations) dans la cité du Corbusier. Ça a soudé la ville : même la Turquie a joué alors qu’elle ne fait pas partie de l’Afrique, c’était magique ! », se remémore Sharon, les yeux qui brillent. Quelques heures plus tôt à l’Opej, elle et ses copines plaidaient pour « Garges et sa diversité. Au contraire des villes blindées, nous sommes riches de ça, c’est notre chance. Notre atout ».

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