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    24/02/2020

    « Pour nous, par nous »

    Mirux, le réalisateur des séries à succès de Garges-lès-Gonesse

    Par Samia Mansouri

    Sur YouTube, les séries Le Carré et Vaillantes cartonnent. Aux manettes, Samir aka Mirux, réal et producteur de ce projet 100 pourcents autofinancé. À travers la fiction, il raconte le quotidien des cités de Garges-lès-Gonesse.

    Cheveux longs, casquette à l’envers, barbe bien taillée, Samir porte une veste fluo assortie d’une sacoche en cuir marron. « Faut savoir que Garges, ce n’est pas que des meurtres et des bagarres », amorce clair et net celui que tout le monde surnomme Mirux. « Au quartier on m’appelait comme ça. C’est resté avec le temps. » Le trentenaire s’est lancé sans réseau :

    « T’as la force quand tu grandis en quartiers. Tu viens d’en bas, donc t’es attiré par la réussite. »

    Il a réalisé Le Carré et Vaillantes, deux séries YouTube en ligne depuis un an et demi. Et ça cartonne, avec des épisodes à plus d’un million de vues. Le réalisateur n’est pas mécontent de prouver que venir de « là », comme disent ceux qui ne mettent jamais un pied dans les cités, n’empêche pas d’y arriver. Dans Le Carré, Mirux met en scène un jeune, qui accepte un choix aux conséquences désastreuses. Dans Vaillantes, l’une des deux héroïnes, Nassima, dont le mari est incarcéré, doit s’occuper de ses deux sœurs après le décès de leurs parents. « J’ai parfois exagéré, mais il y a beaucoup de choses réelles comme les trajectoires de femmes qui rendent visite à leurs copains au placard ou des embrouilles d’argent », précise Samir alors qu’en ce dimanche de février, il supervise le dernier épisode de la première saison de Vaillantes.

    Être représenté

    À Garges-lès-Gonesses, une partie des 44.000 habitants s’identifient à ces séries. Ras-le-bol du miroir déformant, assure Alyssia, actrice dans Vaillantes :

    « Ils sont contents de se reconnaître dans quelque chose. Il y en a marre des Gossip Girl et compagnie ! Nous, ça ce n’est pas notre vie, nous, notre réalité, c’est Vaillantes. »

    Elle interprète la meilleure amie de Nassima, dont le copain est également incarcéré. Alyssia a été recrutée après avoir répondu à l’annonce du producteur. Samir sourit :

    « Ce genre de projet permet de faire participer les habitants. Ça me tenait à cœur de faire figurer des gens du quartier, de la ville. La base ! »

    Samia est, elle, directrice de Rehall32, la boîte de production des deux séries, mais aussi la grande sœur de Samir. Dans son salon, où elle a invité plusieurs acteurs de Vaillantes, elle souligne que « beaucoup de jeunes se sont mobilisés pour donner un coup de main lors des tournages ». Alyssia approuve : « C’est mieux que d’être dans le quartier à faire des conneries ».

    Pour nous par nous

    Hyper réglo, Mirux a l’habitude de foncer tête baissée. Du coup, « on le surnomme “l’homme Carré” », rigole Samia. « Il est un peu solitaire mais solidaire avec les siens. C’est un grand frère, une source d’inspiration », confie Abdel Majid, jeune habitant de la commune. « Je l’admire. Tout le monde ne ferait pas ça, faut avoir du courage », ajoute Maryam, Gargeoise elle-même et fan de la série. « Sur le tournage, il est là en capuche et lunettes. On ne le voit pas », poursuit Alyssia en buvant sa canette de FuzeTea.

    Gérant d’un restaurant en ville, ce mec discret préserve sa vie privée. Il préfère parler de son taf et souligner que ses séries sont autofinancées. Du « pour nous, par nous » à 100 pourcents. « Il crée tout seul sans rien demander à personne », insiste sa sœur Samia. « Je n’ai eu aucune aide municipale, la mairie ne nous a pas contactés, je ne les ai pas contactés non plus », insiste Samir qui se tient à distance des politiques. Son pote Bilel, casquette man, ajoute :

    « Ils ne font déjà pas grand-chose pour la ville, ce n’est pas pour une web-série qu’ils vont bouger. »

    Le sujet casse l’ambiance. Ici, on est loin des municipales et du maire divers droite Maurice Lefevre, qui a renoncé à briguer un nouveau mandat cette année.

    Gargywood

    Candidat sans étiquette à la mairie, Samy Debah, fondateur du Collectif contre l’islamophobie en France et prof d’histoire-géo au lycée Simone-de-Beauvoir, a « l’ambition d’inscrire dans le budget de la ville la reconversion de la Maison des arts, actuellement dédiée à la danse, au chant et au théâtre, en maison de production de films ». À en croire ce candidat issu des quartiers, Garges pourrait devenir Gargywood. En attendant, les jeunes ont toujours le sentiment de n’être ni écoutés ni considérés. « Toutes les institutions devraient les aider, les habitants devraient les encourager », avance Hind Ayadi, directrice de l’association Espoir&Création. Samir compète :

    « J’essaie de faire du bien pour la ville, en mettant en avant les gens d’ici. Je me dis que ça peut déboucher sur des trucs bien pour plus tard. Je les aide plus que la mairie parfois. »

    À l’abri du vent dans sa voiture, Samia ajoute que « le soutien n’est pas forcément financier et peut passer par des prêts de lieux, de matos, des choses qui peuvent être gratuites. »

    Les membres de l’équipe apprécient d’être ensemble et de faire ensemble. Alors que le tournage sous la direction d’un Samir pointilleux et concentré marque une pause, les acteurs sont en plein live YouTube pour répondre aux questions des fans de la série. Shawna, l’une des actrices, regrette une fois encore « la tendance générale à voir les gens de quartiers comme des personnes sans ambitions ». Accro aux séries de Samir, Ilyes, 11 ans, a d’autres sujets de préoccupation. Les yeux rivés sur les scènes interprétées au pied des immeubles, il kiffe :

    « Après, quand je vois les gens de ma cité sur YouTube, je me dis, c’est chammé, je les connais ! »

    Les scénarios et les images de Samir ont rayonné au-delà de Garges parce que « quand les histoires qu’on raconte touchent une famille au coeur, elles touchent des quartiers, ces quartiers touchent des villes puis des pays », se réjouit Farès Salvatores, acteur plein d’énergie de la série et snapchatteur quasi-officiel de l’équipe. « Il y a plusieurs parcours mêlés dans les films de Samir, donc ça parle à beaucoup de monde », développe la grande et blonde Nassima. Concentré sur le son, l’image et toutes les séquences à boucler d’ici la fin de la journée, Samir lâche juste : « On fait des trucs, ça marche hamdoullah mais on en est encore qu’au début ! »

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