11/01/2021

Rémy Daillet-Wiedemann est anti-vaccin, anti-républicain et antisémite.

L’ancien du Modem qui rêve de faire un coup d’État

Par Vincent Bresson

En 2007, Rémy Daillet-Wiedemann est parachuté par son père à la tête du Modem 31 jeune. Viré du parti pour avoir enregistré secrètement Bayrou, il dérive vers l’extrême droite. Aujourd’hui, il prétend lever une armée pour faire tomber la République.

« Sommation au gouvernement. Le temps approche monsieur Macron, vous n’avez plus aucune marge de manœuvre, le peuple vous rejette, vos amis vous quittent. » La mine grave et le regard braqué vers l’horizon (ou son prompteur), Rémy Daillet-Wiedemann étale son aversion pour la République dans une vidéo visionnée à 300.000 reprises. Il prévient :

« Le renversement aura lieu de toute façon. Soyez du bon côté, suivez-moi ! (…) Battez-vous à nos côtés pour reconquérir votre pays. »

En vue de rassembler les forces nécessaires à son coup d’État, Rémy Daillet-Wiedemann se repose sur un site sobrement intitulé remy-daillet-wiedemann.fr. Il y recrute une base de militants disposés à s’orienter vers « l’assaut » ou « la manipulation d’engins dangereux », dont d’anciens militaires. Sur YouTube, il a annoncé deux sommations. Après la troisième, il clame que lui et les siens passeront aux actes. À ce jour, il affirme avoir avec lui quelques 10.300 « volontaires pour le renversement ». Un chiffre des plus farfelus. Sa chaîne Télégram regroupe, elle, 362 fidèles. Parmi eux, un homme est déjà passé à l’acte fin novembre 2020 à Dax (40). Ce partisan de Rémy Daillet-Wiedemann, âgé d’une quarantaine d’années et diagnostiqué bipolaire, a attaqué une gendarmerie. Il a écopé de 18 mois de prison avec sursis le 7 janvier dernier, avec l’obligation de suivre des soins psychiatriques. Il était en contact avec le putschiste depuis la pandémie. (1)

Sur le groupe Telegram, intitulé « La nouvelle France », quelques-uns de ses partisans ont même dressé une liste de personnalités à juger après la future révolte : Jean-Michel Apathie, Benoît Hamon et Christiane Taubira, la « révolutionnaire bolchévique ». Et une autre, pour les « braves à honorer » : le parrain de l’extrême droite meurtrière Serge Ayoub, Jean-Marie Le Pen ou encore Dieudonné.

Entre rétablissement d’un monarque, démantèlement intégral du réseau 5G ou remise en cause de l’avortement, le programme de Rémy Daillet-Wiedemann séduit une poignée d’adeptes remontés à bloc par chacune des vidéos publiées par leur champion. Dans l’une d’entre elles, il insère même une petite « dédicace » au forum 18-25 de jeuxvideos.com, qui en a fait une de ses coqueluches. Pro-Trump et persuadé qu’il existe un « État profond » l’aspirant putschiste jongle avec des discours proches du mouvement complotiste américain QAnon et un négationnisme décomplexé. Sous couvert d’un pseudo, Thibault Lacroisade, il partage sur Facebook : « Holocanular. Les tas de cadavres à Dachau, Buchenwald étaient ceux des soldats allemands ». Une publication qui a été supprimée depuis. Dans une de ses vidéos, il défend le négationniste Vincent Reynouard, ouvertement nazi, et appelle à saccager les monuments mémoriels de la Seconde Guerre mondiale. Difficile après ça de croire que Rémy Daillet-Wiedemann a fait ses premières armes au centre de l’échiquier politique. Et pourtant…

Sous couvert du pseudo Thibault Lacroisade, Rémy Daillet-Wiedemann avait étalé son antisémitisme et son complotisme sur Facebook. Le post a depuis été supprimé. / Crédits : DR

Fils de

Si le Rémy Daillet-Wiedemann de 2020 rêve de renverser la République, celui de 2007 à l’ambition d’une carrière très républicaine au sein d’un parti centriste. Quelques semaines après le duel Sarkozy-Royal, l’apprenti homme politique rejoint le Mouvement Démocrate par la grande porte, au moment des législatives. « Il est arrivé grâce à sa filiation », se souvient Sylvie (2), une figure du Modem haut-garonnaise de l’époque :

« C’est le fils de Jean-Marie Daillet, un ancien député centriste. Notre fédération a été contactée par le cabinet de François Bayrou me demandant de le recevoir. Pour quelqu’un qui veut casser le système, il l’a finalement beaucoup utilisé ! »

Elle se souvient d’un « garçon charmant, plein d’idées et de projets », avec un style atypique, tranchant avec le profil « du petit centriste bien calmos ». « Tout feu tout flamme », Rémy Daillet-Wiedemann ne perd pas de temps. Un an après son arrivée au MoDem, le voilà déjà à la tête de la fédération haut-garonnaise (3) et d’un petit cercle de fidèles. Marie en fera partie. Pour s’éviter que « ce fou » puisse « l’emmerder », cette autre centriste ne souhaite pas donner son nom. « Je le trouvais assez sympathique au début. C’était un personnage cultivé, intelligent et modéré dans ses propos. Très vite, il a rassemblé un groupe d’une vingtaine de personnes autour de lui, plutôt des intellectuels et des diplômés », explique-t-elle.

Sur le groupe Telegram, ses partisans ont dressé une liste de 386 personnalités à juger après la future révolte. On y trouve Jean-Michel Apathie, Benoît Hamon ou Christine Taubira ainsi que de nombreux députés actuels. Et une autre, plus courte, pour les « braves à honorer » avec Soral, Dieudonné ou Ayoub. / Crédits : DR

Au début, Marie se laisse charmer par celui qui se présente comme un époux modèle et expose un « exemple de vie parfaite ». Avant de voir dans la cour rassemblée par Rémy Daillet-Wiedemann, un monde qu’elle « soupçonne être sectaire ». Pour séduire, ce caméléon s’adapte à son auditoire. « Il sait très bien ce qu’il doit communiquer et à qui. Avec moi, il ne montrait pas son côté facho, ni son opposition à l’avortement. » Une position politique partagée par son député de père, célèbre pour avoir déclaré lors des débats pour la légalisation de l’IVG que les embryons étaient « jetés au four crématoire ».

Quand il remarque que son passé d’engagé volontaire durant la guerre de Croatie questionne davantage qu’il ne fascine, il n’en parle plus. « Au début, il évoquait des choses qu’il aurait fait dans les Balkans dans les années 90. Il a vite laissé tomber en se rendant compte que ça ne prenait pas et qu’au contraire, ça intriguait. Tout de suite, il a su voir ce qu’il devait mettre en avant », estime Sylvie, l’ancienne figure du MoDem. Alors qu’elle commence à s’éloigner du cercle des proches de Rémy Daillet-Wiedemann, Marie l’interroge à ce sujet. Un point de rupture :

« Il m’a rayé de ses amis quand je commençais à poser des questions sur son engagement en Croatie. »

Aucun de nos interlocuteurs ne pourra en dire plus à ce sujet.

Rémy Daillet-Wiedemann ratisse large. Dans une de ses vidéos, il a inséré une « dédicace » au forum 18-25 de jeuxvideos.com. Ce dernier a fait de l'ancien MoDem une de ses coqueluches, avec des images où il remplace par exemple Adolf Hitler. / Crédits : DR

Palmes et tubas offerts à François Bayrou

À la tête d’une section départementale du parti centriste, le futur putschiste tente, sans grand succès, plusieurs coups d’éclats. Pour lutter contre la fermeture d’une usine de la société de connectique Molex près de Toulouse, Rémy Daillet-Wiedemann commence une grève du froid, en chemise et dans sa voiture. Face à la caméra de feu Télé Toulouse, l’homme grelotte. Pas suffisant pour convaincre les syndicalistes de sa sincérité. « Des grévistes sont allés le voir mais je n’ai jamais voulu lui adresser la parole parce que, pour moi, il n’était pas sincère », lâche Denis Parise, ex-responsable CGT du comité d’entreprise de Molex. Le syndicaliste assure que le président du MoDem Haute-Garonne n’avait pas prévenu les grévistes de son initiative :

« Je pense qu’il profitait de notre conflit pour se faire repérer par les médias. Alors que nous, nous étions là pour sauver nos emplois. »

En 2010, Rémy Daillet-Wiedemann profite de la crise traversée par le Mouvement démocrate pour s’opposer frontalement à son président. Sylvie rigole : « Une fois, il a même tenté de remettre à François Bayrou des palmes et un tuba pour montrer que le parti coulait. » Au sein des centristes, on se souvient encore de cette initiative ubuesque. Un ponte du mouvement balance :

« Je pense que cet individu a des problèmes psychologiques. »

Ce petit jeu ne dure pas longtemps. Le 27 mars, Rémy Daillet-Wiedemann est exclu du MoDem, après avoir enregistré en douce les échanges d’un conseil national. « Il ne comprenait pas qu’on puisse passer des années à coller des affiches et à écouter. C’est quelqu’un avec le sens du spectacle et qui venait d’une autre planète. Son passage au MoDem a fini en eau de boudin et ces écoutes, ça doit être la dernière fois où j’ai entendu parler de lui », conclut Sylvie.

Sur son site internet, Rémy Daillet-Wiedemann oriente ses « volontaires » vers deux catégories dont l'action en vue de son coup d'État. / Crédits : DR

Il y recrute une base de militants disposés à s’orienter vers « l’assaut » ou « la manipulation d’engins dangereux », dont d’anciens militaires. / Crédits : DR

500 euros pour des conseils

Sa brève carrière politique achevée, Rémy Daillet-Wiedemann en commence une autre via internet. *Sur jecreemonblogpro.com, un de ses nombreux blogs, il adopte un ton assez proche de l’immanquable « Salut à toi jeune entrepreneur » de Jean-Pierre Fanguin et joue les commerciaux dans une vidéo : « Vous vous dites peut-être que jamais vous n’arriverez à gagner un centime sur internet et que ce n’est pas fait pour vous, que des gens sont doués pour ça, qu’ils ont un truc et le sens du commerce. Et bien ça, c’est une idée reçue ! »

L’ancien centriste sait multiplier les casquettes. Il vend également des lectures d’histoires pour enfants et il en fait la promotion sur le plateau de la très droitière TV Libertés sous le pseudonyme de Max Montgomery. Rémy Daillet-Wiedemann s’improvise également coach et vend ses conseils pour s’installer à l’étranger, contre 500 euros. À lire les témoignages laissés sur son site, tous ses clients semblent satisfaits. Normal : une bonne partie sont bidonnés.

Sur le groupe Telegram, on parle du futur de cette « nouvelle France » et on dresse des lauriers à Rémy Daillet-Wiedemann, sorte de « Trump à la française ». / Crédits : DR

« Croisade assez allumée »

Au milieu de ces nombreux commerces, le cœur de métier de Rémy Daillet-Wiedemann reste l-ecole-a-la-maison.com. Sur ce site, il donne des recommandations aux parents désireux de donner des cours à leurs enfants depuis leur domicile. Avec une bonne dose de sexisme : « Toutes les mamans sont des enseignantes », est-il écrit. Il y fait aussi la promo d’un livre sur l’éducation, co-écrit avec sa femme, ainsi que ses « trucs pour éviter autant que possible tests et vaccins » contre sept euros. Et il propose à nouveau ses services de coaching en visioconférence. Là encore, les préceptes du coach ne sont pas donnés. Prix de la séance : 175 euros.

Son site est l’un des mieux référencés du secteur. « C’est simple : si on tape “école à la maison” sur Google, on tombe très vite dessus », explique Claudia Renau de l’association Les Enfants d’Abord (LED’A). Ce groupement de familles optant pour l’instruction à la maison a choisi de publier un communiqué pour s’opposer aux « analyses juridiques, fantaisistes, voire dangereuses » qu’il tient avec sa femme depuis plusieurs semaines. « Ce monsieur aurait conseillé à des familles de ne pas accepter de rendez-vous avec les inspecteurs, comme cela se fait normalement, et de ne pas ouvrir des recommandés. Ce qui est triste, c’est que certaines d’entre elles suivent ces discours », se désole Claudia Renau.

Comme leur gourou, les membres du groupe Telegram sont antimasques et complotistes. / Crédits : DR

Alors qu’un projet de loi « confortant les principes républicains » assombrit l’avenir de l’instruction en familles, les associations ont peur d’être affiliées aux discours de l’ex-responsable départemental du MoDem. « Elles n’ont aucune envie d’être associées à un mouvement comme celui de Rémy, cela brouillerait leur message », résume Anne Coffinier. À la tête de plusieurs structures défendant la liberté d’instruction, cette énarque raconte avoir échangé avec M. Daillet à quelques reprises, mais pas depuis dix ans. Même si elle se souvient d’un homme « intéressant », elle s’inquiète elle-aussi de l’image que pourrait faire rejaillir cette « croisade assez allumée ». D’autant que pour promouvoir l’instruction en famille, Rémy Daillet-Wiedemann se rapproche en 2014 de deux figures controversées : Farida Belghoul – une ancienne proche de Dieudonné – et Alain Escada, président du groupuscule catho-intégriste Civitas. Un an plus tard, il lance son site putschiste.

Putschisme et extrême droite

À l’époque, Rémy Daillet-Wiedemann choisit de ne pas dévoiler son nom. Mais l’idée a mûri. L’ancien centriste avance depuis l’automne 2020 à visage découvert. Après sa vidéo-annonce de putsch en octobre, il lance son groupe Telegram début novembre. En décembre, il appelle ses soutiens à participer à une manifestation devant Radio France pour « la libération de l’information ». Le discours verse dans le complotisme le plus total :

« Vous savez qu’il n’y a plus d’informations dans les gros médias, totalement entre les mains de gens qui ont décidé de vous dire comment penser et quoi croire. Et diffusant sans arrêt de la fake news de manière industrielle, cachant beaucoup de choses ! Il faut prendre ces médias, je vous y encourage vivement. »

Dix ans après avoir été viré du parti de M. Bayrou avec fracas, le putschiste arbore toujours la même barbichette que D’Artagnan, mais plus le même discours. Après avoir rempli un questionnaire pour rejoindre son mouvement, les nouveaux membres sont invités par un autre partisan à noter cinq personnalités, toutes d’extrême droite voire néonazies et d’un antisémitisme affiché : Alain Soral, Boris le Lay, Hervé Ryssen, Philippe Ploncard d’Assac et Vincent Reynouard. Les années centristes sont bien loin.

Bonne ambiance. / Crédits : DR

Contacté par StreetPress, Rémy Daillet-Wiedemann nous a expliqué que les réponses à nos questions se trouvaient sur ses différents sites.

_(1) Edit le 12/01/2021 : Des lecteurs nous ont signalé cette information après la publication.
(2) Le prénom a été modifié
(3) Edit le 11/01/2021 : Nous avions marqué que Rémy Daillet-Wiedemann avait été le chef de la section jeune du MoDem Haute-Garonne, il s’agit en réalité de la fédération départementale