06/07/2022

Échoppe négationniste, violences et magouilles

Frédéric Boccaletti, le député voyou du Rassemblement National

Par Christophe-Cécil Garnier

Le néodéputé Rassemblement national Frédéric Boccaletti a des casseroles. Beaucoup. Il a été condamné pour « violences en réunion avec arme », a pioché dans la caisse de son ancien parti, a tenu une librairie négationniste… Portrait.

« Le vrai visage de Frédéric Boccaletti. Celui d’un homme dégueulasse, pervers, misogyne, sexiste et raciste. » Sur son compte Facebook (1), le 15 juin, l’ancien militant du RN Sébastien Ausserre multiplie les adjectifs négatifs pour qualifier Frédéric Boccaletti, alors candidat du RN dans la septième circonscription du Var aux élections législatives. Pour appuyer ses propos, Sébastien Ausserre publie un échange par Messenger avec l’homme politique d’extrême droite qui date d’octobre 2017.

À l’époque, il est son collaborateur au conseil régional, et Frédéric Boccaletti lui envoie une vidéo pornographique dans laquelle une actrice sort de son anus un plug à tête de cochon. « Bon ramadan », commente Boccaletti. « Une vidéo très vulgaire », pointe Sébastien Ausserre auprès de StreetPress, qu’il estime être une insulte « envers les musulmans ». Pour ce maître-nageur, ce genre de messages auraient été envoyés « à de nombreux militants ».

Violences verbale

Ces posts sur les réseaux sociaux n’auront pas de conséquence sur l’élection législative. Le 22 juin 2022, Frédéric Boccaletti a posé sur les marches de l’Assemblée nationale avec les 88 autres députés du Rassemblement national. Jusque-là, le sudiste n’avait jamais gagné un scrutin en son nom propre. Municipales 2008, 2014 et 2020, législatives de 2012 ou 2017… Toutes lui avaient échappées.

Sébastien Ausserre a été le collaborateur au conseil régional de Frédéric Boccaletti. Le 6 octobre 2017 lui envoie une vidéo pornographique dans laquelle une actrice sort de son anus un plug à tête de cochon avec un commentaire : « Bon ramadan. » Face au contenu privé et pornographique, StreetPress a flouté l'image. / Crédits : DR

Le quadragénaire d’1m63 est un rouage essentiel du parti d’extrême droite dans le Sud. Alors qu’il a arrêté l’école en 5e et a enchaîné les petits boulots dans la cuisine, Frédéric Boccaletti n’a cessé de gravir les échelons du FN puis du RN. Il a été le directeur de campagne de toutes les élections régionales en Paca depuis plus de dix ans : en 2010 pour Le Pen père avec un certain succès puisque les deux hommes sont d’ailleurs élus au conseil régional ; en 2015, il officie pour Marion Maréchal Le Pen, et en 2021 pour Thierry Mariani. Il est à chaque fois réélu. Celui qui se décrit comme « fidèle, loyal, combatif » est aussi le président du groupe FN régional depuis 2017. Un homme bien installé en somme. « C’est un baron, un pur produit du RN et un admirateur de Jean-Marie Le Pen à ses tout débuts », énumère un observateur local. « C’est le parrain du coin », souffle une sudiste du RN. Un déserteur frontiste pose :

« On disait de lui que c’était le “préfet” de Marine Le Pen. »

Un chef à poigne. De nombreux témoignages récoltés par StreetPress pointent le caractère irascible de Frédéric Boccaletti. « Dès qu’il y a quelque chose qui ne va pas, c’est tout de suite l’attaque et l’agressivité », pointe un ancien responsable local. Sébastien Ausserre, le collaborateur qui a fait un post dénonçant le « vrai visage » de Frédéric Boccaleti, affirme par exemple avoir subi du harcèlement moral du boss varois. Il aurait fait « des commentaires sur mon physique, mes cheveux, mon visage, mon poids… », assure-t-il à propos de Boccaletti et se rappelle qu’il était « colérique, il piquait des crises de nerf ». Sébastien Ausserre finit par quitter le FN devenu RN en 2018 « à bout ».

Au sein du Rassemblement national, Frédéric Boccaletti est présenté comme un « gros bosseur ». Mais on critique également son caractère irascible. / Crédits : Facebook de Frédéric Boccaletti

Un tempérament éruptif confirmé à StreetPress par de nombreuses sources. « En réunion, très peu de personnes posent des questions. Moi, à la troisième que je posais, Frédéric Boccaletti partait en cacahuète. Il hurlait, il insultait. C’est la politique de la terreur », se rappelle un ancien militant et candidat local, présent sur la liste des régionales de 2015 qui évoque aussi un crachat lancé au visage d’une militante du FN après une réunion houleuse dans le Var en 2013. Laurent Lopez, ancien conseiller général et ex-ami de Boccaletti, se souvient lui, l’avoir vu « quasiment sauter sur la table pour essayer d’aller frapper Joëlle Melin [élue en 2022 députée RN dans les Bouches-du-Rhône]. Il était hors de lui ». Une scène confirmée par un autre témoin.

En prison pour « violences en réunion avec arme »

Avant d’être un inconditionnel du Rassemblement national, Frédéric Boccaletti a « trahi » le front. Alors qu’il est adhérent au FN depuis ses 21 ans en 1994 et a été secrétaire départemental adjoint du FNJ, il quitte le parti à la flamme en 1999 lors de la scission avec Bruno Megret et rejoint son Mouvement national républicain (MNR) de ce dernier. Là-bas, Frédéric Boccaletti a été accusé de piocher dans la caisse, comme l’a raconté une première fois Le Point en 2015. De nouveaux documents signés du trésorier adjoint du MNR, que s’est procuré StreetPress, attestent que Frédéric Boccaletti a prélevé « à ses fins personnelles » 6.500 francs, soit environ 990 euros, auxquels se sont ajoutés 7.440 francs (1.130 euros) de « frais et d’amendes suite aux chèques sans provisions et levé d’interdit bancaire ». L’histoire semble logiquement être restée en travers de la gorge de Megret. « Je n’ai rien à vous dire là-dessus », répond le sécessionniste quand on veut l’interroger sur le passage du transfuge.

Selon des documents que StreetPress s’est procuré, signés du trésorier adjoint du MNR en 2000, Frédéric Boccaletti a prélevé « à ses fins personnelles » 6.500 francs, soit environ 990 euros. / Crédits : DR

Le détail des comptes exposées par le trésorier adjoint du MNR en 2000. / Crédits : DR

Ou alors, il n’a pas digéré la mauvaise publicité liée à l’incarcération de Boccaletti en 2000, narrée par Libération à l’époque. Un soir de mois d’août, Frédéric Boccaletti colle des affiches à Six-Fours-les-Plages avec un autre militant megrétiste, Pierrick Boutroix. Le futur député et son comparse croisent cinq jeunes hommes. Frédéric Boccaletti va alors leur chercher des noises. S’ensuit une altercation où ils les traitent de « sales nègres », contre « sales fachos » pour les jeunes d’en face.

L’histoire se transforme en une course-poursuite en voiture, perdue par Boccaletti. Devant les jeunes, qui se seraient procurés une batte de baseball selon les deux militants d’extrême droite, Frédéric Boccaletti sort un flingue – sans permis de port d’armes – qu’il donne à son comparse. Ce dernier tire, dit-il, « en l’air ». Sauf que des impacts de balles sont découverts à hauteur d’homme, à 1m60 et 1m20 du sol. S’il n’a pas fait de victime, Frédéric Boccaletti est condamné pour « violences en réunion avec arme » à un an de prison, dont six mois ferme à la prison Saint-Roch de Toulon. Il n’y fait finalement que quatre mois, libéré « pour raisons de santé ».

Jusqu'à 2022, le Varois n’avait jamais gagné un scrutin en son nom propre, comme à l'élection législative de 2017 ou les municipales de 2020. Il a finalement été élu avec 52% des voix. / Crédits : DR

Touche pas au grisbi

Malgré la trahison et son passage par la case prison, Boccaletti réintègre les rangs du FN en 2009. Dès 2010, il prend la tête de la fédération du Var, fonction qu’il occupe jusqu’en 2018. Il en a fait à l’époque la plus grosse fédé du parti d’extrême droite. « Ce développement, on le lui doit ainsi qu’à son travail », soutient Aline Bertrand, ancienne protégée de Boccaletti au RN, passée chez Reconquête :

« C’est quelqu’un que je respecte beaucoup par son travail et les sacrifices qu’il a fait pour arriver là. »

« C’est un gros bosseur, il est très organisé et très malin », lui concède un de ses (nombreux) contempteurs. « C’est un militant chevronné. Un bon connaisseur du territoire, des institutions, des élus et des campagnes électorales », estime l’identitaire Philippe Vardon. Lui et Boccaletti s’apprécient, le second a par exemple nommé le premier vice-président du groupe à la région. Le duo a d’ailleurs mené la dernière campagne régionale ensemble. À Vardon la stratégie et la communication, à Boccaletti l’organisation et la logistique.

Mais à l’époque déjà, les critiques ne l’épargnent pas. StreetPress s’est procuré plusieurs courriers adressés par des militants FN entre 2010 et 2013 à la commission des conflits du parti. L’un d’eux traite Boccalleti d’« Hitler en herbe ». Un autre écrit que « c’est dans la nature de ce “petit monsieur” d’être une petite merde ». Des propos orduriers qui montrent à minima que l’homme est loin de faire l’unanimité dans son propre camp.

Dans son parti, certains du FN ont des mots très durs envers Frédéric Boccaletti. / Crédits : DR

D’autres critiques ciblent la transparence dans l’instance, qui ne serait pas de mise, et son obsession pour l’argent. Une ancienne membre du bureau départemental se souvient :

« Ce n’étaient que des histoires de pognons. Il ne cessait de dire : “Il faut faire des adhésions, il faut faire des adhésions”. En gros, faire rentrer l’argent au niveau des comptes. »

Pour cela, tous les moyens sont bons. Laurent Lopez, ex-plume du FN, ancien conseiller général de Brignolles et ex-meilleur ami de Boccaletti, se souvient d’une histoire en particulier. En 2015, le patron du Var veut que ses candidats aux élections départementales utilisent des tracts locaux. « À l’époque, le FN mettait une photo du candidat de Marine Le Pen et un texte qui était le même de Lille à Toulon. Avec intelligence, Frédéric Boccaletti me dit qu’il faut que nos candidats puissent traiter des problématiques du département. J’ai rédigé huit tracts avec des thématiques différentes, à disposition de chaque candidat », rembobine Lopez. Selon plusieurs anciens aspirants, la fédé en a profité pour faire un juteux bénéfice, en facturant aux candidats plus cher que ce que ça n’avait coûté. Pas de quoi énerver ces derniers, vu qu’ils étaient ensuite remboursés s’ils faisaient plus de 5%. « Je n’ai pas le sentiment que c’était illégal car il n’y avait pas de caractère obligatoire », souligne un ancien membre du Front.

La librairie Anthinea

Frédéric Boccaletti aurait le sens du commerce. En tout cas, il s’y est essayé. Depuis son entrée à l’Assemblée, les médias présentent le député comme le fondateur d’une librairie « connue pour proposer des ouvrages négationnistes ». L’épisode date d’un peu plus d’un an après sa première adhésion au FN, au mitan des années 90. La vingtaine, Frédéric Boccaletti reprend le stock d’une boutique de livres d’extrême droite au cœur de Toulon : la librairie Alaïs. Il renomme l’échoppe Anthinéa, en référence à un ouvrage de l’écrivain monarchiste et antisémite Charles Maurras, et créé aussi une société d’édition. C’est là qu’il rencontre Laurent Lopez, qui deviendra par la suite son confident. « Je l’ai connu tout jeune homme, c’est-à-dire qu’il avait encore des cheveux ! », se rappelle en rigolant l’ancien conseiller général frontiste. Il s’y rend chaque mois et devient « un des plus gros clients » de l’officine. De huit ans l’aîné du gérant, Lopez assure lire « de tout ». « Dans ma bibliothèque, il y a aussi bien du Marx, du Sartre, du De Gaulle ou du Hitler, car la culture se puise dans toutes les sources », argue-t-il.

En plus de la librairie Anthinéa, Frédéric Boccaletti lance également sa société d'éditions du même nom. Il y édite des livres comme celui de Charles Maurras. / Crédits : DR

S’il y a en vitrine des bouquins d’auteurs de gauche, le frontiste toulonnais dispose aussi d’ouvrages qui ne sont pas affichés « pour éviter les problèmes ». « Il y a des livres qu’il se procurait, qu’il commandait et qu’il proposait sous le comptoir », se souvient Laurent Lopez. Des ouvrages négationnistes par exemple ? « Si on peut considérer que Maurice Bardèche est négationniste… Oui, il en vendait », affirme Laurent Lopez. Pour autant, pas de quoi accuser le Varois d’être un fan de l’antisémitisme. Selon lui, il serait plutôt adepte des opportunités commerciales :

« Quand il voulait me charrier, il me disait : “Moi je vends les livres, toi tu les lis”. Ce que j’ai vu le plus feuilleter, c’est le Midi Olympique. Il est passionné de rugby, chacun sa culture. Les livres qu’il vendait, ça ne l’intéressait pas. »

En 2008, le Varois a pourtant invité Éric Delcroix, avocat de négationnistes comme Robert Faurisson, lui-même condamné pour contestation de crimes contre l’humanité en 1996, chez lui à Six-Fours-les-Plages. C’est lors de la quatrième université de rentrée du Parti Populiste – un éphémère groupuscule fondé par d’anciens megrétiste en 2005 dont il est délégué départemental – qu’il le convie aux côtés de Louis Aliot, Jean-Marie Le Pen mais aussi Alain Soral. Adhésion ou non à ces thèses, la radicalité du catalogue de sa librairie n’a pas fait décoller les ventes. À l’époque, son ami lui prête même de l’argent « pour boucler ses fins de mois ». Boccaletti est obligé de mettre la clé sous la porte en 1998. Ensuite, jusqu’en 2010, il connaît selon son ancien meilleur ami, une longue période de vache maigre. Il enchaîne les petits boulots. « Il a même, à certaines occasions, dû dormir dans sa voiture », rapporte Laurent Lopez qui a été son témoin de mariage.

En 2008, Boccaletti invite Éric Delcroix, avocat de négationnistes lui-même condamné, chez lui à Six-Fours-les-Plages, lors de la quatrième université de rentrée du Parti Populiste, dont il est délégué départemental. / Crédits : DR

Cumul des mandats

Il va ensuite vivre de la politique. Comme élu, mais pas seulement. Perfidement, plusieurs anciens du FN varois soulignent que Frédéric Boccaletti a été assistant parlementaire de l’eurodéputé FN, Dominique Martin, pendant un an en 2014-2015. Soit la période où l’office européen de lutte antifraude (Olaf) a des soupçons d’emplois fictifs sur plusieurs assistants du parti d’extrême droite, même si le nom de Frédéric Boccaletti n’est jamais sorti publiquement. En 2017, interrogé par le média StarVar-News sur le sujet, il parlait d’un « vrai » travail « d’assistant local » et promettait :

« Vous verrez cette affaire qui est arrivée en pleine campagne présidentielle, elle va se dégonfler, elle finira par un classement. »

Aujourd’hui Frédéric Boccaletti fait partie des 23 députés « sans profession déclarée » selon l’Assemblée nationale. Il n’est cependant pas sans fonction. Aujourd’hui, il est conseiller municipal de Six-Fours-les-Plages, conseiller communautaire de la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée et conseiller régional. Avec son mandat de député qui s’additionne, cela donne une confortable rente. « Il va être à la limite de l’écrêtement », compte Laurent Lopez. Un ancien cadre du RN dans le Var grince :

« Avec ces histoires [la condamnation, la librairie négationniste et les violences] , je ne m’explique pas comment la direction nationale a continué d’accorder sa confiance à ce type-là. »

StreetPress a demandé une interview à Frédéric Boccaletti, qu’il a refusé. Nous lui avons adressé une série de questions précises afin de lui permettre de nous donner sa version des faits. Il nous a répondu par SMS : « J’ai bien reçu votre mail qui comporte un grand nombre d’éléments erronés ou diffamatoires. (…) Mon avocat se chargera de vous faire une réponse après la publication de votre article ».

(1) Suite à ce post, le compte Twitter de Sébastien Ausserre a été bloqué. Pour le récupérer, il dit avoir dû supprimer sa publication, mais StreetPress a pu consulter la conversation initiale sur Messenger. Le post Facebook a lui été également supprimé pour cause de « spam ».

Illustration de Une par Nayely Remusat.