08/10/2025

Bruno Retailleau n'a pas réagi à cette ingérence étrangère

Dans le nord de la France, le parti britannique d’extrême droite Ukip revendique mener « une chasse aux migrants »

Par Jérémie Rochas

En juin ou en septembre, des militants du parti d’extrême droite Ukip ont agressé des personnes exilées près de Dunkerque. Ils entendent revenir régulièrement pour mener des actions de « chasse aux migrants illégaux ».

Ce 10 septembre et comme chaque nuit depuis 2021, l’équipe de maraudes littoral de l’association Utopia 56 sillonne les côtes du nord de la France pour venir en aide aux personnes naufragées à la suite de tentatives de départ vers l’Angleterre. Il est aux alentours de 4 h 10 lorsque les bénévoles sont appelés à se rendre en urgence rue des Alouettes à Grand-Fort-Philippe, une commune proche de Dunkerque devenue un spot de départ connu des traversées. Une vingtaine de personnes exilées les y attendent. Leur embarcation a été confisquée par la police quelques heures plus tôt. Mais ce n’est pas la seule raison de leur détresse : elles viennent d’être agressées en pleine rue par des militants d’extrême droite ultra-violents.

Une fois arrivés sur place, les bénévoles recueillent le témoignage d’une des victimes. Encore en état de choc, elle raconte avoir vu une dizaine « d’hommes blancs qui ressemblaient à des Anglais » sortir de plusieurs voitures. Les nervis auraient déboulé vers le groupe d’exilés en arborant les drapeaux de l’Angleterre et du Royaume-Uni avant de leur voler gilets de sauvetage et couvertures en hurlant toute leur haine. « Les hommes ont également tabassé certains membres du groupe en leur donnant des coups de poing à la tête et des coups de pied dans les affaires », relate la victime, dont le témoignage est retranscrit dans un signalement transmis au procureur de la République de Dunkerque le 18 septembre. Le parquet a depuis ouvert une enquête pour « violences aggravées ».

Agression raciste revendiquée

Le 30 septembre, une vidéo publiée sur X (anciennement Twitter) et YouTube par le parti d’extrême droite britannique, UK Independence Party (Ukip) — en français, parti pour l’indépendance du Royaume-Uni — corrobore le récit de l’agression. Une douzaine d’individus mettent en scène leur arrivée sur la côte française, réunis autour d’une banderole flanquée de croix catholique et d’un slogan xénophobe :

« Les envahisseurs islamistes ne sont pas les bienvenus en Angleterre. »

Les séquences sont saccadées et rythmées par des cris de « You shall not pass » (« Vous ne passerez pas »), ajoutés en voix off. Dans cette parodie raciste du « Seigneur des Anneaux », des hommes vêtus en noir retirent les couvertures des personnes exilées endormies à même le sol et les éblouissent avec des flashs stroboscopes. L’un des militants les menace de ses poings avant que la vidéo se coupe. Plusieurs extraits ont été enregistrés rue des Alouettes, à Grand-Fort-Philippe, comme relaté par le signalement du 10 septembre.

Nick Marcel Tenconi, le leader de l’Ukip à l’initiative de cette action, entend mener « une chasse aux migrants illégaux » dans le nord de la France. Il s’est notamment fait connaître pour sa participation aux émeutes racistes en Angleterre en août 2024 durant lesquelles des mosquées et des centres d’accueil pour réfugiés ont été pris pour cible. Le 8 août, Tenconi s’illustrait par un salut nazi lors d’une manifestation anti-immigration organisée devant un hôtel mobilisé par le gouvernement pour l’accueil des demandeurs d’asile à Portsmouth, une ville portuaire au sud de l’Angleterre. Comme Elon Musk, il avait dénoncé un amalgame et justifiait son geste comme « une démonstration de défiance » envers « un gouvernement corrompu et anti-chrétien ».

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Si les représentants démissionnaires du gouvernement, comme l’ancien ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, n’ont pas réagi à cette ingérence étrangère, le préfet local prendrait l’affaire au sérieux selon plusieurs associations humanitaires interrogées. Le maire de Grand-Fort-Philippe, Sony Clinquart, a lui réagi au micro de France 3. Il s’est alarmé d’une « montée de la violence » et d’un territoire « au bord de l’explosion ».

Un potentiel retour des militants à la frontière

Tenconi n’en est pas à son coup d’essai. Au début du mois de juin, il était venu avec plusieurs autres militants d’extrême droite à Calais pour lancer sa campagne « Stop the boats » qui a permis au parti xénophobe de réunir plus de 18.000 livres sterling sur les 50.000 attendues (environ 20.750 euros sur 57.670 euros). Leur objectif : maintenir une présence dans le nord de la France pour intercepter les embarcations. Équipé de gants coqués et d’un haut-parleur, il avait fait le tour des lieux de vie en insultant les bénévoles associatifs et les personnes exilées pendant des heures.

Dans la cour de l’accueil de jour du Secours catholique de Calais, bénévoles et personnes exilées n’ont rien oublié du passage de Tenconi. « Pendant plus d’une heure, ils sont restés devant le portail et ont accusé les réfugiés d’être des criminels », se souvient Adem (1), un exilé éthiopien qui a été interpellé personnellement par Tenconi. Il insiste :

« Je ne lui ai pas répondu, il essaie juste de diviser les gens mais il n’y arrivera pas. »

Il est en transit dans le Nord depuis sept mois. « C’était très stressant comme situation, ils étaient habillés tout en noir. Ils étaient prêts à se battre et ont fini par insulter une grande partie de l’équipe. Notre priorité, c’était de préserver les personnes à l’intérieur de l’espace de répit qu’on essaie de créer », ajoute Léa Biteau, responsable de l’accueil de jour du Secours catholique de Calais.

La cagnotte lancée par l’Ukip inquiète les associations qui craignent le retour des militants xénophobes à la frontière, comme l’explique Jade Lamalchi, directrice de l’Auberge des migrants :

« Fin septembre, nous avons constaté à deux reprises que des Anglais suivaient nos bénévoles en voiture. On se demande s’ils ne faisaient pas des repérages pour préparer leur retour. »

Pression raciste

Les associations constatent une multiplication des actes racistes à la frontière. En juillet 2024, un autre militant d’extrême droite britannique, Alan Leggett alias Active Patriot sur X, s’était rendu à Calais avant de lancer sa campagne « Stop the boats ». Comme Tenconi, il avait appelé sa communauté à le rejoindre pour « chasser les migrants ».

Les initiatives britanniques semblent donner des idées à l’extrême droite française. Le 1er septembre, les groupuscules identitaires rouennais « les Normaux » et lillois « Nouvelle droite » ont posé, sur le littoral, avec des banderoles « Stop the boats » et « Soutien à Tommy Robinson » — figure de l’extrême droite britannique islamophobe et ancien conseiller de l’Ukip. En parallèle, les actes de vandalisme se multiplient.

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« En septembre, on retrouvait de la colle ou des excréments dans nos serrures au moins une fois par semaine. On porte plainte à chaque fois, mais cela nous inquiète de savoir que notre lieu a été identifié par les groupes d’extrême droite anglais et français », insiste Léa Biteau du Secours catholique. Du côté de l’association Calais Food Collective, les bénévoles ont recensé huit actes de sabotage en septembre. Des cuves d’eau mises à disposition des personnes exilées ont été retrouvées lacérées, contaminées ou recouvertes de graffitis racistes.

(1) Le prénom a été modifié.

Illustration de Une par Caroline Varon.