Dans le commissariat parisien du 20e, un policier a photographié, partiellement nues, six femmes gardées à vue ou plaignantes, et en a agressé deux sexuellement, dont une mineure. Radié, il a été condamné à trois ans de prison, dont deux avec sursis.
« Pouvez-vous avoir un mot pour ce qu’a pu ressentir une jeune fille de 15 ans en garde à vue dans une situation de vulnérabilité face à un policier qui la prend en photographie et lui touche la poitrine ? », assène, exaspérée, après deux heures de débat, une juge assesseure de la 10ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ce 20 octobre, Johan A., 38 ans (2), ancien policier, a été condamné à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis pour « agressions sexuelles par personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction » et « violences sans incapacité » sur six femmes au sein du commissariat du 20e arrondissement de Paris, entre octobre 2019 et août 2020.
Affecté à sa demande en 2017 à la signalisation (service de prise d’empreinte et de photographie) — alors qu’il souffrait d’une addiction aux « photos de charme » —, il profitait de son statut pour photographier des femmes gardées à vue ou plaignantes. Il leur demandait de se déshabiller, presque entièrement, allant jusqu’à toucher la poitrine de deux d’entre elles : une mineure de 15 ans et une quinquagénaire sous curatelle renforcée.
Le tribunal a justifié la peine tant par la « gravité » et la « répétition » des faits — étalés sur dix mois — que par les « conséquences pour les personnes concernées » et la « difficulté à élaborer sur sa pleine responsabilité » de la part de l’ex-policier. La partie ferme de la peine a cependant été aménagée sous la forme d’un bracelet électronique pour lui « permettre de continuer ses activités et son travail ».
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L’ancien fonctionnaire, radié en janvier 2023 de la police nationale, est désormais préparateur en pharmacie. Il est définitivement interdit d’être policier ou gendarme, d’exercer dans la fonction publique pour cinq ans et est inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. Il doit verser 4.000 euros à chacune des deux victimes agressées, qui se sont constituées partie civile. Il n’a pas fait appel, a indiqué son avocate.
« C’est à lui d’avoir honte »
« J’ai fait beaucoup de cauchemars, j’en fais toujours », raconte Gina C. (1), la première victime identifiée, à la barre. En octobre 2019, alors âgée de 15 ans, elle est placée en garde à vue pour détention de stupéfiants où elle se fait agresser. Johan A. s’enferme avec elle dans une salle du commissariat puis, comme le veut son affectation, photographie son visage pour alimenter le fichier des « traitements des antécédents judiciaires » (TAJ).
Comme pour toutes ses victimes, le policier lui demande ensuite de se déshabiller au prétexte de devoir photographier ses « particularités ». La concernant, ce sont des taches sur la peau et des vergetures. Dans une attitude que Gina C. décrit comme « perverse et bizarre », Johan A. prend plusieurs clichés de la poitrine de l’adolescente — sans soutien-gorge —, ainsi que de ses jambes et de son postérieur. C’est alors qu’après avoir pris ses empreintes, le fonctionnaire lui presse d’une main le sein et lui dit : « T’es bien faite. »
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De retour dans sa cellule, Gina C. pleure. Elle ne parle à personne de ce qui vient de lui arriver. Dans les six mois suivant l’agression, elle perd 20 kg, ce qui inquiète ses professeurs. Après six ans de difficultés affectives découlant de cette agression, elle dénonce les faits pour la première fois en mars par un message anonyme sur la plateforme officielle de signalement « Arrêtons les violences ». Il faudra deux mois et demi supplémentaires aux enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale pour la retrouver via son adresse IP et la convaincre de déposer plainte. Elle explique devant trois magistrates :
« J’en avais marre d’aller mal. C’est à lui d’avoir honte, mais c’est moi qui avais honte. »
Le jour du procès, elle se confie sur ses cauchemars persistants, son « refus de tout contact physique » et ses « tics » qui reviennent à l’évocation des événements. Elle dit avoir du mal à « accepter [son] statut de victime ». A-t-elle été la première ? L’ancien policier répond d’une voix à peine perceptible : « Je pense que oui. »
« J’étais paralysée »
Dix mois après l’agression de Gina, une autre femme s’exprime pour la première fois, alors que Johan A. est en poste à la signalisation depuis plus de deux ans. Fin juillet 2020, Aziza S., quinquagénaire, est placée en garde à vue dans ce commissariat pour des faits de violences avec arme. Dès son arrivée, elle indique aux policiers faire l’objet d’une curatelle renforcée pour un trouble de la personnalité limite, dite borderline.
À l’issue de son placement en dégrisement, Johan A. l’emmène dans une pièce à part — alors que deux policières auraient, d’après Aziza S., déjà effectué sa signalisation. Là, c’est sous le motif de rechercher des traces de coups qu’il lui demande de retirer son chemisier. Puis, il prend plusieurs photos de sa poitrine et lui touche longuement les seins. « Avec sa main droite, il pinçait, pressait comme pour essayer de faire sortir le téton, comme s’il m’auscultait comme un médecin », témoigne-t-elle dans sa plainte, se disant « terrorisée ».
À la barre, Aziza S., dont la curatelle a été levée depuis, témoigne de l’angoisse ressentie.
« J’avais mal au ventre, j’étais paralysée, j’avais peur d’être violentée. »
Elle poursuit : « Je me suis dit qu’on n’allait pas me croire, qu’il allait inventer un acte de violence. » À l’époque, en pleurs, elle tente de lui faire prendre conscience de ses actes, en dressant un parallèle avec les violences sexuelles subies lors de son enfance. La réponse du policier : « La famille, c’est important. » Dans sa plaidoirie, l’avocat de la victime, maître Khaled Elachi, dénonce « une double violence ». « Le paradoxe, la honte, c’est de subir une agression dans un lieu où on est censé être protégé. » Il continue :
« On se rend compte de la puissance de l’uniforme, de ce que ça implique en terme de pression quand elle se retrouve seule à seule avec un policier. »
Son cas est loin d’être isolé. Entre 2012 et 2025, le média Disclose , dans un article publié en juin, a identifié 30 femmes victimes de violences sexuelles par des policiers et gendarmes en service lors d’un contrôle d’identité ou d’une interpellation.
Gardées à vue et victimes de violences
Dans la foulée, Aziza S. parle de son agression à son avocat puis à l’officier de police judiciaire chargé de l’auditionner. Une information judiciaire est ouverte et identifie, dans les dix mois séparant les deux victimes d’agressions sexuelles, quatre autres femmes restées dans le silence mais dont les photos dénudées — pour certaines supprimées — sont retrouvées sur la carte mémoire de l’appareil ou dans le TAJ.
Ainsi, début mai 2020, une victime de violence conjugale — « extrêmement fragile », relève la procureure — souhaitant déposer plainte au commissariat, se retrouve photographiée en sous-vêtements, au motif d’un bleu sur la fesse gauche. D’après sa plainte, le policier lui aurait également pincé la fesse en lui demandant de retirer son jean — ce qu’il nie. Pour photographier les bleus au ventre et au bras d’une autre victime, placée en garde à vue à la suite d’une dispute familiale où elle aurait été frappée par ses parents, Johan A. lui demande de se dévêtir. Il ne l’interrompt pas quand elle se retrouve en culotte, gênée au point de devoir se cacher la poitrine avec les mains.
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Fin mai 2020, au prétexte d’un tatouage au thorax sur une autre gardée à vue, là encore presque nue, le policier prend onze clichés en gros plan de sa poitrine. Des photos que Johan A. justifie devant le tribunal par « un nouvel appareil photo [qu’il] ne maîtrisait pas et un local très mal éclairé ». Comme la précédente, elle n’a pas souhaité déposer plainte de peur d’être impliquée dans une nouvelle procédure. Fin juin, un mois avant d’agresser et d’être dénoncé par d’Aziza S., il réitère en disant à une cinquième victime, après l’avoir prise en photo, qu’elle est « bien foutue ».
Des photos que Johan A. n’avait pas le droit de prendre en tant que simple adjoint de police judiciaire. Car la doctrine de la police scientifique, en plus de proscrire formellement la prise de photo d’une zone intime telle que « les zones sexuelles, les fesses et la poitrine », prévoit que les particularités qui y sont situées ne peuvent être retranscrites que par écrit. Et, même dans ce cas, « qu’avec l’accord de la personne concernée » et seulement par un officier de police judiciaire de même sexe. Des consignes confirmées par deux de ses collègues interrogés par les enquêteurs et, d’après la procureure, parfaitement connues de Johan A. Pour ces faits où il n’a pas touché le corps des victimes, l’agent est condamné pour « violences sans incapacité », en raison de l’impact psychologique qu’il a eu sur elles.
Peu d’introspection
Toute la pédagogie du tribunal n’a pas suffi à Johan A. pour montrer aux juges, au-delà des excuses, un raisonnement profond sur la cause et la gravité de ses actes. Depuis les faits, le Réunionnais (2), entré dans la police nationale en 2015 et chrétien évangéliste depuis tout aussi longtemps, a perdu beaucoup de poids. À la barre, renfermé sur lui-même, il parle dans un langage tantôt religieux, tantôt presque enfantin, de « grosse bêtise », d’une « erreur », de « curiosité mal placée » et d’avoir « cédé à ses tentations ».
Mais face aux questions du tribunal qui l’invite à plusieurs reprises à « réfléchir » à ses termes et aux conséquences pour les victimes, il peine à comprendre, demande qu’on reformule, hésite longuement et répète qu’il « ne sait pas ». « Une quarantaine de fois » a compté Emma Fragnat, l’avocate de Gina C.. Même son propre conseil, maître Soukaïna Mahzoum, « ne le reconnait pas » et déplore des « réponses [qui] n’ont aucun sens ». « Quand on vous demande pourquoi, vous êtes évasif. Il va falloir que les mots sortent », s’énerve-t-elle en fin de journée, dans une ultime tentative de révéler chez son client une lueur d’introspection.
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Car une affaire après l’autre, le tribunal est rapidement exaspéré par l’ambivalence de l’ancien fonctionnaire. D’un côté, il reconnaît avoir « profité » de ses fonctions et réitère ses « demandes de pardon » aux victimes qu’il a touchées. De l’autre, il répète avoir photographié de manière « professionnelle » et n’avoir fait preuve que « d’initiative » — faute, selon ses dires, d’effectif féminin disponible. Il assure n’avoir « eu conscience » ni de la position que lui conférait son statut de fonctionnaire de police vis-à-vis des gardées à vue mineures ou vulnérables ni que ses actes « caractérisaient une infraction ». Comme lui, son avocate plaide la bonne foi.
Névrose obsessionnelle
Il maintient que son addiction aux « photos de charme », dont il souffre depuis l’adolescence, n’a pas motivé le choix de ce service qu’il a rejoint pour « monter en grade » et gagner ainsi la police scientifique. Une position intenable pour le ministère public :
« Vous avez demandé un changement de poste pour vous permettre d’assouvir vos pulsions. »
« Vous êtes conscient de vos tentations et à aucun moment vous en référez à quiconque pour demander de changer de service ou trouver une issue. » Au-delà des photos de parties intimes, la nature des clichés a d’ailleurs soulevé l’interrogation du tribunal. Pris en plongée et de manière à laisser apparaître tout le corps des victimes, certains revêtent un caractère « très sensuel », relève une juge assesseure qui se demande si le policier n’a pas tenté de reproduire certaines images qui nourrissent son addiction.
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Son expertise psychiatrique réalisée en 2020 relève une « névrose obsessionnelle », un trouble dans lequel le « refoulement » des faits est un « fonctionnement majeur », note le médecin. En octobre 2021, moins d’un an après le début de son contrôle judiciaire lui imposant des soins, Johan A. met fin à son suivi « d’un commun accord » avec son psychiatre — qui ne peut nullement l’exonérer de cette mesure judiciaire. Devant les juges « peu rassurés », celui qui « parlait de Dieu à quasiment chaque gardé à vue » affirme que son trouble est désormais « réglé » :
« Je crois à la repentance, que Dieu peut nous pardonner chacune de nos fautes. […]. La foi me suffit. »
En complément du placement sous bracelet électronique, la partie avec sursis de sa peine est assortie d’une obligation de suivre des soins durant cinq ans.
(1) Le prénom a été modifié
(2) Modifications apportées le 31 octobre à 15h21 : Nous avions d’abord écrit que le policier était Martiniquais et âgé de 28 ans.
Illustration de Une par Mila Siroit.
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