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« On nous a juste dit que ce financement, versé via le Fond interministériel de prévention de la délinquance, n’était pas pérennisé à ce jour et qu’il n’y avait pas les moyens de financer ces formations, sans aucune autre explication malgré nos demandes. »
Diplomate, la présidente du CHA voit dans cette situation « le résultat d’un budget insuffisant et non d’un manque de volonté à agir des forces de l’ordre sur le sujet des violences faites aux femmes ». Pourtant d’après les informations du Secrétariat général-Comité interministériel de prévention de la délinquance (SG-CIPDR) qui gère le fonds éponyme au sein du ministère de l’Intérieur, « il appartient à chaque préfecture de sélectionner les projets et structures bénéficiaires de ce soutien dans leur territoire ». Quant au montant du fond, il s’élève à 52,7 millions d’euros pour cette année au niveau national (1). La Préfecture de Police de Paris, elle, n’a pas répondu à nos sollicitations pour s’expliquer de ce non-renouvellement à l’heure actuelle.
Un dispositif de formation face aux défaillances
Une décision déconcertante, alors qu’une série d’enquêtes menée par Disclose révèle l’ampleur des violences sexuelles commises par des policiers et des gendarmes : 215 fonctionnaires auraient usé de leur pouvoir pour agresser sexuellement et violer des collègues, des gardées à vue et des victimes venues déposer plainte. Déjà en 2019, un rapport commandé par la préfecture de police de Paris au CHA, pointait les multiples défaillances des forces de l’ordre franciliennes quant à la prise en charge des violences conjugales et sexuelles. Évoquant pêle-mêle, « une prise en charge incomplète des plaintes et l’absence d’actes d’investigation, un repérage limité aux violences physiques, des postures professionnelles inadaptées et peu bienveillantes, la persistance de clichés sur ‘’la bonne victime’’,… » (2). Un rapport que la préfecture n’avait d’abord pas publié, avant d’y être obligée sous la pression des associations féministes.
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En réponse, le conseil régional avait missionné le CHA pour élaborer un projet de formation des polices municipales, nationales et de la gendarmerie au niveau francilien – ce qui relève de la compétence du ministère de l’Intérieur. « On a conçu un module de formation qui sert de cadre pédagogique unitaire, aux 24 associations franciliennes d’aide aux victimes, partenaires du projet, qui animent les stages des forces de l’ordre de leur secteur », détaille Maxime Gosset, chargé du projet formation au CHA qui « gère les volets financiers et administratifs ».
Le dispositif du CHA était depuis sur de bons rails. Après avoir obtenu que l’État participe à son financement, la région a pérennisé en 2022 sa subvention pour assurer spécifiquement la formation de la police municipale. Et surtout, le 25 novembre dernier lors de la présentation du bilan du projet, l’éphémère ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes Salima Saa s’était engagée à « développer la formation de toutes et tous les professionnels au contact des victimes, en mettant l’argent nécessaire », selon Charlotte Baelde :
« Notre bilan évoquant les axes d’amélioration dans la prise en charge des affaires et ses discussions avec les associations partenaires l’avaient convaincue de cet enjeu crucial. »
« Éviter des féminicides »
« On constate une vraie montée en compétences des stagiaires sur les mécanismes des violences, leurs effets psychologiques sur les femmes, la connaissance des associations… qui se répercute sur les pratiques professionnelles en termes d’accueil des victimes et de recueil de la parole », assure Maxime Gosset. « Même si des stéréotypes que nos formations déconstruisent peuvent persister chez certains membres des forces de l’ordre. » Lucile Marty, coordinatrice régionale pour les Centres d’information des droits des femmes et des familles franciliens (CIDFF) – dont huit antennes participent au projet (4)–, le confirme :
« À l’issue des stages, les personnels formés vont nous solliciter plus facilement et nous orienter plus de victimes à accompagner. Ça se passe mieux aussi lorsqu’une femme qu’on suit dépose plainte. »
D’après le bilan réalisé par le CHA (3), 98% des stagiaires se disent satisfaits de cette formation, et beaucoup voudraient la rendre obligatoire pour l’ensemble des forces de l’ordre.
« Il y a nécessité à inscrire ce projet dans un temps long. On a formé environ 3.200 fonctionnaires entre 2021 et 2024 sur un territoire qui en compte plusieurs dizaines de milliers. S’ajoute un gros turn-over, avec des agents et agentes qui peuvent après avoir été formés être affectés à des services sans lien avec les violences de genre », plaide Maxime Gosset. Charlotte Baelde espère encore « voir la préfecture renouveler sa subvention lors du budget rectificatif » sans trop se faire d’illusions vu les baisses de subventions subies par les associations féministes de terrain. Alors, elle multiplie les rendez-vous pour trouver d’autres sources de financement :
« Pour 2025, on va assurer toutes nos formations, notamment celles de la police municipale. Le vrai danger sera pour 2026. Alors que la formation des forces de l’ordre, ça permet de faire la différence dans la prise en charge des victimes et donc d’éviter des féminicides. »
(1) Selon la circulaire du FIPD 2025, du ministère de l’Intérieur.
(2) Selon le diagnostic collaboratif sur l’accueil des femmes victimes de violences conjugales et/ou sexuelles et l’évaluation du danger, mené par le Centre Hubertine Auclert en 2019
(3) Selon le bilan du projet régional de formation en 2023, publié par le Centre Hubertine Auclert en 2024.
(4) Edit le 30/06/25 : Nous avions écrit que trois antennes participaient au projet. Il y en a en réalité huit.
Illustration de Une de Caroline Varon.