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    27/02/2023

    « C’est un monde où ceux qui parlent sont pointés du doigt »

    Un policier condamné pour harcèlement sexuel et agressions sur cinq de ses collègues

    Par Christophe-Cécil Garnier , Aurelie Garnier

    Au tribunal de Paris, le brigadier Michel G. a été condamné pour avoir harcelé ou agressé sexuellement cinq policières. Ses collègues comme sa hiérarchie ont couvert l’agresseur, jusqu’à ce qu’une brigadière-cheffe s’empare de l’affaire.

    Tribunal de Paris, salle d’audience 4.03 – Fanny agrippe fort les épaules de Laëtitia avec ses mains. Elle a beau être moins grande avec son mètre soixante-cinq, la blonde à frange ne lâche pas sa voisine. Elle ne veut pas qu’elle vacille alors que l’audience touche bientôt à sa fin. Elle sait que c’est dur. Elle a vu Laëtitia éclater en sanglots en répondant aux questions des trois femmes juges, puis s’excuser plusieurs fois pour ses larmes.

    Fanny et Laëtitia (1) témoignent ce 19 janvier 2023 pour des faits que la justice impute à leur ancien collègue Michel G. Ce fonctionnaire de police au petit bouc et à la calvitie naissante est poursuivi pour agression et harcèlement sexuel par « personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction ». Entre 2017 et 2019, l’homme au blouson de cuir a multiplié les « propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste imposés de façon répétés » envers cinq de ses collègues policières. Une attitude qui semblait « tellement normalisée et banalisée » au sein du service, se remémore Fanny. Laëtitia renchérit :

    « Tout le monde savait qu’il était comme ça. »

    Michel G., ses collègues, et même des chefs font passer ça sous une forme d’humour. Un comportement qui a pourtant amené Fanny à faire une tentative de suicide, également ostracisée par ses collègues quand elle a révélé son harcèlement sexuel. Laetitia, elle, en a tiré beaucoup d’angoisses. Lors de son réquisitoire, la procureure a salué leur « courage » ainsi que celui des trois autres victimes, absentes de l’audience :

    « Ce dossier met en lumière un monde grivois où l’ambiance police permet tous les excès. C’est un monde en vase clos où ceux qui parlent sont pointés du doigt. »

    « Celle-là, je me la retournerais bien, elle a un bon cul »

    C’est fin juin 2019 que Fanny débarque dans ce « monde » : la quatrième compagnie centrale de circulation de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC). Il s’agit des compagnies motocyclistes de la préfecture de police qui escortent les hautes personnalités – comme le président de la République –, ou participent au maintien de l’ordre en transportant les BRAV-M. Fanny est mise en garde par une collègue sur le comportement de Michel G. dès sa première vacation au Parc des Princes.

    Très rapidement, il tient sa réputation. « Celle-là, je me la retournerais bien, elle a un bon cul », a-t-il pu lancer à son égard. Ou encore : « Je préfère quand les effectifs féminins sont devant moi, j’ai une meilleure vue. Donc passe devant. » Après une cérémonie qui célèbre la fin d’une formation à Sens (89), il glisse à Fanny qu’elle était « mignonne avec [sa] petite robe ». La situation s’aggrave même quand Michel G. découvre qu’elle est en couple avec un policier. Le responsable rabaisse son compagnon :

    « Ton mec ne doit pas te satisfaire au lit, il t’en faut un comme moi pour te faire grimper aux rideaux. »

    Une autre gardienne de la paix note que Michel G. se montre « étouffant » envers Fanny. Mais les propos et le harcèlement du plus ancien des brigadiers de la compagnie provoquent peu de réactions autour d’elle. « La situation semblait s’être banalisée », détaille la fonctionnaire aux enquêteurs. Face à cette indifférence, Fanny n’a pas avisé sa hiérarchie. Devant la cour, l’agente résume :

    « J’ai eu l’impression que c’était à moi de m’adapter. »

    Ostracisme et tentative de suicide

    Au bout de plusieurs mois de harcèlement, Fanny envisage de se suicider avec l’arme de service de son conjoint. C’est l’élément déclencheur. Elle qui avait « peur de passer pour une délatrice », décide de faire un rapport à la sortie de l’été pour dénoncer le harcèlement sexuel de Michel G. et demande à ne plus travailler avec lui. Ses craintes sont justifiées : Fanny est ostracisée après cet écrit par ses collègues et ses supérieurs. De nombreuses personnes de son service ne lui adressent plus la parole. D’autres sortent des petites phrases comme :

    « Attention, Fanny arrive, on ne peut plus rien dire. »

    Elle a peu de soutien de la part de sa hiérarchie. Lors d’un entretien avec son commandant, celui-ci lui demande de « s’endurcir ». Fanny développe « un sentiment de culpabilité », selon l’enquête, qui a à nouveau des conséquences sur sa santé et son moral. Avec cette mise au ban, Fanny a de nouvelles pensées suicidaires et tente de mettre fin à ses jours avec des médicaments.

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    Au bout de plusieurs mois de harcèlement, Fanny a pensé mettre fin à ses jours. / Crédits : Aurelie Garnier

    Une enquête a pourtant été lancée après son rapport, par Émilie C. la supérieure de Fanny et de Michel G. Celle-ci dénonce le manque de professionnalisme du brigadier et critique un « fonctionnaire têtu avec un fort caractère ». Un de ses collègues pointe qu’il parle « souvent de sexe et fait des blagues salaces sans gêne ». « Il décidait d’arrêter quand il l’avait décidé » soutient cet agent. Plusieurs des policières du service ont déjà demandé à Michel G. d’arrêter, l’IGPN l’a même recadré trois fois pour des propos déplacés. Pourtant, Michel G. n’a jamais fait l’objet d’une procédure disciplinaire dans sa carrière. Mais cette fois, le motard est changé de compagnie en octobre 2019.

    Le harcèlement de Laëtitia

    Au moment des révélations de Fanny, la hiérarchie de Laëtitia lui demande de faire à son tour un rapport sur ses relations avec le fonctionnaire harceleur. Elle évoque des « propos inappropriés », sans plus de détails. Ce n’est qu’un an après, lorsqu’elle passe devant l’IGPN, qu’elle déballe tout ce qu’elle a vécu. « Elle a été entendue pendant six heures par une très bonne fonctionnaire de police qui a compris qu’elle avait également été victime de harcèlement », raconte maître Juliette Daudé, l’avocate de Laëtitia.

    Le sien commence rapidement après son arrivée, en avril 2019, quelques mois avant Fanny. Laëtitia a un accident dès la première semaine de son stage de permis moto. Elle est mise en arrêt et ne reprend le travail dans la brigade qu’en juin. Michel G. est « le seul » de sa hiérarchie à prendre de ses nouvelles. « Il voulait me redonner confiance sur la moto », retrace Laëtitia devant les juges, des sanglots dans la voix. « Il a commencé à instaurer avec elle un rapport d’amitié et de confiance », détaille son avocate. Mais il prend rapidement ses aises et va « sur un terrain qui n’est pas professionnel », avec des SMS très tendancieux dès le mois de mai. Alors qu’ils n’ont même pas travaillé ensemble une semaine. Quand elle reprend le service, cette amitié se développe. « Elle est jeune, elle débutait dans la profession, elle ne s’est pas méfiée donc elle a pu le prendre dans ses bras mais ça n’allait pas plus loin », rembobine maître Daudé.

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    Fanny craignait qu'en parlant contre Michel G., elle passerait pour une « délatrice ». Ses craintes sont justifiées : ses collègues l'ostracisent. / Crédits : Aurelie Garnier

    Le harcèlement de Michel G. s’aggrave. Lors d’un point de circulation, il lui glisse qu’il va lui « bouffer la chatte ». Il lui envoie aussi de plus en plus de messages à connotation sexuelle et ne fait pas mystère de son envie d’avoir des relations sexuelles avec elle. Il lui dit qu’il va venir « lécher la selle », après qu’elle soit passée sur une moto, lui écrit : « Rêve pas trop de moi, sinon tu vas mouiller ta culotte », lui envoie une image pornographique ou une autre qui dépeint une « olive » – un doigt dans les fesses. Chaque fois, elle n’entre pas dans ce jeu, répond « non merci » ou « ahah », utilise des smileys ou laisse ses messages en « vu ». Ça n’empêche pas Michel G. d’évoquer un « jeu de séduction » entre eux au tribunal. Devant la cour, Laëtitia a une autre explication :

    « C’est compliqué de dire à un ami : “Tu ne me plais pas”. Je ne voulais pas le vexer. J’ai l’impression d’avoir tout fait. »

    Une agression sexuelle non retenue par la justice

    « Ça reste son supérieur hiérarchique », relève maître Juliette Daudé. D’autant que Michel G. continue entre tous ces messages d’être dans un rôle amical et de mentor. Juste après un WhatsApp scabreux, il peut enchaîner avec des conseils. C’est encore pire en septembre, alors que Fanny vient de dénoncer son harcèlement et est ostracisée par la brigade. Laëtitia essaie à ce moment d’avoir un nouveau stage de moto après s’être blessée au premier. Michel G. lui soutient qu’il peut l’aider. Laëtitia l’a pourtant prévenu. « Mes règles, tu les connais, amical et c’est tout », lui a-t-elle envoyé. Ce à quoi il a répliqué : « Et si je mets mon sexe à l’intérieur de toi, est-ce que ce serait un geste amical ? » Devant la cour, Laëtitia pleure :

    « J’ai souligné qu’il avait une compagne, que moi aussi j’avais quelqu’un. Je ne sais pas ce que j’aurais pu faire de plus. Je pensais que j’avais le contrôle de la situation. Mais je n’ai pas réussi. »

    S’il est autant désinhibé, c’est qu’il croit qu’elle serait consentante. À l’été, lors d’une mission en binôme avec Laëtitia dans un parking, il a mis sa main dans son pantalon et a commencé à l’embrasser. La policière aurait été « saisie », selon son avocate. « Elle ne le repousse pas, elle s’est complètement dissociée. » L’agression sexuelle contre Laëtitia ne sera pas retenue.

    Le harcèlement stoppe lorsque Michel G. est écarté de la compagnie. Mais Laëtitia « n’est pas bien ». Elle ne sait pas pourquoi, à l’approche du commissariat, elle devient « crispée ». « C’était dur, je me mettais à trembler et à pleurer. Je n’arrivais pas à parler », lâche-t-elle devant les juges. Son avocate détaille : « Elle sort juste de cette relation, elle a du mal à réaliser que ce qu’elle a vécu n’est pas normal – c’est assez classique – et que ce n’est pas de sa faute, qu’elle n’a pas à avoir honte. » Laëtitia est mise en arrêt pendant deux mois.

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    L’agression sexuelle contre Laëtitia ne sera pas retenue. / Crédits : Aurelie Garnier

    Les trois autres victimes

    En plus de Fanny, elle entend parler des autres victimes de Michel G. Entre 2017 et 2018, Audrey (1) est à une table lors d’une pause café lorsque Michel G. caresse sa cuisse « sans la regarder ni lui parler à quelques centimètres du sexe », narre la présidente du tribunal. La gardienne de la paix se lève immédiatement et l’engueule. Elle n’aurait pas avisé sa hiérarchie, car les excuses de Michel G. « paraissaient sincères ». En 2018, Sandra (1) est en train de rédiger un PV dans la salle de rédaction de la compagnie avec un sous-brigadier. En fin de service, Michel G. entre dans la pièce et se place derrière Sandra. Il lui lèche alors l’oreille « avec insistance du bas vers le haut ». « Choquée et surprise », elle lance :

    « Qu’est-ce que tu as fait là ?! C’est dégueulasse, ne recommence pas. »

    Là encore, Michel G. se serait excusé platement. Pour Sandra, ce geste est incompréhensible, car il n’y avait « aucune ambiguïté » entre eux.

    Les faits dénoncés par Nathalie (1) remontent quant à eux au 12 juin 2017. Alors que l’appel de la compagnie touche à sa fin, cette adjointe de sécurité se penche pour ramasser sa bouteille d’eau quand elle sent une « introduction de plusieurs centimètres » d’un doigt dans son anus, malgré son pantalon. Elle se retourne immédiatement, mais ne prend personne sur le fait. Alors que Nathalie interpelle les agents autour d’elle sur ce qu’il vient de se passer, Michel G. vient la voir avec une explication. Il ne serait pas à l’origine du geste, mais assure que ça pourrait être son arme dans l’étui à sa cuisse qui aurait buté sur ses fesses. « Une hypothèse fantaisiste », assène la procureure quand elle évoque l’histoire. Nathalie n’y croit pas plus et rédige un rapport pour alerter sa hiérarchie sur ce geste qu’elle juge « intentionnel, qui l’a bouleversé et humilié ». Elle n’est pas soutenue et l’écrit n’aura aucune suite.

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    Entre 2017 et 2018, Audrey est à une table lors d’une pause café lorsque Michel G. caresse sa cuisse « sans la regarder ni lui parler à quelques centimètres du sexe ». / Crédits : Aurelie Garnier

    « C’est le genre d’humour qu’on a régulièrement dans la police »

    Les magistrates rappellent d’autres excuses farfelues avancées par Michel G. Ainsi, s’il demandait aux femmes de passer devant pour avoir « une meilleure vue », c’était « pour mieux voir ses pieds ». Et s’il avait léché l’oreille de Sandra, c’était « par inadvertance ».

    Devant les trois juges et la procureure, Michel G. répond aux questions du tac-au-tac, le ton très assuré. Dès le début de l’audience, il souhaite présenter ses excuses à Fanny pour ses « propos déplacés » et assure être « horrifié » de ce qu’il lui a causé. Pour Laëtitia, il affirme que les relations étaient « consenties ». Sur les SMS scabreux qui lui a envoyé, il s’agissait « d’une note d’humour ». Durant tout le procès, le policier motard se présente comme un simple trublion aux plaisanteries incomprises, « pas adaptées à l’actualité ». « J’étais assez connu pour faire des mauvaises blagues, délasser les rangers. C’est le genre d’humour qu’on a régulièrement dans la police », présente-t-il. Pour lui, lécher l’oreille de Sandra par exemple était « une taquinerie », tout comme la main sur la cuisse d’Audrey. « Mais aujourd’hui, je sais qu’on ne pourrait plus le faire », pense-t-il. Il assure que depuis cette histoire, il est revenu « dans le monde actuel » et il a constaté « le décalage » avec le quotidien dans la police. Ses explications laissent la juge dubitative :

    « Il n’y a pourtant que vous qui êtes à ce stade devant le tribunal monsieur ? Vous avez l’air de dire que toute la police est comme ça. Ça ne va pas donner envie aux femmes d’aller voir la police. »

    À la barre, Fanny n’est pas plus convaincue :

    « L’humour, c’est censé faire rire. Ça ne me faisait pas rire du tout. »

    Évincé de la police mais bientôt réintégré ?

    Michel G. a été évincé des forces de l’ordre en 2021. Après l’enquête de l’IGPN, il a été placé en garde à vue pendant 48h et a été placé sous contrôle judiciaire en décembre, avec l’interdiction d’exercer comme policier jusqu’au verdict du procès. Sans salaire, il a glané un poste dans la sécurité. « J’aimerais revenir dans la police, je pense que c’est quelque chose pour lequel je suis bon. Je me suis demandé si j’étais vraiment un pervers, si j’avais un problème. J’ai vu que j’avais un décalage dans mon humour ». Il n’a, semble-t-il, toujours pas compris la gravité des faits reprochés. La procureure se charge de le lui rappeler :

    « C’est un policier qui a failli, ça le disqualifie complètement pour être en contact avec les civils et notamment les femmes. Il n’est pas en capacité de prendre des plaintes pour violences conjugales ou sexuelles. La justice ne lui fait pas confiance. »

    Le 17 février, les juges ont totalement suivi l’avis de la magistrate. Michel G. a été condamné pour tous les faits – sauf ceux qui concernaient Nathalie – à 15 mois de prison avec sursis. Il est également inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) et est interdit d’exercer la profession de policier. Il a également l’obligation d’avoir un suivi psychologique et d’indemniser Fanny et Laëtitia à hauteur de 2.000 euros.

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    Michel G. a été condamné à 15 mois de prison avec sursis, a été inscrit au Fijais, et s'est surtout vu interdire d’exercer la profession de policier. Une victoire pour les victimes mais qui a rapidement été douchée, le policier ayant fait appel. / Crédits : Aurelie Garnier

    Face à cette décision, Michel G. a décidé de faire appel. Comme son contrôle judiciaire a pris fin avec le jugement, il aurait pu à nouveau être policier. Mais la préfecture de police, contactée par StreetPress, a annoncé que le brigadier va être suspendu administrativement « et ne reprendra évidemment pas le service ». Il va par ailleurs passer en conseil de discipline en avril. Quant à Laëtitia et Fanny, les deux femmes ont changé de service et de ville depuis leur harcèlement. Dans leurs nouvelles compagnies, « ça se passe bien », ont-elles pu dire respectivement à l’audience. « Les gens sont bienveillants. Ce sont principalement des femmes », a relevé Laëtitia.

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

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