Tom Collen-Renaux, 26 ans, magistrat au tribunal administratif de Melun, conduit la liste RN aux municipales 2026 à Amilly, dans le Loiret. Avocats et syndicats dénoncent un conflit d'intérêts et un manque d’impartialité.
Peut-on trancher des questions de justice sur les étrangers et être candidat du Rassemblement national (RN), un parti au programme xénophobe ? La question s’est récemment posée avec un juge assesseur d’extrême droite écarté de la Cour nationale du droit d’asile, après des révélations du média « Les Jours » sur son passé au sein du parti lepéniste. StreetPress a découvert un nouveau cas : celui de Tom Collen-Renaux, candidat du RN à Amilly (45), ville de moins de 15.000 habitants, dans le Loiret. Le weekend, ce blond aux yeux bleus de 26 ans distribue des tracts, serre les mains et pose sur les photos de campagne du mouvement. La semaine, il revêt sa robe de magistrat et siège au tribunal administratif de Melun (77), où il tranche des affaires relatives au droit des étrangers.
StreetPress a pu consulter les décisions de Tom Collen-Renaux depuis son affectation au tribunal administratif de Melun en juillet 2024. En un an et demi d’exercice, le magistrat a statué sur une dizaine d’affaires en droit des étrangers, en tant que juge unique. Toutes ont été rejetées, dont l’audience en 2025 d’un Malien arrivé en France en 2012 et régularisé en 2021 grâce à son travail, représenté par Alice (1), avocate spécialisée en droit des étrangers. Après une demande de renouvellement de son titre de séjour, la préfecture aurait multiplié les retards dans le traitement de son dossier puis aurait opposé un refus assorti d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). En octobre, Tom Collen-Renaux rejette la demande d’annulation d’OQTF et de renouvellement de titre de séjour.
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« La décision n’est pas illégale mais on aurait pu sauver ce dossier », déplore l’avocate avant de s’interroger, « mon client a-t-il eu les mêmes chances qu’un autre ? » Encore « choquée » par cette double casquette, elle estime que cette situation « soulève de sérieuses questions sur l’impartialité ». En effet, lorsqu’un juge traite du droit des étrangers tout en militant pour un parti hostile à l’immigration, « cela fragilise la confiance envers la justice ». Le jugement doit repasser en appel.
Encarté RN depuis ses 16 ans
Sur le papier, rien n’interdit ce double rôle. Tom Collen-Renaux affirme d’ailleurs que le Conseil d’État aurait validé sa candidature, jugeant que sa campagne ne posait « aucun problème ». Contacté, le Conseil d’État assure pourtant n’avoir « pris aucune décision [le] concernant ». L’institution rappelle que les magistrats administratifs peuvent se présenter à des élections locales, sous réserve de respecter les règles de déontologie et d’en informer leur hiérarchie. Ce qu’aurait fait Tom Collen-Renaux en prévenant la présidente de son tribunal (2).
Lors d’un entretien, plusieurs points auraient été soulevés, notamment l’usage qu’il pourrait faire de son titre de magistrat durant sa campagne. La règle est claire : il peut mentionner sa fonction mais sans préciser son tribunal d’exercice. Installé à Amilly depuis six ans, le candidat RN exerce comme juge en Seine-et-Marne (77) et dans le Val-de-Marne (94). Dans cette commune du Loiret où le RN a obtenu 62,59 % des voix au second tour des législatives 2024, il est épaulé par le député lepéniste Thomas Ménagé.
Encarté au Front national depuis l’âge de 16 ans, Tom Collen-Renaux a été collaborateur parlementaire de Ludovic Pajot, député frontiste élu en 2017 et aujourd’hui maire RN de Bruay-la-Buissière (62). Diplômé en droit des collectivités territoriales, il se « reconnaît » dans toutes les thématiques abordées par le parti. L’une de ses principales préoccupations est, ô surprise, l’insécurité.
Mobilisation pour son retrait
Les syndicats d’avocats dénoncent un risque de conflit d’intérêts : l’engagement politique d’un magistrat ne doit pas influencer ses jugements. Pour Thomas Giraud, président du syndicat Justice administrative collective et indépendante, son appartenance au RN fait craindre que les demandeurs étrangers ne bénéficient pas du même traitement que les autres personnes jugées.
Tom Collen-Renaux certifie avoir « toujours été impartial ». « Je ne suis pas là pour appliquer mes idées », nuance-t-il et précise ne pas vouloir « être militant » ou « se faire plaisir » dans ses jugements. Il est en effet impossible de mesurer l’impact de son engagement politique sur toutes les décisions qu’il a rejetées. Thomas Giraud explique :
« Il est interdit de faire des statistiques sur les décisions rendues par telle ou telle personne. »
Difficile de savoir si le magistrat « prend des libertés par rapport au texte » ou s’il « ne fait que rejeter les requêtes ». Cet engagement à l’extrême droite implique selon Thomas Giraud « une part de prosélytisme » et « une volonté de changer la société ». Cette situation est « très mal vécue » au tribunal, selon plusieurs sources internes. Un collectif d’avocats du Val-de-Marne — département relevant de la compétence du tribunal de Melun — envisage de se mobiliser pour demander le retrait de Tom Collen-Renaux du contentieux des étrangers.
« Conserver sa double casquette »
« La plupart sont au courant », se rassure le magistrat RN, qui perçoit « de la curiosité » chez quelques collègues. Certains d’entre eux critiquent un manquement déontologique : les magistrats doivent exercer leurs fonctions « avec indépendance, dignité et impartialité », soutient ce collectif du Val-de-Marne.
Au téléphone, Tom Collen-Renaux se défend et souligne que la prévention des conflits d’intérêts existe : « Les avocats peuvent demander mon déport s’ils ne sont pas contents. » Il rappelle que toute décision peut être contestée en appel. Tom Collen-Renaux loue sa réputation professionnelle, affirmant qu’il bénéficie « de très bonnes évaluations » de ses supérieurs. Il assure faire « attention » à ne pas « prendre position sur l’immigration » et l’insécurité.
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Reste la question du cumul entre les fonctions de magistrat et de maire. La charte de déontologie autorise un magistrat à exercer un mandat électif tout en restant en poste, à condition que son engagement politique n’entrave pas sa participation aux audiences. Sur ce point, Tom Collen-Renaux indique « travailler ses dossiers à la maison » grâce à son « super bureau et ses trois écrans ». Une fois élu, il prévoit de « conserver sa double casquette », en combinant son rôle de magistrat avec un temps aménagé, et celui de maire RN.
Contacté, le ministère de la Justice n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
(1) Le prénom a été modifié.
(2) Malgré nos relances, StreetPress n’a pas eu de confirmation de cet entretien de la part du tribunal.
Illustration de Une par Mila Siroit.