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    13/11/2025

    Des membres du RN likent ses posts

    Un attaché parlementaire RN derrière un compte néofasciste qui appelle à la chute de la République

    Par Aurélien Defer

    Jean-Eudes Le Moulec est le collaborateur parlementaire de l’élu RN Antoine Villedieu. Il publie aussi pour les milliers d’abonnés du compte Conservateur punk des visuels néofascistes qui prônent la violence politique, voire l’appel au meurtre.

    Du haut de ses 15.000 abonnés sur Instagram, Conservateur punk est un compte apprécié par l’extrême droite française. Les centaines de visuels léchés publiés depuis sa création, en 2016, développent une esthétique nationaliste, réactionnaire et nostalgique de la monarchie catholique. Ici, un « dogwhistle » (message caché) nazi ironisant sur une « veste autrichienne » et un « peintre » — comprenez une référence à Adolf Hitler. Là, un slogan « avorter tue », façon paquet de cigarettes, ou encore des hommages rendus à l’Organisation de l’armée secrète — organisation terroriste d’extrême droite ayant fait plus de 2.700 victimes durant la guerre d’Algérie —, au fondateur de la Phalange espagnole, à l’instigateur de la dictature nationaliste portugaise ou à l’écrivain collabo et nazi Pierre Drieu la Rochelle… Le tout agrémenté de citations de Renaud Camus et de Charles Maurras qui aident à fustiger la République, la démocratie et l’immigration.

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    Ce « dogwhistle » (message caché) met en scène l'acteur Pedro Pascal dans une vidéo où il regarde quelqu'un avec envie. Le compte ironise sur une « veste autrichienne » et un « peintre » — comprenez une référence à Adolf Hitler. / Crédits : Instagram

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    En mars 2021, le compte publie une photo de poignard avec la légende : « Envie de putscher. » / Crédits : Instagram

    Aux manettes de ce compte et du site Internet du même nom se trouve un collaborateur parlementaire du Rassemblement national (RN) : Jean-Eudes Le Moulec-Deschamps. Il œuvre depuis 2024 aux côtés du député lepéniste de la première circonscription de Haute-Saône, Antoine Villedieu. Si son nom n’apparaît nulle part sur les visuels, le numéro de SIRET de son entreprise figure dans les conditions générales de vente du site Conservateur punk. De même, la page du compte sur la plateforme rémunératrice Patreon renvoie désormais vers le profil personnel de l’attaché trentenaire. En 2025, le graphiste a partagé sur son LinkedIn perso et sur les canaux de Conservateur punk un visuel et un texte — identiques — de soutien à Sylvain Tesson.

    Jean-Eudes Le Moulec n’a pas déclaré cette activité parallèle et rémunératrice à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), d’après la fiche publique de son employeur. Contacté à plusieurs reprises, il n’a pas donné suite aux demandes d’entretien de StreetPress. Idem pour son député Antoine Villedieu et ses collègues collaborateurs.

    À LIRE AUSSI (en 2024) : Assistants parlementaires du RN : la galerie des horreurs

    Le Rassemblement national n’a pas non plus répondu à nos questions sur les lubies du collaborateur parlementaire. L’affaire est embarrassante pour le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, qui vante depuis des années une prétendue dédiabolisation. En 2024, 109 candidats RN aux élections législatives avaient été épinglés pour des propos racistes, homophobes, antisémites, complotistes, anti-IVG ou pour des liens avec des groupuscules radicaux. Ils sont encore 80 à l’Assemblée nationale, a compté en octobre le média « Les Jours », malgré les déclarations de Jordan Bardella qui les a réduits à « deux-trois brebis galeuses ».

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    En octobre 2020, Jean-Eudes Le Moulec écrit qu'il faut « achever cette parodie d'État qu'on appelle République. Le pouvoir est là, il n’y a qu’à se baisser pour le ramasser ». / Crédits : Instagram

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    Les visuels créés par Jean-Eudes Le Moulec fustigent la République, la démocratie et l’immigration. / Crédits : Instagram

    Un CV étiqueté RN

    Qualifié de « collaborateur parlementaire en charge du travail législatif » sur le site de la HATVP, Jean-Eudes Le Moulec n’en est pas à son premier député. Son LinkedIn indique qu’il a travaillé à l’Assemblée de 2021 à 2023, puis de nouveau à partir de 2024. Des périodes qui correspondent à ses fonctions auprès d’Eva Son-Forget — qui fut membre de LREM avant de rallier Éric Zemmour —, auprès de l’élu RN Emmanuel Taché et enfin d’Antoine Villedieu. En 2023, il a aussi été directeur de la communication de Contribuables Associés, une association anti-impôts où siège notamment François Durvye, proche du RN et du milliardaire catholique identitaire Pierre-Édouard Stérin. Il est également intervenu dans le très droitier Institut de formation politique en tant que « concepteur-designer », comme l’avaient établi « Libération » et des publications sur Instagram.

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    En décembre 2022, alors qu'il est attaché parlementaire, Jean-Eudes Le Moulec écrit sur Conservateur punk une référence à la milice fasciste de Benito Mussolini : les chemises noires. / Crédits : Instagram

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    En novembre 2020, CP relaie une photo de la banderole déployée à Paris par l'Action française : « Décapitons la République. » Et la complète par sa légende : « On est pas là pour sucrer les fraises. » / Crédits : Instagram

    Être intendant de Conservateur punk, c’est finalement le job que Jean-Eudes Le Moulec a gardé le plus longtemps. Depuis la création du compte Instagram, il a publié de manière plus ou moins régulière des centaines d’images et vendu des affiches comme celle de Jean-Marie Le Pen façon cubisme, bandeau noir sur l’œil. Tout récemment, Conservateur punk a noué un partenariat commercial avec l’association Solidarité Arménie — laquelle entretient des liens étroits avec la mouvance néofasciste —, créant des vêtements arborant une kalachnikov dont les bénéfices des ventes sont « reversé[s] aux blessés de guerre en Arménie ».

    Au RN, sa femme Constance Pinatel — également collaboratrice parlementaire du député RN Christophe Barthès — « like » la plupart des visuels. Yohan De Koninck, collaborateur du parlementaire RN Pascal Markowsky a également aimé celui sur Sylvain Tesson — l’écrivain français voyageur est d’ailleurs proche de l’extrême droite. En juillet et octobre 2020, Eva Son-Forget avait aussi partagé des visuels de Conservateur punk, ce dont s’était ensuite vanté l’intéressé dans une publication mise en ligne en septembre 2020.

    Références nationalistes révolutionnaires

    Depuis la demande d’entretien de StreetPress à Jean-Eudes Le Moulec, le compte Conservateur punk est curieusement devenu privé sur Instagram — c’est-à-dire inaccessible aux internautes ne le suivant pas. La production, elle, est restée la même. Malgré des références contraires invoquées dans ses publications, entre le pétainiste Charles Maurras ou le gaulliste Georges Bernanos, son contenu prône bel et bien une pensée néofasciste contre-révolutionnaire revendiquant la violence politique, voire l’appel au meurtre.

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    En janvier 2020, Conservateur punk publie en anglais : « Un rouge de moins » (comprendre « un communiste ») avec la photo d’un chargeur de pistolet — cette publication qui correspond à un appel au meurtre a récemment été supprimée. / Crédits : Instagram

    Une liste d’exemples. Mai 2019 : « French touch, fresh putsch. » Janvier 2020, en anglais : « Un rouge de moins » (comprendre « un communiste ») avec la photo d’un chargeur de pistolet — cette publication a récemment été supprimée. Avril 2020 : « Hate democracy. » Octobre 2020 : « Il faut d’abord achever cette parodie d’État qu’on appelle République. Le pouvoir est là, il n’y a qu’à se baisser pour le ramasser. » Novembre 2020 : « Le peuple ne comprend que deux choses : la violence extrême et l’extrême violence. » Mars 2021 : « Envie de putscher », poignard à l’appui. Décembre 2022 : « Les plus belles chemises sont taillées dans le drapeau noir », en référence à la milice fasciste de Benito Mussolini. Janvier 2023 : « Moitié rat, moitié roi », pour citer les paroles de Peste noire, un groupe de métal coutumier des saluts nazis.

    À LIRE AUSSI : L’embarrassant fils du directeur de la police, cadre d’un groupe néofasciste

    Si Jean-Eudes Le Moulec a ralenti le rythme sur les publications depuis son arrivée au sein du groupe RN, il ne s’est pas déradicalisé pour autant. Cet été, il citait encore dans un post Renaud Camus et Charles Maurras et reprenait en mai le collaborationniste Pierre Drieu la Rochelle et le slogan fasciste italien « Me ne frego » (soit « Je m’en fous »). Le catholique tradi, qui avait réussi en 2023 à commercialiser ses visuels sur la boutique du média Une bonne droite, a aussi eu, au fil de sa carrière, des propos sexistes : « Moins de timpes [prostituées, ndlr], plus de nymphes » ou encore la formule « les femmes veulent le patriarcat », rédigée en anglais. Début 2024, il a également dépeint Emmanuel Macron et Gabriel Attal en amants dans une référence parodique homophobe façon « La Folie des grandeurs ».

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    Sur son compte, celui qui est désormais attaché parlementaire RN rend hommage au fondateur de la Phalange espagnole. / Crédits : Instagram

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    Et aussi à Salazar, l’instigateur de la dictature nationaliste portugaise. / Crédits : Instagram

    Fan de l’Action française

    En plus d’avoir mis en avant l’ex-patron du Front national de la jeunesse FNJ Julien Rochedy, le collectif identitaire Némésis ou Les Corsaires, le compte a aussi salué et tenté de rendre sympathique L’Alvarium à Angers et son fondateur Jean-Eudes Gannat. Dans la même mouvance, Raphaël Ayma, porte-parole de l’association Tenesoun et éphémère collaborateur parlementaire du RN, est un fidèle des publications de Jean-Eudes Le Moulec, qu’il « like » par dizaines. Idem pour l’abbé intégriste Matthieu Raffray, jamais avare en compliments dans l’espace commentaires d’Instagram, ou encore Romain Maréchal, frère de Marion Maréchal-Le Pen.

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    Le graphiste vante très souvent les mérites de l’Action française, qu’il appelle en anglais « l’élite nationale française ». En novembre 2020, il relaie une photo de la banderole déployée à Paris par le plus vieux mouvement d’extrême droite de l’Hexagone : « Décapitons la République. » Et la complète par sa légende : « On est pas là pour sucrer les fraises. »

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    Attaché parlementaire RN, qui travaille à l'Assemblée nationale, Jean-Eudes Le Moulec a pourtant une très basse opinion de la République française. / Crédits : Instagram

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    / Crédits : Instagram

    Contactés, le déontologue et la présidence de l’Assemblée nationale n’ont pas donné suite aux sollicitations de StreetPress. Dans son guide des déclarations pour l’année en cours, la HATVP rappelle que, pour un collaborateur parlementaire, « il est nécessaire d’indiquer s’il exerce d’autres activités professionnelles en parallèle de ses fonctions auprès du parlementaire ». Sollicitée, elle confirme que « de telles activités doivent être mentionnées à la rubrique 7 de la déclaration d’intérêts et d’activités » et précise qu’Antoine Villedieu « a récemment adressé à la Haute Autorité une déclaration modificative », qui « fait actuellement l’objet de l’examen habituel ».

    À LIRE AUSSI (en 2024) : Tenesoun, les néofascistes qui fournissent des troupes au RN, à Reconquête et à la Cocarde

    Contacté par mail, via Linkedin, le compte Instagram de Conservateur punk et l’adresse mail associée, Jean-Eudes Le Moulec n’a pas répondu à nos sollicitations et à nos relances.

    Sollicité via le service communication de son groupe à l’Assemblée puis via son attachée de presse Élise Laplace, le Rassemblement national n’a pas répondu à nos questions. L’employeur de Jean-Eudes Le Moulec, Antoine Villedieu, n’a pas répondu après avoir été joint par mail. Contactés, les collaborateurs Constance Pinatel et Yohan De Koninck n’ont pas donné suite. De même que leurs employeurs respectifs, les députés Christophe Barthès et Pascal Markowsky.

    L’ex-députée Eva Son-Forget n’a pas répondu à nos sollicitations, tout comme l’association Solidarité Arménie et sa présidente Sarah Mélidonian.

    Illustration de Une par Mila Siroit.

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