22/12/2025

Dieudonné, Alpha, Lauriana et Fatou luttent pour survivre

À Rennes, le combat sans fin des jeunes exilés pour obtenir un logement digne et aller à l’école

Par Alice Lepage ,
Par Louise Quignon

À Rennes, une trentaine de jeunes exilés déboutés de leur minorité luttent depuis de longs mois pour un hébergement digne. Entre solutions précaires et expulsions, ils racontent leur combat pour ne pas dormir dehors et pour aller à l’école.

Rennes (35), le 26 novembre — 27 jeunes exilés, âgés de 14 à 17 ans, ont passé la nuit sur le béton, dans des duvets, sous une pluie qui ne s’est presque jamais arrêtée. Le thermomètre affiche zéro. Devant l’hôtel du département d’Ille-et-Vilaine, ces ados espèrent faire réagir l’institution pour qu’elle leur trouve un hébergement stable. Faute de solution, ils sont une centaine à dormir depuis un mois dans l’espace social commun Simone Iff. Ils sont désormais menacés d’expulsion.

Devant l'espace social commun Simone Iff à Rennes, le 1er décembre. / Crédits : Louise Guignon

Avec l’aide de bénévoles et de citoyens, ils se sont installés en fin de journée sur le trottoir, en promettant d’y dormir tant qu’aucune solution ne leur sera proposée. Ils y passeront la nuit. « C’était très dur. On a eu très froid. L’un de nos amis est à l’hôpital depuis », raconte Alpha. Ils ont dû abandonner leurs tentes. « La police a menacé de les détruire si on les installait, alors on a dormi par terre », décrit Fatou. Alpha enchaîne : « Mais le matin, on n’a rien lâché, on a continué de manifester. » Ça n’aura pas suffi, le lieu sera expulsé le 4 décembre à 5 heures.

Ces derniers mois, à Rennes, les jeunes exilés ont enchaîné les solutions précaires et les expulsions. / Crédits : Louise Guignon

Ces derniers mois, à Rennes, les jeunes exilés ont enchaîné les solutions précaires et les expulsions. Le 23 octobre, ils étaient plus de 200 à être virés du parc du quartier de Maurepas où ils avaient installé leur camp, faute de mieux. Ceux qui logeaient à Fougères, commune d’Ille-et-Vilaine à 45 kilomètres de la capitale bretonne, ont aussi été délogés le 1er décembre. En attendant, ils se sont rassemblés en collectif sous le nom des Mineurs isolés en danger 35. Les ados refusent de s’effacer, même quand la nuit les renvoie à l’abandon.

Déclarés majeurs

« Je voulais que l’on prenne soin de moi et que je puisse enfin avoir accès à l’éducation », explique Dieudonné, 17 ans. Il a quitté la Guinée avec son oncle pour fuir les maltraitances de son père. Après un passage par le Sénégal, il arrive en Europe. Son rêve ? Aller à l’école. Avec sa pièce d’identité en photo, il se rend au département d’Ille-et-Vilaine le 1er octobre. Si son âge est confirmé, il sera pris en charge et aura droit à un hébergement et à être scolarisé. Rempli d’espoir, Dieudonné est confiant. Il se rend aux trois évaluations prévues, dont les critères sont régulièrement dénoncés par les associations, comme les tests osseux. Le verdict tombe :

« Ils m’ont dit que je n’avais pas le physique d’un jeune homme de 17 ans. C’est totalement injuste. »

« C’est mon pire souvenir », résume-t-il. Ils seraient une soixantaine dans ce cas à Rennes. Comme Dieudonné, ces jeunes exilés se disent mineurs mais ont été déboutés de leur reconnaissance de minorité à leur arrivée dans le département. Jugés majeurs, ils ne bénéficient d’aucune prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance. S’ils ont déposé un recours devant le juge, les délais d’audience les laissent sans solution pendant de longs mois. Tous se trouvent dans un flou juridique, où municipalité et préfecture se renvoient la balle. Alors, ils alternent entre la rue, des solutions temporaires et des expulsions. Pourtant, selon le droit international, « ces ados devraient bénéficier de la protection accordée aux mineurs et être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en attendant la décision d’un juge ».

Dieudonné est à Rennes depuis octobre. / Crédits : Louise Guignon

Même désillusion pour Fatou, 15 ans depuis peu. « On m’a dit que je parlais trop bien pour être mineure, que je pourrais être une femme au foyer et que ma manière de répliquer montrait que j’étais adulte », résume-t-elle en jurant avoir 14 ans lors de son arrivée début septembre sur le territoire français. Originaire de la RDC, elle raconte avoir été sauvée d’un mariage forcé par « une femme d’Église ».

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Cette dernière l’emmène à Orléans chez un couple d’amis à elle. Après y avoir logé pendant un mois, un matin début octobre, ils demandent à Fatou de faire ses valises : « Dans la nuit, le mari a essayé de me violer. Mais je l’ai menacé de prévenir la police », raconte l’adolescente. L’épouse la dépose alors devant le département d’Ille-et-Vilaine. Elle est prise en charge pendant dix jours le temps de l’évaluation, puis déboutée. Perdue, tenue par l’angoisse de se retrouver à la rue, elle finit par se tourner vers les associations comme Utopia 56. Fatou est prise en charge par une famille d’accueil pendant un mois avant de finir fin octobre à l’espace social Simone Iff jusqu’à son expulsion le 3 décembre.

Lauriana (à droite), 15 ans, est arrivée à Rennes en juillet ; Fatou (à gauche), 15 ans, est arrivée début septembre sur le territoire français. / Crédits : Louise Guignon

Son amie Lauriana, 15 ans, raconte un parcours similaire. Elle a fui la République démocratique du Congo pour l’Angola, puis la France, après des violences physiques et sexuelles, résume-t-elle. Elle choisit l’Hexagone dans l’espoir d’y retrouver son père réfugié. Sans nouvelles, elle va vers le département qui la déclare majeure : « Ils ont dit que mes formes n’étaient pas celles d’une jeune fille. » De sa voix brisée, elle ajoute :

« J’ai pleuré seule dans le métro toute la journée, je n’avais aucun endroit où aller. J’avais peur. »

Une dame la trouve, lui offre un hébergement temporaire, puis se tourne vers l’association Utopia 56.

Se faire entendre ensemble

Face à cette « violence institutionnelle », ils se sont réunis en collectif. L’idée naît au printemps au camp de Maurepas, expulsé depuis. « On a créé ce collectif pour se faire entendre ! Nous étions une dizaine et personne ne savait que l’on existait », explique le Guinéen Alpha, membre fondateur. Jafé et Miguel, des frères jumeaux de 17 ans, ajoutent : « L’objectif premier est de faciliter la communication avec les gens pour faire reconnaître nos droits. » « L’union fait la force », résume Fatou. Le collectif fonctionne sans chef : « On décide tous ensemble, on organise des réunions, chacun propose ses idées et on vote. Parfois, il y a des désaccords, comme dans tout collectif », précise Jafé.

Les adolescents refusent de s'effacer et se sont rassemblés en collectif sous le nom des Mineurs Isolés en Danger 35. / Crédits : Louise Guignon


Ces jeunes exilés se disent mineurs mais ont été déboutés de leur reconnaissance de minorité à leur arrivée dans le département d'Ile-et-Vilaine. / Crédits : Louise Guignon

Lauriana, un timide sourire aux lèvres, explique l’importance d’être ensemble pour supporter leur quotidien difficile. « Passer mes journées avec Jemina et Fatou m’aide beaucoup. Quand je suis seule, je ne cesse de pleurer. Avec elles, je me change les idées. On rigole, on prie, on pleure ensemble. »

Pour Jafé et Miguel, frères jumeaux de 17 ans, le collectif permet « de faciliter la communication avec les gens pour faire reconnaître nos droits ». / Crédits : Louise Quignon

Après l’expulsion du camp de Maurepas, Miguel et Jafé ont été envoyés à Laval pour un hébergement, mais sont restés en contact. « Nos amis nous manquent. On se parle tous les jours, mais ce n’est pas pareil. » Un nouveau combat les attend : « On est content d’avoir un logement, mais ici on s’ennuie beaucoup, on n’a toujours pas accès à l’école ! » Depuis plus d’un an et demi, ils n’ont eu que quelques cours dispensés par l’association Préau 35, une école solidaire pour les jeunes déboutés par le département. Le reste du temps, ils se rendent à la bibliothèque ou à Coupé Décalé, un tiers-lieu destiné aux jeunes à Rennes. Là-bas, ils jouent, dansent, cuisinent et regardent la télévision ensemble.

Engagé dans ce collectif, Dieudonné, Guinéen de 17 ans, espérait que l'on « prenne soin [de lui] et qu'[il] puisse enfin avoir accès à l'éducation ». / Crédits : Louise Guignon

Des actions sans fin

« Je n’aurais jamais pu faire toutes ces actions et manifestations sans eux », confie Lauriana, 15 ans. Depuis la création du collectif, une nouvelle action est mise en place chaque mois. Le 26 juin, ils ont organisé une conférence de presse. Le 17 septembre, ils ont rencontré Pierre Larrey, secrétaire général du préfet d’Ille-et-Vilaine, pour expliquer la difficulté de la vie sur le campement de Maurepas. Le 14 octobre, ils ont manifesté devant le département avant de finir place Sainte-Anne, à Rennes, pour demander de l’aide et le droit à une vie digne.

Le 28 novembre au cinéma Arvor, Jafé, Miguel et une partie du collectif assistent à la projection de leur documentaire « Nos Parcours ». Miguel y est le personnage principal. / Crédits : Louise Guignon

Le 28 novembre, le collectif a assisté à la projection de leur documentaire « Nos Parcours » au cinéma Arvor, réalisé dans le cadre d’un atelier porté par Romain Champalaune. Miguel y est le personnage principal et Jafé apparaît à plusieurs reprises. « C’était dur de revivre la scène de l’évaluation [départementale]. Mais c’est bien que les gens soient venus », raconte Lauriana.

Devant l’hôtel du département d’Ille-et-Vilaine, le 27 novembre, une vingtaine d'ados espèrent faire réagir l’institution pour qu’elle leur trouve un hébergement stable. / Crédits : Louise Guignon

Depuis fin octobre, ils manifestent chaque semaine, pour réclamer un hébergement. Malgré leurs multiples mobilisations, ils attendent désespérément une action du département. « Madame Courteille [vice-présidente à la protection de l’enfance] nous a reçus après notre nuit dehors [le 26 novembre], mais elle nous a dit d’aller voir la préfecture. Je ne sais plus qui croire. La préfecture dit que c’est le département et le département dit que c’est la préfecture », résume Alpha.

Fatou montre une image captée par téléphone lors du rassemblement du 26 novembre. / Crédits : Louise Guignon

Contactée par StreetPress, Mme Courteille précise que chaque jeune est mis à l’abri pendant l’évaluation de sa minorité, mais que le recours n’est pas suspensif. Seuls les mineurs reconnus comme tels bénéficient d’un suivi spécifique, le reste relevant du droit commun des étrangers, sous la responsabilité de l’État. De leur côté, les mairies de Fougères et de Rennes expliquent que « ce n’est pas de [leur] ressort » de loger les mineurs isolés non accompagnés. De son côté, la préfecture indique qu’« en raison du principe de séparation des pouvoirs, il ne nous appartient pas de commenter une procédure judiciaire ».

Ayant dormi devant l'hôtel du département, Alpha montre une image de leurs sacs de couchage. / Crédits : Louise Guignon

Les occupants de l’espace Simone Iff expulsés le 4 décembre au matin ont finalement été emmenés aux quatre coins du département. Alpha et dix autres garçons ont atterri près de Saint-Brieuc, à près de 100 kilomètres de Rennes. Les autres membres du collectif sont à Montgermont, commune de la métropole rennaise, pour le temps de leur recours. « Je m’y sens vraiment bien. Je suis contente », confie Fatou.

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Mais le 16 décembre au matin, le Samu social annonce que tous ceux logés à Saint-Brieuc doivent quitter leur logement. « Je le vis extrêmement mal », confie Alpha. Lui et les dix autres adolescents se retrouvent une nouvelle fois dans une grande inquiétude. Finalement, les associations de soutien, telles que Le Préau 35 ou Utopia 56, décident de les loger au sein du Bâtiment à Modeler à Rennes, un autre espace social commun solidaire. Une solution encore une fois temporaire. « J’en ai marre », confie Alpha. Le reste du collectif est pour le moment à Montgermont jusqu’à la décision du juge pour enfants.