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    02/05/2025

    « Si j’étais logé je pourrais mieux réviser »

    Younoussa va au lycée, mais n’a pas de domicile fixe

    Par Clara Monnoyeur , Hervé Lequeux

    Younoussa, jeune exilé guinéen, suit un CAP dans un lycée parisien. Le soir, il rejoint un gymnase pour la nuit, faute de prise en charge par les autorités qui l’ont déclaré majeur. Toujours en recours, il rêve de meilleures conditions pour travailler.

    Sac sur le dos, pantalon beige, chemise et baskets blanches, Younoussa court pour attraper son métro. Des gouttes de pluie commencent à tomber. L’ado tout juste sorti de l’école tire le col de son blazer pour abriter sa tête. Il frissonne mais assure comme à son habitude que « ça va ». Au bout de la ligne, c’est un lit picot dans un gymnase qui l’attend pour dormir. Younoussa n’a pas de manteau, pas de parapluie et pas de chez lui :

    « Dans ma classe, il y a aussi deux personnes dans la même situation. »

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    Younoussa va au lycée, mais n’a pas de domicile fixe. / Crédits : Hervé Lequeux

    Selon la loi française, tout enfant isolé, sans parents ou représentant légal sur le territoire, doit être protégé et pris en charge. Mais Younoussa fait partie de ces jeunes exilés qui n’ont pas été reconnus mineurs. Son acte de naissance délivré par les autorités guinéennes – sur lequel il a 17 ans – ne serait pas conforme. Il a bien déposé un recours au tribunal des enfants en mai dernier pour contester cette décision, mais toujours pas de date d’audience malgré 11 longs mois d’attente. 3.800 jeunes exilés seraient en recours sur le sol métropolitain. Younoussa, soucieux, montre les derniers sms échangés avec son avocate. « Je vais attendre, je n’ai pas le choix de toute façon. » Selon une étude, 60 % des jeunes sont finalement reconnus mineurs à la suite de leur recours devant le juge.

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    Younoussa termine dans quelques semaines sa première année de CAP. / Crédits : Hervé Lequeux

    Depuis son arrivée en France il y a deux ans, le garçon un brin réservé, à l’allure fine et élancée, a connu la rue, les squats, avant d’enchaîner les nuits en gymnases mis à disposition par la mairie de Paris. Même sans adresse fixe, le garçon a pu s’inscrire à l’école. Il termine dans quelques semaines sa première année de Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) Peintre-applicateur de revêtements. Un secteur qui recrute. Il espère pouvoir enchaîner avec un bac pro l’année prochaine :

    « Je suis venu ici pour ça : aller à l’école, faire une formation et avoir un diplôme pour travailler. »

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    Younoussa enchaîne les cours et les stages dans le cadre de son CAP Peintre-applicateur de revêtements. / Crédits : Hervé Lequeux

    Nuits en gymnase

    Dans la salle de classe, Younoussa, sérieux dans sa chemise blanche, lève la main pour participer. Timide mais volontaire, il s’accroche pour apprendre à écrire le Français, sa matière préférée, assure-t-il. Sa professeure principale félicite son implication. « C’est compliqué mais ça va », assure timidement Younoussa. Au téléphone son ancienne CPE se souvient :

    « C’est un élève très assidu, très sérieux. C’est l’élève modèle. Je lui souhaite d’être pris en charge. Ça se sent qu’il a cette envie de réussir. »

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    Timide mais volontaire, Younoussa s’accroche pour apprendre à écrire le Français, sa matière préférée. / Crédits : Hervé Lequeux

    À la pause, le jeune discret part faire sa prière à la mosquée. C’est la période du ramadan. Cette année, il n’a pas pu faire le jeûne de manière aussi rigoureuse qu’il ne l’espérait. Les repas du soir au gymnase sont trop maigres pour arriver à tenir toute la journée. Déçu, il explique avoir dû louper quelques jours.

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    « Au gymnase, ce n’est pas possible de réviser », lâche Younoussa. / Crédits : Hervé Lequeux

    16h30. Sur le quai, Younoussa sert la main d’un « camarade » de son lycée. Lui aussi dort en gymnase. Les deux le savent, mais n’en parlent pas. En rentrant, personne ne les attend. Leurs parents sont en Guinée, à plus de 4.500 kilomètres et 6 heures de vol. Ils ne les ont pas vus depuis deux ans. Sur son strapontin, Younoussa, pianote sur son téléphone. Son gymnase n’ouvre qu’à 18 heures. Alors, il faut trouver de quoi occuper ses soirées. Le plus souvent, le besogneux se rend à la bibliothèque du Centre Pompidou, ouverte à tous et gratuite. C’est là qu’il fait ses devoirs, au calme et au chaud :

    « Au gymnase, ce n’est pas possible de réviser. Il n’y a pas de chauffage, il fait froid, il y a trop de monde et trop de bruit… On n’a même pas de bureau, pour travailler. »

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    Le plus souvent, Younoussa se rend à la bibliothèque du Centre Pompidou pour faire ses devoirs et réviser. / Crédits : Hervé Lequeux

    Partir pour étudier

    Dans son pays, il n’est pas allé au-delà de la primaire. « Là-bas c’est compliqué si tu veux étudier. Les écoles publiques ne font rien, et pour aller en école privée, il faut payer… » Le système éducatif public manque de moyens. Dans la ville de Conakry, d’où vient Younoussa, 88 % des écoles primaires sont privées. Malgré les bourses, l’école reste une dépense majeure pour les familles et les étudiants. Alors quand son père se sépare de sa mère, Younoussa rejoint l’entreprise de son oncle. « Ma maman était devenue trop vieille et fatiguée pour travailler… », explique-t-il doucement. Après deux ans à subvenir aux besoins de sa mère et de ses deux petites sœurs, l’entreprise de vêtements de son oncle couturier périclite. C’est à ce moment-là qu’ils partent ensemble en Europe. Younoussa, 15 ans, et un peu insouciant, suit son oncle sur le chemin de l’exil, alors que sa famille n’est pas au courant. Lui-même ne sait pas très bien où il va :

    « Je n’ai pas mis très longtemps pour venir, cinq ou six mois. J’ai eu de la chance. »

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    Depuis septembre, Younoussa, jeune exilé guinéen, suit un CAP dans un lycée parisien. / Crédits : Hervé Lequeux

    De la Guinée, il passe par le Mali, l’Algérie et la Tunisie, puis prend un zodiac jusqu’en Italie. Deux, peut-être trois jours – il ne se souvient plus – de traversée, entassés dans un bateau de fortune. Il n’en dira pas plus. En Italie, lui et son oncle sont séparés. Il n’aura plus jamais de ses nouvelles.

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    Dans son pays, Younoussa n’est pas allé au-delà de la primaire. / Crédits : Hervé Lequeux

    « En Italie j’ai bien été accueilli : je n’étais pas à la rue, j’étais hébergé dans un foyer et bien accompagné », assure-t-il. Mais la barrière de la langue le pousse à rejoindre la France. Ce sera plus facile pour s’intégrer et aller à l’école, pense-t-il, pragmatique. Le Français est la langue officielle de la Guinée, colonisée par la France et indépendante depuis 1958, et Younoussa le parle un peu. Une fois dans la capitale, son rêve s’effondre quand il passe sa première nuit dehors, seul, sous la galerie marchande en face du Pont Marie, à quelques pas de l’hôtel de ville de Paris. L’ado dort les nuits suivantes sous le pont, dans une tente partagée avec d’autres. De février à juin 2022, Younoussa, amaigri, voit ses amis de fortune partir tour à tour en direction du Nord de la France, avec l’espoir de passer en Angleterre. Younoussa hésite lui aussi. Les nuits dehors sont trop dures. Au téléphone, il donne quelques nouvelles à sa mère et à ses deux petites sœurs qui ont bien grandi. Il ne raconte pas tout, de peur de les inquiéter :

    « Quand on part en Europe, on est obligés de dire que ça va… »

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    Au téléphone, Younoussa ne raconte pas tout à sa famille pour ne pas les inquiéter. / Crédits : Hervé Lequeux

    Collectif

    Après la bibliothèque, le garçon rejoint le Parc de Belleville, dans le 20e arrondissement. « Moi aussi je dormais là », lance-t-il pensif au milieu de jeunes migrants posés sur un banc. Le regard accroché à la butte, il se souvient de ses soirées de la fin de l’été à l’hiver 2023, où il passait les barrières une fois le parc fermé pour installer sa tente pour la nuit avec 200 autres jeunes exilés. Les ados se sont ensuite rassemblés en collectif pour demander un accès à un logement digne et d’entrer à l’école. Après avoir été expulsés du parc, « Les jeunes du Parc de Belleville » – comme ils ont décidé de se nommer – ont occupé à partir d’avril 2024 la Maison des Métallos, lieu culturel de la ville de Paris.

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    Younoussa et le collectif des Jeunes du parc de Belleville ont occupé pendant trois mois la Maison de Métallos, lieu culturel de la ville de Paris. / Crédits : Hervé Lequeux

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    Celui qui n'avait jamais manifesté se retrouve à lutter pour demander un logement digne et l'accès à l'école. / Crédits : Hervé Lequeux

    Trois mois de lutte qui ont permis d’obtenir des places en gymnase, en juillet 2024. Younoussa se souvient des brigades de policiers devant le bâtiment, des départs en manifestations, des ateliers pancartes. Au milieu des assemblées générales, l’ado réservé rencontre des syndicats d’enseignants engagés qui lui expliquent comment s’inscrire à l’école. « Ça m’a remotivé ! » En septembre 2024, il fait sa première rentrée au lycée.

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    Younoussa se souvient des brigades de policiers devant le bâtiment de la Maison des Métallos. / Crédits : Hervé Lequeux

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    Après trois mois de lutte, ils obtiennent des places en gymnase. / Crédits : Hervé Lequeux

    Manifestations

    « Moi je me demande juste, pourquoi en France c’est si compliqué pour être logé ? » Younoussa n’a pas lâché le combat. Chaque week-end, il se rend en manifestation avec les plus de 300 jeunes exilés qui occupaient un autre lieu culturel de la ville, la Gaîté Lyrique, avant d’être expulsés. « Nous aussi on est passés par là », déclarait-il lors de la marche du 11 janvier 2025 :

    « C’est important de continuer à soutenir. Même si nous on a eu une place en gymnase, il faut être là pour tous les autres. »

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    « Nous aussi on est passés par là », lance Younoussa dans la manifestation de soutien aux jeunes occupants de la Gaîté Lyrique. / Crédits : Hervé Lequeux

    Le jeune homme était aussi présent à la manifestation contre le racisme du 22 mars dernier. « Je n’aime pas rester au gymnase. Ça fait du bien de sortir et de se vider la tête. » Younoussa continue d’assister à tous les ateliers de Français qu’on veut bien lui proposer. Parfois, il se balade dans la capitale : le Louvre, le 6e arrondissement, la tour Eiffel… Il participe aussi aux tournois de foot de l’association en soutien aux exilés, les Midis du MIE, à Ivry. « Et on a gagné ! », lance-t-il en faisant défiler les photos du dernier match sur son écran de téléphone. « Ici, ce sont les associations qui nous soutiennent. Ce sont elles qui font tout, l’État ne fait rien », enchaîne-t-il, plein de reconnaissance pour les bénévoles qui l’accompagnent.

    Dans quelques jours, il devra de nouveau mettre ses affaires dans des sacs en plastique pour rejoindre un autre dortoir. La préfecture lui a finalement proposé une chambre d’hôtel temporaire dans le Sud de Paris. Mais avant ça, ce soir, c’est révision du passé composé.

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    Dans quelques jours, Younoussa devra de nouveau mettre ses affaires dans des sacs en plastique pour rejoindre un autre dortoir. / Crédits : Hervé Lequeux

    Texte de Clara Monnoyeur et photos de Hervé Lequeux.

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