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    28/05/2025

    Mains aux fesses, baisers forcés et tâche de sperme

    « J’ai été agressée sexuellement dans la fosse d’un concert »

    Par Léonie Perano

    Selon une enquête, 60% des femmes ont été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle en milieu festif. Mains baladeuses, baisers non-consentis, agresseurs violents, des femmes racontent leurs expériences des fosses de concert.

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    Le 10 avril dernier, Ana (1), la vingtaine, pousse les portes du Zénith de Paris pour le concert du rappeur Zamdane. La date est sold-out. Ana a choisi d’être en fosse, debout, avec plus de 2.000 autres personnes. Le parterre lui permet d’être au plus près de la scène et donc de l’ambiance, pense-t-elle. Habituée, elle s’installe à trois rangs des barrières collées à la scène, à bonne distance de la mêlée frontale où se passent les pogos, trop agités pour elle. Mais dès les premières notes de l’artiste, Ana se retrouve secouée dans tous les sens. Une jeune femme aurait même fini en larmes, son tee-shirt déchiré, raconte-t-elle. Ana décide de quitter la fosse avant la fin du concert :

    « Il n’y avait aucun respect, aucune limite. »

    Elle se faufile en direction de la sortie. Une fois loin de la foule, elle prend une pause et constate que son pantalon est humide : elle aurait découvert, sidérée, du sperme sur sa cuisse. Ana s’éclipse sans un mot pour se nettoyer. Elle ne cherchera pas à identifier l’auteur. «  Avec 6.700 personnes, ça serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. » Hélios (1), 23 ans, était photographe sur un des concerts de l’artiste. Encadrée par une partie du staff, elle capture son entrée en scène : « Je me sens en sécurité : les gars de son équipe me suivent tout le long. » Mais au bout de quelques minutes, la photographe sent au-dessus de sa jupe «  des mains qui se baladent, qui pincent, qui me touchent au niveau de mes fesses, de mes jambes, et de mes parties intimes  ». Tout se déroule « très vite » et sans que personne ne perçoive ce qui se passe sous l’amas de foule. C’est seulement en sortant de la fosse qu’elle réalisera ce qui vient de se passer.

    Après ce concert, plusieurs autres femmes témoignent de faits similaires sur Twitter-X. Mains aux fesses pendant les pogos, baisers non consentis à la sortie, agression physique, sentiment d’insécurité… Eva, à peine majeure, raconte :

    «  Un mec très insistant m’a encerclé avec ses bras et m’a fait passer pour sa meuf auprès de ses potes. »

    Des comportements qui ne se limitent pas à la scène rap. Pour Wendy, ça se serait passé durant un concert d’un groupe de punk. Pour Louise (1), lors d’un live de métal à Metz (57), ou pendant un DJ set pour Alice. Toutes décrivent des violences sexistes et sexuelles. D’après une enquête menée en 2018 par l’association Consentis, qui lutte contre les violences en milieu festif, 60 % des femmes ont été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle dans ce contexte. La fosse des concerts serait un lieu propice aux agressions dans une foule désinhibée, euphorique, où s’enchaînent pogos et bousculades dans une grande promiscuité. Les agressions seraient aussi plus difficiles à repérer et à dénoncer.

    Une foule désinhibée ?

    Kate (1), 20 ans, assure avoir été agressée au concert du rappeur marseillais SCH à la LDLC Arena de Lyon-Décines (69), le 25 janvier dernier. Pendant un pogo, elle aurait senti deux mains se poser de chaque côté de sa taille. «  Je pensais que c’était pour se stabiliser », précise-t-elle, alors en pleine bousculade :

    « Puis il m’a plaquée contre lui et a embrassé mes seins. J’ai reculé, mais il m’a retenue et a tenté de m’embrasser sur la bouche. Il y est même arrivé une seconde, juste avant que je le pousse violemment.  »

    Selon le Code pénal, une agression sexuelle désigne toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Elle est passible de cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende. Cela inclut les attouchements, caresses sexuelles imposées, baisers forcés, frottements… y compris, sans pénétration — sinon, c’est un viol. Kate n’a pas porté plainte, ni prévenu la sécurité de la salle :

    «  Qui aurait cru une meuf de 20 ans dans la fosse d’un concert de rap bondé  ?  »

    Wendy, 24 ans, a elle aussi mis du temps à comprendre ce qui lui arrivait. L’année dernière, lors d’un concert de punk, un homme lui aurait mis une main aux fesses. Coincée dans la fosse, elle croit d’abord à une bousculade, et à une maladresse. «  Je me suis retournée, et il y avait un mec pile derrière moi, qui ne bougeait pas alors que tout le monde dansait  », raconte la jeune femme. Elle confronte l’homme qui nie en bloc. La jeune femme cherche alors du soutien auprès d’une connaissance présente au concert avec des amis, «  presque que des hommes  ». L’un d’eux lui rétorque sans sourciller :

    «  Et moi, je peux toucher ton cul  ? »

    Choquée, la jeune femme perd ses mots et l’homme lui met lui aussi une main aux fesses. Cette fois, avec les rires de ses copains en fond sonore :

    «  Presque tout le monde était hilare, mis à part moi, et la seule fille de leur groupe. »

    Les limites des safe zones et de la sécurité

    Directeur de la salle de la LDLC Arena de Lyon-Décines où Kate dénonce avoir été agressée, Xavier Pierrot indique qu’aucun signalement n’est parvenu jusqu’à lui ce soir-là. «  Tout spectateur qui subit une agression peut à tout moment se rapprocher du dispositif de sécurité présent dans la fosse. Nous ferons ensuite tout pour identifier l’agresseur, et accompagner la victime, psychologiquement comme juridiquement.  »

    Les safe zones et dispositifs de sécurité ne suffiraient pas toujours. Ce soir-là, Alice participe à un DJ Set avec ses amis à La Station dans le 18e arrondissement de Paris. La soirée est organisée par un collectif très engagé et sensible aux questions de consentement. À l’entrée, un brief est même énoncé sur les violences sexistes et sexuelles. La jeune femme se sent en sécurité. Mais durant le mix, au milieu des beats et des stroboscopes, un de ses « meilleurs amis » aurait commencé à la coller. Il aurait soulevé sa jupe, touché ses fesses, et aurait demandé à l’embrasser. Elle dit non. Il l’aurait quand même fait. «  J’étais tétanisée », se remémore-t-elle :

    « C’est compliqué de taper un scandale dans la fosse en lui disant que je n’ai pas envie qu’il me touche. J’étais coincée. »

    La salle La Station précise mettre en place « deux référent·es qui s’occupent du recueil des témoignages et de la création d’une charte d’accueil à destination du public et en interne, d’un protocole de prise en charge des agressions dont sont informé·es les agents de sécurité, des associations réalisant des maraudes et la construction d’une safe place ». Alice confirme, mais tient à contextualiser :

    « Il y avait plein de safe zones mais comme j’étais tout le temps devant la scène et que je ne conscientisais pas vraiment ce qu’il m’arrivait, je ne pouvais pas sortir de la foule. »

    Pendant le concert, son agresseur était sous l’emprise d’alcool et de drogue, précise la jeune femme. En France, une agression sexuelle commise dans ce contexte constitue une circonstance aggravante au regard de la loi, portant la peine encourue à sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende.

    Des violences jusqu’à l’extérieur

    Un soir de janvier 2014, aux Trinitaires à Metz, Louise, 17 ans à l’époque et passionnée de métal, assiste à l’un de ses premiers concerts seule. «  Je m’étais mis tout devant, au premier rang, collée à la barrière  », raconte-t-elle. Dans la salle, il y a des affiches de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles élaborées par l’association Consentis qui lutte contre les agressions en milieu festif. Pourtant, rapidement, elle aurait senti un homme d’une quarantaine d’années se frotter à elle, «  clairement un pénis en semi-érection dans mon dos ». Dans un premier temps, elle aussi se dit qu’il ne s’agit que de l’agitation de la foule. Elle aurait fini par prendre appui sur la barrière pour le repousser. L’homme aurait réagi violemment, explique Louise :

    «  Il m’a attrapée par les cheveux et m’a balancée au sol. »

    Effrayée, elle trouve la sécurité qui aurait évacué l’homme. Sauf qu’à la sortie, Louise l’aperçoit « rôder ». «  Je pense que la présence de mon père qui venait me chercher l’a dissuadé, mais je me suis longtemps demandé s’il ne m’attendait pas délibérément  », se remémore-t-elle. Il a fallu près de huit ans à la jeune femme pour oser retourner à un concert sans être accompagnée. La photographe Hélios abonde :

    « Je ne me sens plus du tout en sécurité et je n’ai jamais remis les pieds en fosse parce que j’ai peur. »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    Illustration de Une de Yann Bastard.