StreetPress produit un journalisme rigoureux, factuel et populaire grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs. Engagez-vous avec nous, faites un don et faites vivre un média indépendant !
Le 30 avril, avec son avocate, Adil a saisi l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour dénoncer des violences physiques, sexuelles, racistes, qui auraient été commises ce soir-là, ainsi qu’une atteinte à la liberté individuelle et une non-assistance à personne en danger. Il a aussi déposé plainte le 3 juin 2025 auprès du procureur de Bobigny.
Un contrôle qui tourne mal
Tout bascule dans la nuit du 10 au 11 avril 2025. Alors qu’il sort d’une soirée entre amis autour de 23 heures à Drancy (93), Adil croise la route d’agents en civil. « Contrôle de police », lancent les hommes qui ne portent, selon son récit, ni uniforme, ni brassard, ni insigne apparent. Il leur demande à plusieurs reprises une preuve de leur qualité de policiers. « Un m’a montré son arme, mais il n’y a pas que la police qui porte des armes. J’avais peur, je leur ai dit : “S’il vous plaît, si vous êtes des agresseurs, j’ai un téléphone et 30 balles dans ma poche, laissez-moi mes papiers et je vous donne ma veste” », dit-il aujourd’hui à StreetPress. Un mois après, il semble encore paniqué.
Les violences débutent quand les policiers regardent son portefeuille et examinent son permis de conduire algérien. « Ils ont voulu me pencher en avant pour mettre leurs mains à l’intérieur de mon caleçon », mime-t-il en mettant ses propres mains sur le haut de ses fesses. « J’ai dit : “Vous faites quoi ?” Je me suis retrouvé à terre ». Une « agression sexuelle et une tentative de fouille intrusive et injustifiée », écrit son avocate, maître Louise Paris, dans la plainte.
Adil précise alors que son visage se trouve contre le sol, écrasé par la jambe d’un des policiers. « Il a bougé son pied sur mon visage avec une force inimaginable et j’ai commencé à crier : “Ce n’est pas la police, aidez-moi !” » Adil a, dit-il, du mal à respirer. Il mord alors le policier à la jambe « par réflexe » pour ne pas étouffer. Il se serait ensuite fait taser sous l’épaule et frappé plusieurs fois dans les côtes et sur le visage. Un des policiers serait alors revenu près de lui et aurait glissé ses mains dans son pantalon. Adil explique qu’il a à nouveau crié : « Ce n’est pas la police » :
« J’ai cru que c’était des violeurs ou des agresseurs dangereux qui portaient des armes. »
Des témoins
Il raconte s’être retrouvé, les pieds traînés au sol, son cou bloqué par une clé de bras, que l’on peut voir sur une vidéo filmée par un riverain. Deux attestations de témoins ont été jointes à la plainte : l’un affirme avoir vu « une silhouette aux cheveux longs se faire taper et traîner sur au moins 70 mètres ». En se rapprochant, il explique avoir distingué « cinq policiers » qui « le tabassent » : « Je leur dis de faire doucement. » Ce à quoi l’un des fonctionnaires lui aurait répondu :
« Rentre chez ta mère t’as rien à faire ici. »
Un autre témoin mentionne également « cinq policiers frappant un individu au sol, seul, en sang » avec « des coups de poing et de pied », une « clé de bras » pour le « traîner au sol » :
« La scène était très violente, les policiers s’acharnaient sur lui (…) plusieurs personnes criaient d’arrêter. »
« Vous m’emmenez où ? », se souvient leur avoir lancé Adil. Il leur affirme qu’il peut marcher et qu’il n’y a pas lieu de le traîner ainsi. Les policiers l’auraient ensuite menotté de manière très serrée – l’étudiant montre à StreetPress les marques qui subsistent sur ses poignets un mois après. « Quand ils m’ont mis les menottes, celui que j’ai mordu a dit : “T’es à moi” et il m’a tordu les mains », relatera-t-il plus tard au médecin qui le reçoit aux Unités médico-judiciaires (UMJ) de l’hôpital Jean Verdier, à Bondy.

Adil, étudiant algérien en droit, a été contrôlé puis interpellé par la police, à 23 heures dans une rue de Drancy. Il dénonce des violences physiques et sexuelles dans la rue, pendant son transport, et au commissariat. Il a déposé plainte. / Crédits : Documents StreetPress
Son calvaire se poursuit au commissariat
Les coups ne vont pas s’arrêter là. « Vous m’emmenez où ? », demande-t-il encore. « Et bam sur le visage », dit-il en mimant un nouveau coup. Son avocate, Maître Paris, évoque dans la plainte une « escalade » de violences :
« L’un des agents lui a ordonné d’embrasser son pied, ce qu’il a refusé. Devant ce refus, d’autres coups lui ont été portés au visage. Ce comportement, en l’absence de toute nécessité, visait manifestement à l’humilier. »
Durant le trajet jusqu’au commissariat de Bobigny, Adil et son avocate expliquent dans la plainte que les policiers auraient fait « usage à plusieurs reprises de leur pistolet à impulsion électrique (Taser), au niveau du torse » de l’étudiant, en continuant « à lui asséner des coups de poing au visage, alors qu’il était menotté et totalement immobilisé ». « Je leur disais : “Pourquoi vous me faites ça ? Je n’ai rien fait” et la seule réponse, c’était des coups ou de me dire : “Ferme-la, fils de pute” ». Adil cauchemarde encore de ces instants en voiture. Souvent, la nuit, il revoit le plafond du véhicule, entend à nouveau les insultes et se remémore les coups :
« À ce moment-là, ce n’est pas seulement que j’avais peur de mourir, c’est comme si j’en étais proche, j’avais peur d’être jeté dans la Seine. »
Des propos humiliants et racistes
Au commissariat, les propos et gestes « humiliants » ont continué, explique Adil. Il raconte avoir été placé à genoux, toujours menotté, au sol. « Je ne sentais plus mes mains », affirme-t-il aujourd’hui.
Alors qu’il est positionné ainsi, des policiers l’auraient insulté en passant devant lui, selon sa plainte transmise au parquet, le traitant de « connard », « voleur ». Il aurait aussi reçu « des propos injurieux, humiliants et racistes, islamophobes, tels que :“T’es pas chez toi ici”, “Tu n’auras pas de kebab”. » Le jeune étudiant aurait alors demandé à ce qu’on l’aide à s’asseoir, en vain. « J’ai mis l’épaule gauche sur le mur, je me suis forcé pour me lever et récupérer au moins un peu de ma dignité ». Adil raconte qu’il a ensuite été déshabillé en boxer dans une autre salle. « C’est quoi cette maltraitance comme si j’étais un criminel ? », s’exclame-t-il.

Le médecin a prescrit à Adil dix jours d’ITT, et relève de très nombreuses lésions : une « ecchymose » à l’œil gauche, à la pommette, sur le menton, des « tuméfactions » sur le visage, l’oreille, des « érosions » sur le front, la lèvre, le cou, « une dizaine d’érosions croûteuses » sur les côtes, mais aussi au genou droit, des ecchymoses aux bras, au coude, à l’épaule, au poignet. / Crédits : Documents StreetPress
« Placé en cellule sans couverture », il n’a été conduit à l’Unité médico-judiciaire (UMJ) « que plus de 12 heures après les faits », après avoir été d’abord transféré au commissariat de Drancy. À 11h40, le 11 avril, le médecin lui prescrit alors dix jours d’Incapacité totale de travail (ITT) et relève de très nombreuses lésions : une « ecchymose » à l’œil gauche, à la pommette, sur le menton, des « tuméfactions » sur le visage, l’oreille, des « érosions » sur le front, la lèvre, le cou, « une dizaine d’érosions croûteuses » sur les côtes, mais aussi au genou droit, des ecchymoses aux bras, au coude, à l’épaule, au poignet. Le médecin légiste conclut :
« L’examen physique et l’état psychique constatés s’avèrent compatibles avec les faits allégués. »
La procédure a disparu
L’étudiant aurait ensuite été « contraint », d’après la plainte, « à une confrontation avec l’un des policiers mis en cause, organisée par ses propres collègues, dans un climat d’intimidation, alors même qu’il se trouvait en état de choc psychologique et physique après l’hôpital. » Selon les informations qui lui ont été communiquées par les policiers, la procédure pour « outrage et rébellion » déposée par les fonctionnaires contre Adil aurait été classée sans suite. Contacté par StreetPress, le parquet de Bobigny n’a pourtant aucune trace d’une procédure passée ou en cours au nom d’Adil.
Maître Paris a tenté de joindre les commissariats de Drancy et Bobigny à ce propos, qui lui auraient répondu qu’ils étaient « incapables de retrouver le dossier évoquant un classement sans suite ». Aujourd’hui, le jeune Adil est terrorisé dès qu’il voit des policiers en patrouille. Il s’est coupé les cheveux pour changer d’apparence, par crainte de représailles. L’étudiant espère désormais obtenir justice et prendre le temps de soigner ses traumatismes.
L’agression sexuelle dénoncée par Adil n’a rien d’un cas isolé. Le média Disclose publie l’enquête #MeTooPolice (co-écrite par la journaliste autrice de ce papier) sur les violences sexuelles commises par les forces de l’ordre. Elle recense 429 victimes de 2012 à 2025 et 215 agresseurs policiers ou gendarmes. Parmi ces victimes, 75 sont des personnes interpellées comme Adil, dont une majorité de jeunes hommes racisés, mais aussi des collègues, des proches ou encore des femmes venues déposer plainte.
À lire sur Disclose : 429 victimes, 215 agresseurs : révélations sur les violences sexuelles commises par les forces de l’ordre
#MeTooPolice : des dizaines de femmes agressées par les agents chargés de recueillir leur plainte
Palpations illégales : quand les contrôles de police tournent au viol
(1) Le prénom a été changé.
Enquête de Sophie Sophie Boutboul, illustrations de Caroline Varon.