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Une surprise dans ce show très libéral ? Pas vraiment. Derrière le vernis entrepreneurial, les trois influenceurs ont aussi invité La Menace, figure masculiniste du YouTube réactionnaire. Antoine Blanco et Oussama Ammar se sont rendus sur la chaîne de Thaïs d’Escufon, ex-membre de Génération identitaire, désormais tradwife qui fait aussi du coaching en séduction à la sauce masculiniste. Oussama Ammar a aussi pu discuter avec El Rayhan (109.000 abonnés), youtubeur antiféministe connu pour ses vidéos tournées dans la rue sur des sujets sociétaux. Dans la même galaxie d’influenceurs, le spécialiste des micro trottoirs avec des millionnaires, Loïc Bourget, 218K de followers sur YouTube, a documenté sa journée avec son « ami » La Menace en septembre dernier.
Quant à la chaîne Oseille TV, 152.000 abonnés, autoproclamée « chaîne n°1 Business FBA et Expatriation », elle a convié Le Guiz, qui se décrit comme un « royaliste de tradition libérale ». « Le problème, c’est que tu as des minorités qui ont carte blanche pour venir dans les écoles et laver le cerveau de vos enfants, les éduquer à votre place », s’enflamme t-il. Julien, le propriétaire de la chaîne, abonde : « Et financé avec vos impôts ! ». Entre deux vidéos sur l’optimisation fiscale, ce dernier fustige régulièrement le « wokisme » et « l’endoctrinement LGBT ».
Des idées partagées ?
Oussama Ammar est le seul du lot à avoir accepté de répondre à StreetPress. Cet « ex-roi de la tech », dont la notoriété a explosé il y a quelques années, avant sa descente aux enfers judiciaires, est d’emblée exaspéré par les questions sur le choix des invités. Dans une interview d’une heure trente, il rejette le terme « extrême droite », qui serait galvaudé. « On a tendance à labelliser les gens “extrême droite”, “extrême gauche”, alors qu’ils sont plus complexes que cela », argue-t-il. À propos du Raptor, ancien comparse de l’antisémite Alain Soral et vétéran de la fachosphère, il confie :
« Je l’ai trouvé très agréable et intelligent. Apparemment, soi-disant, il est de droite lui aussi. »
Lors de leur entrevue avec celui qui tente depuis quelques années une reconversion en coach sportif et nutrition, Antoine Blanco et Yomi Denzel n’ont cessé d’approuver ses propos. À l’agenda : critique du « wokisme », du « féminisme radical » et du délitement du modèle familial traditionnel. Avec leurs invités d’extrême droite, ces youtubeurs promeuvent le même mode de vie fait de musculation, cigares, montres ou voitures de luxe, méditation et développement personnel. Loin d’apporter un débat contradictoire – un des arguments avancés par Oussama Ammar pour aller chez l’ex-militante identitaire Thaïs d’Escufon, « comme ça les gens ont deux visions des choses » –, certains de ces youtubeurs semblent bien partager les stéréotypes ou idées avancées par leurs comparses réacs. Entre autres, Yomi Denzel avance :
« J’ai une vision assez biologique des choses. Pour être vraiment masculin, tu dois amener de l’argent, avoir une certaine stabilité émotionnelle, protéger. »
Dans l’interview qu’il accorde à Thaïs D’Escufon, Antoine Blanco valide lui le concept misogyne de « body count », où la « valeur » d’une femme descendrait au fur et à mesure de son nombre de partenaires.
« Yomi Denzel et Antoine Blanco ont des opinions qu’on qualifie de “masculinistes”, mais qui relèvent d’après eux du bon sens », estime Oussama Ammar, qui concède cependant quelques « dingueries » que peut proférer le second. Pour celui qui a été condamné en avril dernier à devoir verser 7,5 millions d’euros de dommages et intérêts à son ancien incubateur The Family, les deux animateurs ne feraient « que refléter une pensée ouverte et libre, sans étiquette ».
La tendance Musk ?
En bon libertarien, défenseur du « free speech » à l’américaine, les orientations politiques ou l’historique de ses invités importent peu à Oussama Ammar, où chacun est responsable de ce qu’il dit : « Quel que soit son bord politique, si quelqu’un a quelque chose d’intelligent à dire, il mérite d’être invité. » Si le masculinisme le « débecte », le succès entrepreneurial et la popularité priment sur toute autre considération. Cette tendance rappelle l’évolution d’Elon Musk, passé en quelques années de boss de la tech démocrate à promoteur de la liberté d’expression version Donald Trump, président des Etats-Unis, ou de l’influenceur Andrew Tate, masculiniste sous le coup d’une enquête pour viols, violences conjugales et trafic d’êtres humains.
S’il n’en sont pas encore à soutenir financièrement des partis politiques, une grande partie semble considérer que les politiques actuelles sont trop à gauche. Oussama Ammar qualifie Emmanuel Macron de « gauchiste insupportable ». De son côté, Le Guiz traite l’ancien Premier ministre canadien, Justin Trudeau, de « marxiste ». Expatriés à Dubaï, en Colombie ou au Panama pour fuir les impôts, ces influenceurs prônent un libéralisme débridé. Et se reconnaissent dans Donald Trump ou le président argentin Javier Milei. « Je suis hyper admiratif de ce qu’il est en train de faire économiquement », glisse Oussama Ammar à propos du chef d’Etat, alors que cinq millions d’Argentins sont tombés dans la pauvreté sous sa politique.
Une seule ligne rouge apparente, pour l’animateur de Sans Permission : la légalité. « On ne laisserait personne remettre en cause la Shoah », assure-t-il. Pourtant, Le Raptor tient des propos homophobes sur sa chaîne personnelle, un délit passible de sanctions pénales. Même complaisance du côté du youtubeur Jonathan Ecom, 106.000 abonnés, qui recommandait sans sourciller l’achat de la formation d’Andrew Tate en 2023. Interrogé sur cette question, Oussama Ammar affirme finalement qu’il ne choisit pas les invités et ne les connaît même pas. Dans une nouvelle pirouette, l’homme connu pour les histoires abracadabrantesques qu’il raconte dans ses vidéos assure :
« Ça va peut-être paraître étonnant, mais la plupart du temps, quand j’arrive en studio, je découvre les gens. Ça rend les choses beaucoup plus authentiques de ne pas avoir fait de recherches sur eux en amont. »
Contactés, Yomi Denzel, Antoine Blanco, Thaïs d’Escufon, Jonathan Ecom, Loïc Bourget, Julien d’Oseille TV, Maxime Alexandrov (alias La Menace), El Rayhan Loudhni, Ismaïl Ouslimani (alias Le Raptor) et Le Guiz n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Illustration de Une de Timothée Moreau.