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    25/06/2025

    Ils considèrent la cause palestinienne « comme une cause islamiste, terroriste »

    « Tous résistants », le groupe islamophobe qui veut « criminaliser » tous les soutiens de la Palestine

    Par Léane Alestra , Delphine Cerisuelo

    Depuis l’automne 2024, un collectif revendique des dégradations, des menaces, et des agressions contre des soutiens à la Palestine, souvent pour un simple affichage de drapeaux. Ils s’inscrivent dans les combats de l’extrême droite identitaire.

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    Paris, 31 mai 2025 – « Bureau du Hamass. 3e étage », indique le tag inscrit à la bombe bleue sur une des portes de l’immeuble de Laetitia (1). Sortie le soir de la victoire du PSG, elle découvre l’inscription en rentrant dans la nuit, assortie d’un autocollant : « Terroriste violeur ». « Je n’ai pas réalisé tout de suite que c’était sans doute dirigé contre nous », raconte Laetitia. Mais très vite, la trentenaire fait le lien avec le drapeau de la Palestine qu’elle a accroché depuis un an à la fenêtre de son appartement près de la place de la Bastille. Quelques jours plus tard, deuxième passage : un grand tag blanc sur la porte cochère indique cette fois : « Fan club du Hamas. »

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    Dans Paris depuis l'automne 2024, plusieurs immeubles affichant un drapeau de la Palestine sont pris pour cible par des graffitis. / Crédits : DR

    Un compte anonyme revendique l’action : Tous résistants. Sur leurs réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram, ils publient des photos en story du drapeau affiché à la fenêtre et du tag dans l’immeuble avec des émojis qui pleurent de rire et la légende : « Fin de l’impunité ? » Depuis l’automne, plusieurs bâtiments où s’affichent des drapeaux de la Palestine sont pris pour cible par des graffitis similaires. Ramdane, un designer, a reçu un imposant marquage sur la porte de son domicile accompagné d’une cartouche de fusil de chasse lancée sur le balcon qui accueillait l’étendard quadricolore. Face à ces tags et agissements menaçants, au moins trois plaintes ont été déposées.

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    Les tags sont revendiqués par le compte « Tous résistants », dont les vidéos montrent un homme masqué, enturbanné dans un t-shirt Free France. / Crédits : DR

    Le compte Tous résistants a fait de chaque marque de soutien à la Palestine le carburant de sa petite entreprise et se double d’un autre profil : « Free France. » Avec cette marque, ils vendent autocollants et bombes tricolores sur des boutiques en ligne et exhortent le public à les imiter. Leur mantra : « Chacun peut agir. » Les agissements en question ? Façades vandalisées, murs tagués de slogans tels que « Merci Israël », « Fuck Gaza », « ONU = Hamas », ou encore « Mélenchon, on t’encule » et « LFI = Hamas ». Ils se filment en train d’arracher et parfois brûler des drapeaux palestiniens. Si le collectif revendique sur certains de ses autocollants n’être « pas facho, juste Français », le compte et les militants qui l’ont cofondé, retrouvés par StreetPress, repartagent le gratin et le discours de l’extrême droite identitaire sur leurs réseaux sociaux.

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    Sur son compte, Tous résistants met en avant les façades vandalisées, les murs tagués de slogans tels que « Merci Israël », « Fuck Gaza », « ONU = Hamas », ou encore « Mélenchon, on t’encule » et « LFI = Hamas ». / Crédits : DR

    Vidéo d’agression et hyperactivité numérique

    L’activisme dans les rues est doublé d’une hyperactivité sur les réseaux sociaux. De septembre 2024 à juin 2025, Tous résistants a publié 89 vidéos sur TikTok. Le groupe répond à presque tous les commentaires, like chaque message de soutien. Le 15 juin dernier, le compte célèbre en story la popularité d’un de leurs tags qui recouvre une fresque pour Gaza à Bastille, dont la vidéo a dépassé les 250.000 vues. Le texte s’accompagne d’un gif animé « bisous » et d’un titre explicite, qui fait référence à la situation à Gaza :

    « Vous vouliez un VRAI génocide, le voilà. »

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    Le compte rejoint la position politique de l’extrême droite israélienne quand il appelle le 10 mai dans un commentaire Instagram à une « Nakba définitive ». Et celle de l'extrême droite identitaire française quand il parle en story Instagram de « génocide » pour le « peuple français dans les banlieues islamisées ». / Crédits : DR

    Dans un autre post à succès, un homme se filme en train de prendre à parti et insulter un touriste espagnol qui porte un keffieh (foulard palestinien). Alors que ce dernier se réfugie aux Galeries Lafayette, l’auteur le prévient : « T’inquiètes, je t’attends à la sortie. » La vidéo est diffusée sans floutage, un fait assumé par Tous résistants auprès de StreetPress : « Tant mieux s’il se fait doxxer [voir ses données personnelles être divulguées]. » (2)

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    Le compte Tous résistants a fait de chaque marque de soutien à la Palestine le carburant de sa petite entreprise et se double d’un autre profil : « Free France. » / Crédits : DR

    Aligné avec la rhétorique des identitaires

    Sur ses comptes, Tous résistants fantasme une « guerre des drapeaux » qui aurait été « initiée par Mélenchon ». Dans les vidéos, un seul homme s’exprime face caméra, la voix modulée et à visage couvert. Il est enturbanné dans des t-shirts « Free France » vendus sur sa boutique en ligne. Il se réclame d’une lutte contre une « islamisation » du pays et se revendique islamophobe, patriote et sioniste. Le compte affirme « considérer la cause palestinienne dans son ensemble comme une cause islamiste, terroriste » et d’ajouter :

    « Tout ce qui s’y rapporte est pour nous le cheval de Troie de cet islamisme radical. »

    Le compte rejoint la position politique de l’extrême droite israélienne quand il appelle le 10 mai dans un commentaire Instagram à une « Nakba définitive » – en référence à l’exode palestinien de 1948, lors de la guerre israélo-arabe. Un autre post détaille son projet politique :

    « Nous scellons l’alliance France et Israël. Deux peuples attaqués. Deux peuples qui résistent. Le front commun est ouvert. #AlliancePatriotique. »

    Une rhétorique calquée directement sur celle de l’extrême droite identitaire française. Pour ceux dont les théories ont parfaitement intégré le Rassemblement national, Israël est un avant-poste civilisationnel au Moyen-Orient soumis à la violence islamiste et ont un mot d’ordre : ce qu’il s’y passe serait voué à se produire en Europe et en France. Certaines publications sont d’ailleurs publiées conjointement avec des comptes de la mouvance, comme « français_reveillez_vous_2 » ou « le_patriote_français_2023 ». Quant à Free France, l’autre mouture de Tous résistants – que le tenant du compte présente comme « un think tank » –, le nom a été pris en réponse aux slogans « comme “Free Palestine” ou “Free Tibet” ». Des noms de territoires où des occupations de pays étrangers sont dénoncées. Interrogé par StreetPress sur ce point, Tous résistants s’énerve :

    « Mais la France est gangrénée ! Bien sûr que c’est comme une invasion. »

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    La rhétorique de Tous résistants est calquée directement sur celle de l’extrême droite identitaire française. / Crédits : DR

    Deux figures de la sphère pro-israélienne

    Si les vidéos de Tous résistants montrent un homme masqué, StreetPress a pu identifier deux des figures fondatrices de « Free France » : Samuel A. et Marie-Laure B.. Le premier, 35 ans, se présente en ligne comme « un résistant » et revendique une identité de « juif laïc ». Très actif sur Twitter-X, Samuel A. relaie chaque jour des contenus issus aussi bien de l’extrême-droite israélienne que de l’écosystème patriote. Récemment, il s’en est pris plusieurs fois à Marion Maréchal-Le Pen, qu’il juge trop tiède dans son soutien à Israël envers l’offensive sur l’Iran.

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    StreetPress a pu identifier deux des figures fondatrices de « Free France » : Samuel A. et Marie-Laure B. / Crédits : DR

    La seconde, Marie-Laure B., 56 ans, a été élue municipale à Bagnolet de 2014 à 2020 sous l’étiquette Renaissance. Connue du milieu bagnoletais pour ses positions laïcardes et sa proximité avec le Printemps républicain, elle semble s’être faite plus rare dans la vie publique ces dernières années. Sur son compte X « Démocratie et universalisme », elle partage les interventions de l’éditorialiste de CNews Pascal Praud, les posts de figures identitaires comme Alice Cordier ou Simon Moos.

    Tous deux avaient déjà cofondé en 2023 « Tous 7 Octobre », proche de Nous Vivrons – collectif pro-israélien qui lutte contre l’antisémitisme, né au lendemain des attaques du Hamas le 7 octobre 2023 –, dont Marie-Laure B. revendique être également membre. À nos questions, Marie-Laure B. répond d’abord qu’elle ne connaît ni Tous résistants ni Free France puis reconnaît avoir partagé leurs publications, mais nie participer à leurs actions. « Vous n’avez pas idée du nombre d’initiatives de taille modeste et de militants de terrain à peine connus que je suis et que je soutiens », lâche-t-elle. La direction de Nous Vivrons, quant à elle, dit ne pas compter Marie-Laure B. parmi ses membres. Sur Facebook, pourtant, sa promotion des actions de Tous résistants est reçue avec enthousiasme et transmise dans les boucles internes de Nous Vivrons.

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    Sur certains documents, comme ce tract de réunion, Samuel A. et Marie-Laure B. sont bien présentés comme co-fondateur de Free France. / Crédits : DR

    Confronté, l’auteur du compte Tous résistants nie la participation de Samuel A. et Marie-Laure B. au projet anti-palestinien et à Free France. « On se follow mais rien de plus. » StreetPress a pourtant reconnu la quinqua sur les posts publiés par ce compte et Tous résistants. Quant à Samuel A., il n’a pas répondu aux questions de StreetPress.

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    Samuel A. relaie chaque jour sur Twitter-X des contenus issus aussi bien de l’extrême-droite israélienne que de l’écosystème patriote. Il se présente également comme un « résistant » et promeut Free France sur les réseaux. / Crédits : DR

    Le travail de la police

    Certains habitants comme les colocataires Leila et Joachim (1) ont eu « sept tags en tout » depuis qu’ils ont installé le drapeau palestinien à leur fenêtre à l’automne dernier. « J’ai fini par me dire qu’il devait exister un système de signalement », précise Leila. À StreetPress, Tous résistants reconnaît intervenir sur la base de délations de tiers. L’homme au visage caché déclare froidement :

    « C’est notre positionnement de vouloir criminaliser le drapeau palestinien. Qu’ils assument les conséquences de leurs actes. »

    Le compte se dit « ravi » quand il apprend que l’affaire a causé à Laetitia des problèmes avec sa bailleuse. Elle l’a accusé d’être responsable de l’acte de vandalisme en raison du drapeau à la fenêtre – pourtant parfaitement légal. « C’est notre objectif », se félicite Tous résistants. Mais quand la résidence est frappée d’un nouveau tag contre l’appartement, les voisins manifestent leur soutien :

    « Ils ont recouvert les tags avec du papier cadeau, et ont écrit dessus des mots gentils et des messages de solidarité. »

    Après le troisième passage des tagueurs, Leila, elle, fait le choix de repeindre l’immeuble elle-même. Un compromis envisagé collectivement face aux délais d’action du nettoyage par la municipalité. Elle reste ferme : « Je préfère repeindre et les emmerder. C’est un concours de couilles, mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises. Ils se font appeler “Tous résistants”, mais c’est nous, les résistants. »

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    Quand la résidence de Laetitia est frappée d’un nouveau tag contre l’appartement, les voisins manifestent leur soutien en recouvrant les tags avec du papier cadeau, et en inscrivant des messages de solidarité. / Crédits : DR

    Les personnes visées qui ont porté plainte sont néanmoins sans nouvelles des enquêtes, à l’image de Léa (1) depuis janvier dernier. Dans la nuit du 21 décembre 2024, la porte de celle qui a un drapeau palestinien à son balcon depuis six mois est vandalisée. Des bouteilles scellées à la cire, remplies de peinture, sont lancées sur la façade. Un officier estime que le matériel utilisé par les auteurs est « pro » et coûte entre 300 et 400 euros. Après avoir pris des photographies, la police n’engage aucune procédure et Léa doit insister pour que sa plainte soit acceptée.

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    Certains habitants comme les colocataires Leila et Joachim ont eu « sept tags en tout » depuis qu’ils ont installé le drapeau palestinien à leur fenêtre à l’automne dernier. / Crédits : DR

    Vigilantisme et surveillance ?

    La police s’est montrée plus prompte à réagir lors de l’interpellation de trois personnes le 17 juin 2025, près de la place de la Bastille. Ces dernières avaient alors commencé à retravailler un tag de soutien à la Palestine, qui fait l’objet de recouvrements systématiques par Tous résistants. Dans une vidéo publiée quelques jours plus tard, Tous résistants montre des images qui proviennent d’un dispositif de surveillance installé sur le lieu du tag, via une caméra infrarouge fixe avec détecteur de mouvement.

    Le compte évoque un « guet-apens » et diffuse également des images des jeunes femmes interpellées dans la rue, qui ont ensuite été placées en garde à vue pendant 48h. Le collectif a-t-il immédiatement prévenu la police, qui est intervenue rapidement ? Contactée, la préfecture de police se contente de confirmer à StreetPress les dates et heures de l’interpellation, sans répondre aux questions sur le dispositif de vidéosurveillance. Quant à Tous résistants, l’auteur du compte lâche juste qu’il y a « des caméras à cet endroit, il y en a aussi ailleurs », sans dire qui a installé le dispositif. Dans un ton triomphant, il insiste sur le caractère illégal de l’action de ce qu’il nomme « une bande d’islamo-gauchistes », dont il ne manque pas d’évoquer des prétendues citations au casier judiciaire pour graffitis. Cela ne l’empêche pourtant pas d’annoncer à la fin de sa vidéo que sera bientôt « repeint un joli drapeau français » au même endroit.

    (1) Le prénom a été modifié.

    (2) Le doxing correspond au fait « de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ». Il est puni en France de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.

    Illustration de Une de Caroline Varon.

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