En ce moment

    23/12/2009

    Mariano Beuve, producteur de rap français

    Le producteur de Ministère A.M.E.R. et Doc Gyneco est mort mais le hip hop s'en fout

    Par Greg Protche

    Mariano Beuve est mort le 20 octobre dernier. Dans la presse française, pas une ligne. Gregory Protche, passé par l'Affiche et Get Busy, raconte ce pionnier du rap français, avec une interview de Princess Erika en bonus track.

    Quand Jacques Toubon lançait le rap français

    1983. « Hip-Hop » sur TF1. Le smurf plus que le rap. Avec Sidney : la danse et le graff occupent les années 1980. Quand tout était mieux. La France attend juste pour s’y mettre vraiment que l’Amérique invente le rap militant. Ça sera fait avec Public Enemy et NWA. En 1990 dans Envoyé Spécial, Joey Starr beugle « Nique ta mère »: le rap français devient un phénomène. Après la loi Toubon (1994), obligeant les radios à diffuser 40% de musique française (et donc Skyrock à changer de contenu et à disproportionner le rap français), il devient même le deuxième marché mondial.

    Mariano et Minister A.M.E.R.

    Mariano Beuve, la life


    • 1962 : Mariano débarque
    • 1991 : Produit “Traîtres”, premier maxi du Ministère A.M.E.R.
    • 1992 : Produit “Pourquoi tant de haine”, premier album du Ministère A.M.E.R.
    • 1994 : Produit “95 200”, second album du Ministère A.M.E.R.
    • 1996 : Paquette et pré-réalise “Première consultation” de Doc Gynéco
    • 1996 : Réalise “Je suis raide dingue de toi” pour le boys band G Squad
    • 1997-98 : Réalise “La cour des grands”, duo interprété par Axelle Red et Youssou Ndour pour l’ouverture de la Coupe du monde de football
    • 1998 – 2006 : Période “floue”… réalisation d’albums moins exposés, de compils de rap, etc..
    • 1998 – 2006 : Période “floue”… réalisation d’albums moins exposés, de compils de rap, etc..
    • 2007 : Début du travail avec Princess Erika, aboutissant, quelques semaines avant la mort de Mariano Beuve à l’album “Juste Erika”
    • 2009 : Mariano se casse

    Glorieuses Nineties. Mariano Beuve y fit le plus grand coup de génie de sa carrière de producteur. Voir dans Stomy Bugsy, Passi, Kenzy et quelques autres vingtenaires plutôt inquiétants, un groupe de rap. C’était Ministère A.M.E.R. dont il produisit le premier disque Pourquoi tant de haine ? , en 1992. Une sacré prise de risque pour un producteur de moins de 30 ans. Car Ministère A.M.E.R. c’est alors le groupe de rap français le plus boycotté, le plus attaqué en justice (par des syndicats de policiers) et le plus controversé (racisme, appartenance à la légendaire Secte Abdulaï…). Mariano lui les trouvait inspirés, un peu en avance (la west coast les irriguait) et supérieurement ambitieux. De quoi « mettre ses couilles sur la table et allonger la monnaie » pour paraphraser Princess Erika (voir l’interview ci-contre).

    Mariano vs. Pierre Sarkozy

    Dans le rap français, on l’a compris, les musiciens n’abondent pas. Peut-être pour ça que la définition du producteur est si floue. Pour un chanteur de variété, un groupe de rock ou une troupe de gospel, le producteur, c’est celui qui finance les disques. Qui rêve de truster le haut des charts à l’année. Oriente les carrières. Prend des risques. Arrange. Dans le rap, on appelle « producteur », au mieux, le réalisateur de l’album ; et, le plus souvent, un dj qui trouve dans les musiques des autres les sons à sampler pour la sienne, comme l’explique Erika. Le Parisien évoquait récemment le fils aîné de Nicolas Sarkozy, Pierre, connu sous le pseudonyme de Mozey, comme « producteur » de Doc Gynéco, alors qu’il n’a que « réalisé » son dernier album, Peace Maker.

    Ministère A.M.E.R. et Doc Gynéco: entre hits et désillusion

    Doc Gynéco, justement, qui l’a découvert ? Et Assia ? Un producteur, ça doit dénicher de nouvelles stars, développer des artistes et engranger des succès. Mariano n’était pas beaucoup plus âgé qu’eux. Mais c’était déjà un producteur. Un vrai : musicien et avec de l’argent. Et il rêvait de fonder un empire. C’est sur 95 200 , le second album du Ministère A.M.E.R., en 1994, qu’on les entendit tous pour la première fois. Gynéco avec son solo inaltérable dans « Autopsie » (« Travail, repos et loisirs, un mac aide à vous soutenir »). Assia avec ses lacis vocaux langoureux (« Les rates aiment les lascars… lascars de Celles-Sar, lascars de Ges-Gar »). En 1995-1996, le groupe défraie la chronique judiciaire et donc médiatique. À cause des chansons « Brigitte, femme de flic I & II » (produites et réalisées par Mariano). Puis de « Sacrifice de poulets », sur la bande originale du film « La Haine ». Plaintes, procès, interviews scandaleuses, verdict éreintant : plus de 200.000 francs. Contraints, les membres du Ministère A.M.E.R. entament les carrières solos qu’on connaît. Mariano regarde de loin. Il attendait, espérait et désirait mieux. Tant pis pour eux.

    Virgin remplace Mariano par Ken Kessie

    Pendant que Stomy dorénavant Bugsy et Passi se lançaient en solo, Mariano Beuve réalisait les maquettes de Première consultation, futur premier album de Gynéco. C’est même lui qui démarchera les maisons de disques. Jusqu’à Virgin. Le disque cartonnera, mais officiellement « produit » par le plus prestigieux (et plus américain) Ken Kessie… Mariano est déçu. Par ses poulains. Par un rap français très vite scolaire, normé, schématique, approximatif, mimétique et ennuyeux.

    Football, Axelle Red et les G-Squad

    On vous parle d’un temps où les moins de 20 ans ont pas de quoi faire un rap chez leur mère. Où ils ont besoin d’aller en studio s’ils veulent poser. Mariano tient le sien ouvert. Tout le monde y passera à un moment ou à un autre. Pas toujours les meilleurs. Pas toujours les plus fiables. Avec qui Mariano ne sera pas toujours le meilleur ni le plus fiable. Il était moins rigoureux en comptabilité qu’en musique. Moins arnaqueur que bordélique. Professionnel dans l’artistique et artistique dans le professionnel. À un moment, à la gorge financièrement, il retournera même faire l’entraîneur de foot à Créteil. Produira le boys band G-Squad . Réalise et finalise le duo Axelle Red-Youssou Ndour , qui ouvre la Coupe du monde de 1998. Puis d’autres artistes, titres et compils moins exposés. Il surfe sur le web. Achète des Fender stratocaster en ligne. Gagne sa vie.

    Princess Erika


    Vidéo – Produire, c’est comme avec une meuf avant de coucher

    En 2007, il débarque dans la carrière de Princess Erika. Son dernier album, « À l’épreuve du temps », est « sorti sans sortir ». Elle travaille de plus en plus pour le théâtre, la télévision et le cinéma. Pile le genre de défis qu’adore Mariano… Même si elle semble s’en éloigner, Erika connaît la musique (elle sait même la lire, elle). Elle a déjà fait des vrais tubes populaires (« Trop de blabla », « faut que je travaille »). Elle mène une carrière. Le level du dessus. Le « niveau » si cher à Mariano. Il est si convaincu qu’il en devient convaincant et relance la miss. La fameuse « séduction à la Mariano ». Deux années épiques, musicales et fructueuses. Vrai cadeau de producteur à son artiste : une guitare. Depuis septembre, Mariano avait commencé à démarcher les maisons de disques.

    L’ingratitude du « hip-hop français »

    Et puis le mardi 20 octobre, au petit matin, à 47 ans, Mariano Beuve est mort. En pleine rue. 10 jours plus tard, à son enterrement, étaient présents Stomy, Kenzy, Assia, son frère Khalil, Jimi Sissokho. Deux anciens membres de G-Squad. Et Princess Erika. Pour la presse, les maisons de disques, les rappeurs, les dj… bref, pour le hip-hop français, personne.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER