En ce moment

    04/10/2013

    La petite maison d'édition veut mettre en valeur « la littérature urbaine »

    Asphalte Editions : des romans cultes, une fanbase et deux patronnes payées au Smic

    Par Robin D'Angelo

    Depuis 2009, Asphalte Editions raconte dans ses romans les petits trafics dans les bidonvilles de Buenos Aires ou la vie interlope de New Delhi. En attendant les succès commerciaux, les fondatrices Claire et Estelle ont déjà leur fan base.

    C’est un local discret et incognito qui contraste avec les jolies couvertures de leurs romans. Au 85, rue de la Fontaine-au-Roi (Paris 11e), pas de plaque, ni même un morceau de papier sur une sonnette, pour indiquer que vous êtes bien arrivé chez Asphalte Editions.

    Dans l’anonymat d’une pépinière d’entreprise, Claire Duvivier et Estelle Durand conçoivent ici les livres qui font la renommée de leur petite maison, Asphalte Éditions. Le liquide qui sort de leur machine à café est un immonde jus de chaussettes et leur bureau peut-être un peu trop petit. Mais Claire Duvivier a une patate d’enfer :

    « Si nous vivons notre dreamjob ? Sans hésiter, la réponse est oui ! »

    Street Litterature Le « rêve » de Claire et Estelle : monter leur propre maison d’édition spécialisée dans « la littérature urbaine ». Pour les uns, « la littérature urbaine » est le versant littéraire de la culture hip-hop, avec ses codes marketing et culturels . Pour elles, un mot fourre-tout qui désigne des romans dans lesquels la ville est un personnage à part entière. Comme dans « Golgotha », de l’argentin Leandro Oyola, qui se déroule dans une « villa miseria » (un bidonville en VF) de Buenos Aires. Le roman, publié chez Asphalte en 2013, raconte l’histoire d’une vendetta entre flics ripoux et petites frappes accros au reggeaton. “Déjà invitée de StreetPress sur Radio Campus Paris en juin”:http://www.streetpress.com/sujet/95812-litterature-urbaine-contre-cultures-et-flics-ripoux-l-emission , Estelle Durand donnait ses ingrédients pour réussir « un bon roman de littérature urbaine » :

    « Tu prends un personnage et tu le montres dans son environnement social. Avec toutes ses inégalités, ses problèmes sociaux et politiques. »

    Sans oublier de saupoudrer le tout d’une pincée de contre-culture : les romans d’Asphalte font la part belle aux rappeurs brésiliens, aux surfeurs australiens ou aux teufeurs de Middlesbrough.

    Ze story En Master de littérature à la Sorbonne, option métiers de l’édition, vouloir monter sa maison est un rêve aussi répandu que devenir acteur porno pour un ado de 14 ans. Et rares sont les élus qui approchent le Saint Graal du « dreamjob ». Claire, qui a rencontré Estelle sur les bancs de la fac, a rongé son frein pendant 4 ans après ses études, à enchaîner des jobs passionnants comme celui de correctrice dans l’édition médicale. Estelle, 32 ans, s’est, elle, fait les dents en tant qu’éditrice d’une revue de sciences politiques.

    En 2009, elles franchissent le pas et créent la maison d’édition. Bien aidées par un joli capital de 100.000 euros acquis sur leurs fonds propres. Elles reniflent aussi un bon coup : l’anthologie de nouvelles Londres Noir, publiées au UK par la maison d’édition Akashic Books, est libre de droits en France. Estelle, cousine éloignée de Daria avec ses lunettes et sa voix grave, se souvient :

    « Quand on a découvert ça, on s’est dit : “Il faut qu’on en soit les éditeurs français, il ne peut pas en être autrement !“ »

    Ce sera leur première publication à la rentrée 2009. Depuis, leurs guides urbains, qui racontent une ville, avec des nouvelles noires quartier par quartier, ont été déclinés pour 10 destinations. Ces recueils sont devenus une des marques de fabrique de la maison d’édition. Big up à « Barcelone Noir » et « Delhi Noir », nos préférés de la série.

    Identité Comment vendre ces livres, aussi bons soient-ils ? Chez Asphalte, la première année a parfois été dure. Claire Duvivier se souvient avec angoisse de ses premiers speed-dating pour séduire les « repré », ces super-VRP missionnés par les gros diffuseurs-distributeurs (en l’occurrence Volumen/Le Seuil pour Asphalte) pour vendre les romans aux libraires :

    « La pièce est pleine de représentants qui te regardent et t’as ¼ d’heure pour présenter tes livres. Au début, on pensait qu’ils liraient les livres eux-mêmes, mais en fait non. Faut trouver des formules qui font mouche et il leur a fallu du temps pour définir notre identité…»

    Téo Webber, responsable des ventes chez Volumen/Le Seuil, confirme :

    « Le problème, c’est que la littérature urbaine n’existe pas dans les rayons. Ce n’est pas un genre établi. Ce n’est pas évident à expliquer aux libraires. »

    Fan base Pour tirer leur épingle du jeu, les deux amies misent beaucoup sur « l’idée de communauté ». Estelle Durand explique :

    « On veut agglomérer autour de la maison des amis, des gens rencontrés dans le cadre du travail, des traducteurs… »

    Concrètement, cela donne un réseau de fidèles à travers le monde chargés de dénicher des pépites ou de jouer le rôle de premier lecteur. Mais aussi des connections avec les libraires parisiens qu’elles rencontrent « le plus souvent possible ». Joint par StreetPress, Yves Martin, patron de la libraire les « Buveurs d’Encre » dans le 19e à Paris, vante la stratégie de la petite maison d’édition :

    Tes yeux dans une ville grise

    Le pitch : Jérémias, étudiant fantôme à la fac de Lima, oscille entre tentatives de suicide bidons et parties de PES avec ses amis. Tous les jours, il passe des heures dans un minibus pour se rendre à son université : l’étudiant profite de ces balades imposées pour croquer sa ville de son regard désenchanté et se perdre dans ses pensées.

    L’auteur : Martin Mucha est un journaliste péruvien installé à Madrid où il écrit sur les questions d’immigration. Né à la fin des 70’s, il a grandi dans le Pérou en crise des années Fujimori.

    A lire si : Tu as passé ta scolarité dans des bus / Tu veux faire partie des premiers à avoir lu un livre qui pourrait bien devenir culte / Tu aimes l’Amérique Latine.

    Barcelone noir

    Le pitch : Barcelone Noir est un recueil de nouvelles qui te fait visiter la cité catalane côté dark des Ramblas. Les histoires te baladent dans le quartier du Born avec une détective privée lesbienne qui doit fouiller le passé de deux amantes septuagénaires ou dans les bars clandestins du Raval où un journaliste aux cheveux gras est à la recherche d’un mercenaire serbe. En sommaire : une carte de Barcelone avec tous ses quartiers et la nouvelle qui lui correspond. Ouais, un peu comme le Lonely Planet.

    Les auteurs : Parmi les 14 écrivains, on peut citer le journaliste David Barba – auteur de la biographie de l’acteur porno espagnol Nacho Vidal – ou le pape du roman noir catalan Andreu Martin.

    A lire si : Tu as fait Erasmus à Barcelone / Tu hésites à plaquer ton boulot pour devenir détective privé / Biutiful est ton film préféré des 3 dernières années.

    « Le but pour Asphalte, ce n’est pas de venir voir les libraires pour prendre des commandes mais de les faire s’intéresser à leurs livres. Moi j’ai un espace de 40 m2, et je ne peux exposer que peu d’ouvrages. Mais quand un livre est sur une table, les ventes sont multipliées par 10. »

    Livre culte En 2013, la mécanique d’Asphalte s’est mise en œuvre pour un petit chef-d’œuvre : « Tes yeux dans une ville grise » du Péruvien Martin Mucha qui raconte l’errance d’un étudiant dans une ville de Lima trop cruelle pour lui. Le roman est d’abord appuyé par une lectrice. « Elle était tellement emballée… Et comme c’est quelqu’un d’assez exigeant qui ne s’emballe pas facilement, on a senti le coup ! », s’amuse Claire Duviver, 32 ans. A la sortie du livre, les girls jouent sur leur réseau de libraires mais le résultat est au-delà de leurs espérances : « Il s’est retrouvé dans les vitrines des plus grosses librairies de Saint-Germain ! »

    Joint par StreetPress, l’auteur qui vit à Madrid, ne tarit pas d’éloges sur la maison d’édition :

    « Un travail comme le leur est indispensable pour te faire connaître. Surtout quand tu viens du Pérou et que tu écris sur la société de ton pays. J’ai eu des chroniques dans le Monde des livres ou l’Express. Je n’en croyais pas mes yeux ! Elles ont été merveilleuses. »

    Depuis, Martin Mucha accumule les invitations à des festivals et a « la surprise de voir son roman se convertir presque en un livre culte en France ». « Tes yeux dans une ville grise » devrait prochainement sortir dans son pays natal.

    Ma petite entreprise Pour Asphalte, un roman est un succès quand il est vendu à plus de 2.000 exemplaires. Elles en sortent 9 par an. En 2012, le chiffre d’affaires de l’entreprise s’élevait à 58.000 euros. « On atteint tout juste l’équilibre depuis peu de temps », confie Claire qui avoue se payer « le Smic + 50 euros. »

    Yves Martin, boss des Buveurs d’encre, regrette, lui, que, dans sa librairie, les romans d’Asphalte ne « se vendent pas très bien » :

    « C’est très ambitieux ce qu’elles font. Parce qu’en France, les nouvelles se vendent mal et leurs livres au grand format coûtent 20 euros. Les lecteurs de polars achètent beaucoup… mais en poche ! »

    Pour donner un coup de boost à leur petite entreprise, Claire et Estelle comptent sur le prix SNCF du polar pour lequel elles sont en lice avec le roman cubain « La vie est un tango ». Yves Martin se félicite, lui, que « L’Île Invisible », sorti pour la rentrée littéraire, s’adresse à un large public :

    « Je l’ai mis sur la table en littérature générale pour qu’Asphalte puisse trouver de nouveaux lecteurs. »

    Golgotha

    Le pitch : A Villa Sicasso, dans la banlieue Buenos Aires, deux flics abîmés ont abdiqué devant la criminalité organisée qui régit la vie du bidonville. Jusqu’au jour où une de leur amie d’enfance est retrouvée pendue dans sa bicoque de tôle. Les deux partenaires décident de la venger en nettoyant la « villa miseria ». Évidemment, ils n’en sortiront pas indemnes.

    L’auteur : Leonardo Oyola, journaliste pour la version argentine de Rolling Stone Magazine, et également auteur de Chamamé, lauréat du prix Dashiell Hammet de la Semana Negra en 2008.

    A lire si : Tu es supporter de San Lorenzo / Tu as vu toutes les saisons de The Shield / Tu bois de Fernet Coca en soirée.

    Pour continuer le combat contre l’extrême droite, on a besoin de vous

    Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.

    StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.

    Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.

    Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.

    Je fais un don mensuel à StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER