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    09/06/2014

    Le Théâtre Libre du Belarus papillonne de spot en spot pour montrer ses performances

    A Minsk, avec les comédiens d'un théâtre clandestin

    Par Robin D'Angelo

    Depuis 10 ans le Théâtre Libre du Belarus aborde dans ses spectacles des sujets tabous aux pays de l'autocrate Loukachenko. Mais avec l'exil d'une partie de son équipe et les pressions du pouvoir, la compagnie vit de bric-et-de-broc.

    Minsk – Une vingtaine de jeunes poireautent devant un centre commercial décrépi, en ce dernier dimanche après-midi d’avril. A 18h pétantes, Sergueï, un comédien de 24 ans débarque, un badge « Free Belarus Theatre » épinglé à sa veste de dandy. Il vient guider son public du jour jusqu’au lieu de la représentation du théâtre clandestin.

    Les spectateurs ont suivi les instructions de la newsletter de la compagnie, qui donnait simplement une heure et un lieu de rendez-vous. Ils marchent à présent derrière Sergueï, dans un labyrinthe de résidences vétustes. Les voilà au dernier étage d’un immeuble aux murs jaunis. Derrière une porte, une scène a été aménagée entre le rétroprojecteur et les bonbonnes à eaux d’une salle de réunion. Ce soir, la troupe va jouer dans les locaux d’une petite agence de communication.

    C’est la deuxième fois que le Théâtre Libre du Bélarus se produit ici. Les deux mois précédents, la compagnie jouait ses pièces dans une salle de yoga contre une petite rémunération. « Jusqu’à ce que la propriétaire de l’établissement soit menacée par les autorités », raconte Yana, maman de 37 ans et comédienne historique de la troupe : « on doit trouver des lieux pour chacune de nos représentations ».

    Une grosse douzaine de comédiens forment la troupe créée en 2005. La compagnie, qui n’a pas d’existence légale, traite sur scène de politique, de sexualité, d’alcoolisme, du genre ou du suicide… Autant de thèmes que le régime très conservateur du président Loukachenko ne veut pas voir dans ses théâtres nationaux. Comme dans « Merry Xmas Miss Meadows » la pièce qui a fait connaître la troupe à ses débuts et qui met en scène un héros transgenre.

    Au théâtre ce soir…

    Au théâtre ce soir, un texte de l’écrivain russe contemporain Denis Retrov. C’est l’histoire tragi-comique d’un enfant de 11 ans. Incarné par 4 comédiens, le héros décrit avec son regard candide sa famille un peu spéciale : la mère veut divorcer car elle s’est découverte lesbienne, un des fils est déjà homo et un autre, gangster de profession, a du fuir le pays depuis qu’il est recherché par la mafia.

    Karina et Dima, jeune couple habillé streatwear, viennent pour au moins la quinzième fois à un spectacle du Théâtre Libre du Belarus. Ils ont connu la compagnie indépendante grâce au site d’opposition Charter97 basé en Pologne :

    « On aime ce qu’ils font parce qu’ils s’intéressent à des thèmes dont on entend jamais parler à la TV. Si tu veux parler de ce genre de sujets en Biélorussie, ça se passe dans ta cuisine, mais pas sur scène.  »

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    Karima et Dima viennent au moins pour la 15e fois. / Crédits : Robin D'Angelo

    Virginie Symaniec est spécialiste du théâtre biélorusse et auteure de l’essai « Biélorussie : Mécanique d’une dictature ». Jointe par StreetPress, elle fustige le fonctionnement des théâtres du pays, tous sous la coupe du gouvernement :

    « Il y a 5 personnes qui font la pluie et le beau temps sur le théâtre en Biélorussie. Si une pièce n’entre pas dans le cadre de l’idéologie définie par l’Etat, elle n’a aucune chance de pouvoir être montrée sur les scènes conventionnelles. »

    Quand la compagnie du Théâtre Libre du Bélarus se monte en 2005, c’est justement parce que la très officielle Académie des Arts de Minsk refuse à une de ses troupes de jouer une pièce sur le suicide et la dépression, « Psychose 4.48 » de la britannique Sarah Kane. En réaction, les théâtreux sécessionnistes fondent la compagnie, aidés par des activistes.

    Des comédiens dirigés par Skype

    Sacha pose devant l’objectif sans peur de représailles !

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    Le Théâtre Libre du Belarus vit avec des bouts de ficelle. A Minsk, la troupe se compose d’une grosse douzaine de comédiens pour la plupart amateurs. Comme Kiril, 25 ans, serveur à ses heures perdues et qui joue depuis 1 an. Depuis 2011 et la répression qui a suivi la 4e réélection du président Alexandre Loukachenko avec près de 80% des voix, la quasi-totalité des pros de la troupe se sont installés en Angleterre. Certains pour éviter des petites peines de prison pouvant aller jusqu’à 25 jours.

    Aujourd’hui, c’est depuis Londres qu’un des metteurs en scène a assisté aux 3 heures de représentation. Par Skype, il donne ses conseils à ses acteurs en formation sitôt les derniers spectateurs partis.

    La dégringolade est rude pour le Théâtre Libre du Bélarus. Car la compagnie a connu la gloire. Après un succès critique au pays au milieu des années 2000 – qui l’a même amenée à se produire de façon ponctuelle dans des théâtres nationaux – la troupe multiplie les tournées en Europe. Natalia Koliada, une des fondatrices de la troupe, reçoit même en 2007 un prix des droits de l’homme … des mains de Rama Yade.

    La compagnie vit en partie de financement via des programmes de coopération occidentaux ou de ses cachets à l’étranger – en 2013, le Théâtre Libre du Bélarus passait encore plusieurs semaines en tournée à travers le monde. Point d’orgue de cette success story : La compagnie se dote de son propre théâtre indépendant en 2010, une jolie maison au cœur de Minsk aménagée avec une scène et des sièges.

    « Ils essaient de nous intimider »

    Mais patatras, à l’automne 2013, la compagnie redevient SDF. Yana, seule rescapée de la troupe originelle et qui vit encore à Minsk, raconte :

    « Juste avant une représentation, la police est venue pour nous empêcher d’entrer dans la maison qui était notre théâtre depuis 2010. Ils nous ont dit que nous n’avions plus le droit d’être ici. Les jours suivant, ils ont bloqué les portes pour en interdire l’accès. »

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    Yana, dernière membre originelle de la troupe à être restée à Minsk. / Crédits : Robin D'Angelo

    Officiellement, c’est à cause de plaintes des voisins que la police est venue fermer le théâtre en septembre dernier. Svetlana, la manager de la troupe assure que leur propriétaire avait aussi été menacé par le KGB – les services secrets biélorusses n’ont pas changé de nom après la chute de l’URSS – pour qu’il les mette dehors.

    Pourtant, les membres de la troupe refusent de se considérer comme des activistes. Ils disent juste vouloir dénoncer l’absence d’espaces d’expression pour ceux qui s’éloignent des idées très conservatrices du gouvernement autoritaire d’Alexandre Loukachenko.

    Et dans la salle de réunion de l’agence de com’ transfomée en scène clandestine, les spectateurs posent devant l’appareil photo de StreetPress sans aucune crainte. Comme Sacha, informaticien de 22 ans qui vient pour la première fois. Karima et Dima ont eux assisté à des descentes de police pendant des représentations. Mais ils n’ont pas plus peur que cela :

    « Les flics se contentent de nos cartes d’identité. Je ne crois pas qu’il y a de vrais risques mais ils essaient de nous intimider. »

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