En ce moment

    09/12/2014

    Direction Pyongyang pour le sans-papier chopé par la patrouille ?

    La préfecture de Paris veut expulser un migrant vers la Corée du Nord

    Par Mathieu Molard

    Renvoyer un sans pap’ en Corée du Nord ne semble pas poser de problème à la préfecture de police de Paris. Dans un document que StreetPress s’est procuré, elle demande le renvoi vers la dictature d’un de ses ressortissants.

    La préfecture de police de Paris veut expulser un migrant vers la Corée du Nord. Dans un document daté du 29 août que StreetPress a pu se procurer, l’administration explique qu’au regard de la loi, si M. Choe (1) « né à Pyongyang » n’a pas quitté le territoire français dans un délai de 30 jours, il « pourra être reconduit d’office à la frontière à destination du pays dont il a la nationalité ». La Corée du Nord donc. Dur.

    Une procédure automatique

    Selon nos informations, M. Choe n’était pas encore trentenaire quand il a débarqué en France en 2013. Sans parler un mot de français, il se lance dans le parcours du combattant qui mène à la régularisation. Première étape : se faire domicilier et donc obtenir une adresse postale, auprès de France Terre d’Asile, pour ensuite faire une demande d’asile à l’Ofpra (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides).

    Sauf que ça prend du temps et M. Choe ne comprend pas vraiment les démarches à suivre. L’Ofpra le convoque par un courrier, dont il ne prend pas connaissance. Il loupe donc le rendez-vous et la machine s’emballe. Mai 2014, l’Office rejette automatiquement sa demande d’asile et la préfecture, sans se poser de question, rédige dans la foulée une obligation de quitter le territoire français (OQTF) demandant son renvoi vers la Corée du Nord.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/capture_doc1_coree_du_nord.jpg

    L'obligation de quitter le territoire français rédigée par la préf' à l'encontre de M. Choe / Crédits : Streetpress

    Le document vaut son pesant de cacahuètes : sur deux pages, la préfecture insiste sur le fait que du point de vue juridique, rien ne s’oppose à cette expulsion. Elle explique même que l’intéressé « n’établit pas être exposé à des traitements contraires à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme en cas de retour dans son pays d’origine ». Pourtant la pref’ n’a jamais pu rencontrer M. Choe. Emballé, c’est pesé, si on l’attrape il faut le renvoyer en Corée du Nord. StreetPress a tenté d’interroger les autorités, mais nos demandes sont restées sans réponse.

    En centre de rétention

    Fin novembre, M. Choe, toujours sans pap’ donc, se fait pincer par la police du Finistère. Sauf qu’il est cette fois en possession d’un passeport… mongol ! C’est la préfecture du 29 qui prend le relais et décide de le placer en centre de rétention. Dans le document notifiant ce placement, que StreetPress a également pu se procurer, la préf’ reconnaît tout à la fois la nationalité nord-coréenne et la nationalité mongole. M. Choe parle bien coréen, puisque toute la procédure s’est effectuée avec un traducteur parlant cette langue.

    Le passeport mongol arrange bien leurs affaires. Pour organiser l’expulsion d’un ressortissant, il faut avoir des relations diplomatiques avec le pays d’origine du clandestin. Or la France ne reconnait pas officiellement la République Populaire de Corée… Il y a donc un hic. L’expulsion est lancée avant d’être interrompue par le juge des libertés et de la détention qui a décidé de la remise en liberté de M. Choe, pour un vice de forme technique sur une autre question. Il a, au cours de sa rétention, fait une nouvelle demande d’asile.

    Renvois vers des dictatures

    Jointe par StreetPress, la Cimade, qui vient en aide aux migrants placés en centre de rétention, dénonce une procédure quasi automatique et absurde :

    « La Corée du Nord, c’est vraiment inhabituel, mais les préfectures émettent souvent des OQTF pour des ressortissants de dictatures comme le Soudan, l’Erythrée ou la Syrie, sans se poser de question. »

    Comme nous l’explique la Cimade, ces ressortissants ne sont « heureusement » presque jamais expulsés vers ces pays (un Soudanais a tout de même été renvoyé vers son pays d’origine cet été) :

    « Mais alors pourquoi les placer en centre de rétention ? »

    1. Un nom d’emprunt, ce dernier souhaite garder l’anonymat.

    Pour continuer le combat contre l’extrême droite, on a besoin de vous

    Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.

    StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.

    Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.

    Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.

    Je fais un don mensuel à StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER